Chapitre 55 : La bataille des cinq rois (partie 1)
Christina
Quelle journée ce fut ! Notre armée s’était organisée durant la nuit sous la surveillance des vampires de telle sorte que dès l’aube trente mille hommes sous le commandement de mon cher comte d’Or attaquèrent de front l’armée rebelle.
Nos forces avancèrent lentement afin de ne pas s’épuiser, ni perdre leur formation. Ce corps était composé à sa gauche des douze-mille hommes d’Ishka qui avaient été regroupés sur un front plus petit afin de compenser leur plus faible qualité guerrière. Au centre se trouvaient mes propres troupes et à droite étaient disposés dix-mille soldats d’Orania.
Cet immense masse avançait vers la troupe ennemie dont les effectifs devaient avoisiner les vingt-mille hommes. Bientôt les flèches de nos adversaires commencèrent à pleuvoir. Les hommes d’Orania et d’Isgar étaient habitués à ce genre de situation mais déjà ceux d’Ishka qui vivaient là leur baptême du sang ployèrent et ralentirent la marche, désorganisant ainsi toute la ligne, malgré les remontrances des vampires qui les accompagnaient. Voyant cela, l’ennemi dut ordonner de cribler en priorité cette partie de notre ost et bientôt les hommes d’Ishka se virent recevoir la quasi-totalité des projectiles. L’ensemble de notre infanterie marqua alors le pas afin de ne pas se disloquer. Après presque une demi-heure de difficile progression nos troupes arrivèrent au contact de celles du roi des hommes.
Bien que notre supériorité numérique fut évidente, le manque de discipline de notre ligne et l’hétérogénéité des hommes qui la composaient rendit la mêlée confuse et peu avantageuse pour nous.
En face les soldats étaient parfaitement coordonnés, les hallebardes tenaient nos hommes à distance, tandis que des arbalétriers positionnés sur les rangs arrières criblaient de carreaux nos premières lignes. Il sembla bien vite que l’organisation surpassait le nombre...
Par Valass que tout ceci était beau, je ne me lasserai jamais d’assister à des batailles, d’entendre la cacophonie des armes, d’écouter le chant des mourants, de voir la couleur du sang et de contempler la danse des armées s’attrapant l’une l’autre, le tout formant un ballet des plus grandioses…
Godefroy
Comme prévu l’ennemi n’attendit pas que le soleil se lève bien haut pour attaquer. J’avais reçu pour cette journée l’honneur de diriger en personne la ligne principale d’infanterie et, comme il me l’avait été ordonné, toute notre ligne était prête à accueillir nos opposants dès le petit matin. Au premiers rayons de soleil Renaud fit sa proclamation pour ce grand jour :
« Messieurs ! Aujourd’hui sera le baptême du royaume des hommes, célébré dans le sang de ses fils ! Aujourd’hui nous gagnons notre liberté ! Aujourd’hui nous terrassons ces vampires qui nous ont si souvent oppressés ! Que chacun fasse son devoir, pour lui, pour sa famille, pour sa race et pour le Grand Protecteur ! A l’issue de cette journée de souffrance nous serons victorieux et libres ! »
Tous les hommes hurlèrent leur engouement, levant leurs armes et hurlant le nom de Renaud, leur roi. Ce dernier rentra dans les rangs pour se mettre à l’arrière pendant que la ligne se préparait à recevoir l’armée qui s’avançait à notre rencontre. L’ennemi progressait lentement. Lorsqu’il fut à portée j’ordonnai qu’on l’accueille à grand coups de flèches ! Immédiatement tous les archers décochèrent et leurs traits vinrent se planter tantôt à terre, tantôt dans les boucliers, tantôt dans les corps.
Je remarquai que la gauche de l’ennemi semblait plus affectée par nos tirs et j’ordonnai donc à mes archers de se concentrer sur cette partie de la ligne. Des torrents de flèches se déversaient sur nos opposants, qui malgré tout ne rompirent pas leur formation, quand bien même ils ralentirent beaucoup. Nous commençâmes à notre tour à recevoir quelques traits et je vis nos premiers hommes tomber. Après une longue approche le corps à corps commença. Notre ligne accueillit donc ces inconscients. Comme à l’entrainement les deux premiers rangs composés de hallebardiers tenaient tant bien que mal l’ennemi à distance, tandis que le troisième rang composé d’arbalétriers décochait des carreaux dès que possible.
