Chapitre 50 : " Ce n’est pas dieu qui fait des miracles, c’est la foi ! "
Albert
Notre voyage vers Urnia continue. Nous ne sommes plus qu’à quelques jours de marche de notre destination. Pendant le trajet je pus me rendre compte de la popularité de Renaud. Il n’y avait pas un village où les gens ne se jetaient pas à ses pieds le remerciant de les avoir délivrés des vampires. Tantôt on nous donnait de la nourriture, tantôt de petits objets, tantôt des bouquets de fleurs… Pas un seul sujet n’était reconnaissant à l’armée et à son roi. Chaque femme dont l’homme se battait pour nous était fière de le dire, chaque vieillard semblait honteux de ne pas être en état de participer au conflit, chaque estropié que nous croisions implorait Renaud de pouvoir s’engager à nouveau et j’aperçus même une veuve de guerre dire que ses enfants seraient honorés de rejoindre leur père pour servir les hommes et le grand protecteur.
Jamais je n’avais vu un tel amour et une telle innocence chez tant de gens. Il n’y en n’avait pas un qui n’était pas idéaliste ! Renaud, comme pour entretenir cette flamme, prenait le temps de discuter quelque temps avec chacun d’entre eux. Les prêtres de chaque village récitaient des prières à chacun de ses pas et la religion semblait avoir une emprise totale chez chaque individu… Il faut dire que les faits semblaient corroborer les dires des prêcheurs, un ordre immémorial aux yeux de ces manants venait d’être réduit à néant par la volonté d’un seul homme. Loin de les exploiter à son tour pour son bon plaisir, cet homme les éduquait et les invitait à se battre pour libérer leurs congénères. Partout où il commandait la victoire le suivait. J’imagine que moi-même, si je n’avais pas vu tant d’horreurs à force de répressions et de massacres avant de le rencontrer, j’eus pu être aussi enthousiaste que ces braves gens… Mais cela m’était impossible… Je me battais pour lui avec le pragmatisme et les désillusions d’un vieux briscard.
Je me souviens néanmoins d’une discussion que Renaud et moi avons eu durant ce trajet, au coin du feu tandis que tout le monde dormait… Il me regardait fixement et me demanda :
« Alors, comment as-tu trouvé tous les gens chez qui nous sommes passés jusqu’à maintenant ? »
Je dois bien avouer qu’échanger ainsi quelques mots en tête à tête avec lui était surprenant… Je lui répondis avec mon calme habituel :
« Ils sont idiots de te considérer comme un dieu, ils ne savent pas ce qui les attend, ils ne savent pas combien de vampires rêvent jour après jour des supplices qu’ils pourront bien leur infliger… »
Renaud sourit et m’expliqua alors :
« Certes ils sont naïfs mais comment pourrait-il en être autrement ? Ils ont vécu dans la peur et la souffrance jusqu’ici… et du jour au lendemain ils se retrouvent libérés… Ils seraient prêts à croire n’importe quelle histoire leur expliquant cela… Moi-même je dois bien admettre qu’il m’arrive de me prendre au jeu du demi dieu… Mais ce que tu ne vois pas, c’est l’immense motivation que cela leur donne… Le moindre villageois sans formation résisterait à une charge de cavalerie, la moindre villageoise tiendrait tête à une armée de vampires grâce à cette foi… C’est pourquoi j’ai confiance en mes futurs soldats, quand bien même ils manqueraient d’entrainement… Tu es un vieux guerrier et tu n’as jamais combattu pour une cause qui t’es supérieure. Eux sont animés par une flamme que tu ne connaitras sans doute jamais. Qu’importe que le grand protecteur existe ou pas, la motivation, le réconfort et le courage qu’il leur apporte sont bien réels. Ce n’est pas dieu qui fait des miracles, c’est la foi ! Dis-moi, qu’est ce qui faisait que l’armée du duc de Sartov n’a jamais failli jusqu’à la dernière bataille ? »
Je connaissais la réponse, c’était la première chose qui m’avait sauté aux yeux lors de mon premier engagement :
« L’orgueil ! L’orgueil de savoir que nous étions les meilleurs, nous nous sentions supérieurs et cela nous donnait notre légitimité pour écraser toute résistance ! Si nos ennemis se faisaient massacrer, ce n’est pas tant parce qu’ils le méritaient mais parce qu’ils n’étaient pas assez forts. Les années d’entraînement que nous avions subies, les innombrables combats que nous avions livrés nous donnaient ce droit sacré d’écraser les faibles. C’est même plus qu’un droit, c’est un fait… Qu’importe la justesse de la cause, le fort peut imposer sa volonté au faible. Il n’y a rien de cosmique là-dedans, c’est un fait aussi vrai que les pierres tombent et que le jour fait place à la nuit. Nous obéissions aux vampires par respect de cet ordre, les vampires étaient les plus forts, s’ils le voulaient ils pouvaient nous écraser et c’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé après la chute du duc de Sartov… »
Renaud me regardait et d’un ton inébranlable il rajouta :
« C’est tout à fait vrai… Le puissant l’emporte sur le faible, si nous gagnons contre les vampires ce ne sera pas du fait de la justesse de notre cause mais parce que nous les aurons surpassés ! A l’inverse s’ils l’emportent, ce ne sera pas grâce à Valass ou je ne sais quel ordre supérieur mais parce qu’ils auront été les plus forts. Mais justement ! La foi rend fort et ce plus rapidement que n’importe quel entraînement ! C’est pourquoi tu n’as pas à t’inquiéter pour les nouvelles recrues, elles ne seront certes pas aussi performantes que le reste de l’armée mais elles seront résilientes, elles ne céderont pas plus facilement que les autres… Sache que j’ai grandement apprécié ta remarque… je ne pouvais pas le laisser paraître en public, demi dieu oblige, mais tu es le seul qui conserve un peu d’esprit critique. Tous les autres sont aveuglés par leur foi car si cette dernière donne de la force, elle l’enlève au discernement. Quoi que je dise ou fasse désormais, ce sera applaudi et c’est tant mieux mais si je me trompe, personne ne me le dira ! Je tiens donc à ce que tu exprimes toujours ton avis, tu es le dernier capable de m’apporter un autre point de vue, pertinent qui plus est ! Essaye simplement de le faire en privé, si tu ne veux pas t’attirer les foudres des fanatiques qui nous entourent ! »
Sur ces mots il se leva et partit se coucher… Ainsi Renaud était des plus lucides sur les bienfaits et les méfaits du culte qui s’est imposé autour de lui. Il parvenait à en tirer le maximum d’avantages en limitant les inconvénients grâce à moi… Il ne me considérait pas seulement comme le maître de cavalerie mais comme le dernier autre esprit capable de l’aider… A nous deux nous formons la tête de notre armée, les autres officiers et soldats forment le corps, un corps des plus robustes renforcé par l’entraînement et la foi… Ce fanatisme est peut-être ce qu’il manquait à l’armée du duc de Sartov… Dès que la défaite fut certaine, pas un ne resta… Peut-être que si nous nous étions battus comme tous ces hommes à Arnov s’apprêtent à le faire, peut-être aurions-nous tenu et peut-être l’aurions-nous même emporté !
Christina
Que de bonnes nouvelles pour moi… De toute évidence Nikolaj III n’est pas un imbécile. Grâce à lui, en échange d’une modique somme d’argent, j’ai pu venger ma maîtresse et consolider mon pouvoir. Le duc a été capturé il y a quelques jours. Son escorte abattue, je le fis emmener par quelques gardes de confiance, dont le duc de Kmar, dans une geôle secrète que seuls ce dernier, ma maîtresse, et moi connaissions… Pour le moment gardons-le en bonne santé caché de tous ; je m’occuperai de son cas une fois toute cette histoire terminée.
Je pus facilement faire passer cette embuscade pour une initiative de Dmitri. Je fis assassiner les vampires ayant mené l’embuscade pour qu’ils ne révèlent pas la vérité, à l’exception du duc en qui j’ai toute confiance, puis j’arrêtai Dmitri. Il s’était mis presque tout le royaume à dos lorsqu’il continua à comploter presque ouvertement contre moi après le sac de Joltourmar…
Il fut facile de l’accuser de cette embuscade. Le procès fut rapidement réglé, il passa son temps à hurler sa haine contre moi et d’assurer qu’une femme au pouvoir serait la ruine du royaume… Peut-être que les autres nobles n’en pensaient pas moins mais étant donné les circonstances, tous me demeurèrent fidèles... Mieux valait une femme qui menait une guerre contre un ennemi capable de raser une ville et tuer sans scrupule de respectables familles de vampires, qu’un prince lâche ne considérant le trône que comme un siège des plus confortables sur lequel passer le reste de sa vie. Au vu de ses capacités intellectuelles, il eut mieux fait d’imiter Valentyn et de se désintéresser des affaires du royaume.
Ainsi en ce jour j’ai été comblée puisqu’au moment où mon « frère » fut exécuté, je mis au monde un jeune prince… Tout le chemin pour en arriver là n’avait pas été des plus agréables mais il faut bien reconnaître que son cri à la naissance, couplé avec ceux du prince Dmitri qui se faisait décapiter dans le camp et dont les hurlements me parvenaient, était le plus beau son que je n’avais jamais entendu. Sa frimousse reflétait déjà l’arrogance des grands princes. Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer quel destin glorieux serait le sien. A midi aujourd’hui le jeune Yegor est né ! Il deviendra un jour Yegor III d’Isgar !
Tous ces heureux évènements ne doivent pas pour autant me détourner de mon rôle de souveraine. Le repos n’est pas pour moi ! Je dois maintenant rallier Vanov avec mon armée afin de signer la paix avec Nikolaj III et l’assister dans sa campagne… S’il gagne… et bien une ère de stabilité s’ouvrira mais s’il perd… je tâcherai de ramasser quelques miettes de ce qui restera d’Orania. Au fond, pour mon fils mieux vaut un faible royaume humain à sa frontière qu’Orania qui demeure, malgré la défaite, la plus grande nation du monde.
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