Ainsi nous subissions bien peu de pertes, sans pour autant leur laisser le moindre moment de répit. Dès qu’un de nos hallebardiers tombait, celui qui était derrière prenait sa place, l’arbalétrier prenait à son tour une hallebarde et le quatrième rang devenait arbalétrier rendant ainsi notre formation impénétrable.
La ligne tenait extrêmement bien et, même blessés, les hommes continuaient à se battre avec hargne et courage, alors que certains n’avaient jamais tenu d’arme jusqu’à cet hiver… J’admirai chacun de ces soldats qui, animés par la foi, accomplissaient des miracles.
Leur courage et leur bravoure étaient telles que vingt-mille hommes tenaient en respect plus de trente mille adversaires, leur infligeant de lourdes pertes. Il apparaissait malgré tout qu’à part sur notre droite, nos adversaires étaient plus expérimentés qu’à l’accoutumée mais qu’importe. Nous étions certains qu’avec Renaud à notre tête, nul humain ni vampire ne parviendraient à nous faire reculer, fussent-ils cent-mille…
Mais là n’était pas l’intention de notre roi. Après quelques temps de combat, j’ordonnai le repli de notre centre… Immédiatement le milieu de notre ligne recula, créant comme un appel d’air dans lequel l’armée ennemi s’engouffra…
Irina
3 juin de l’an 5007 après la guerre des sangs.
La bataille avait commencé mais alors qu’il me semblait que la ligne humaine tenait le choc, sans explication leur centre se mit à reculer. Immédiatement le gros des troupes s’enfonça dans la brèche. Je regardai alors la réaction du comte de Gamar et de Nikolaj qui semblaient en plein débat sur la marche à suivre. Ce n’était pas une dispute, il s’agissait plutôt d’une discussion dont on sentait que ce qui allait en sortir déciderait du résultat de la journée, de la guerre et du destin du royaume. Seule le roi Piotr IV trépignait de joie et hurlait qu’on envoie la réserve pour achever les hommes. Vassilissa quant à elle semblait davantage observer cette bataille comme un spectacle et ce brusque revirement de situation ne sembla pas déclencher quoi que ce soit chez elle. Bien que je n’entendisse pas le contenu de la conversation du général et de son roi, j’observai qu’ils se contentaient de lire les quelques messages que leur apportaient les cavaliers qui ne cessaient d’aller et venir dans le camp, probablement en provenance du combat. Après les avoir consultés, le comte de Gamar ordonna que la réserve dirigée par le comte de Similinmar soit effectivement engagée afin de briser la ligne.
Immédiatement les dix mille hommes qui étaient demeurés à l’arrière s’avancèrent au pas de course afin d’apporter le surnombre qui devait être décisif.
Je ne comprenais pas ce mouvement de la part de Renaud, peut-être avait-il perdu le contrôle de ses hommes, peut-être y avait-il eu un accident… Ou peut-être tout cela faisait-il partie d’un stratagème.
Toujours est-il qu’une immense masse de soldats s’enfonça bientôt dans la ligne humaine, tandis que les chevaliers pénétraient à leur tour dans la masse de soldats afin de rejoindre les combats au plus vite. Alors que la ligne était encore à peu près bien organisée jusque-là, notre armée commençait désormais à ressembler à une bouillie de soldats dans laquelle se démenaient quelques vampires qui luttaient pour arriver au contact…
Albert
Alors que la bataille battait son plein dans la prairie, de l’autre côté des reliefs nous voyions un immense corps d’au moins dix-mille hommes et plus d’un millier de chevaliers marcher afin de débouler sur le flanc droit de notre armée. Je pouvais voir depuis le bois où j’étais embusqué l’étendard d’Aartov, consistant en une couronne derrière laquelle se croisait deux haches le tout sur fond noir, flotter avec arrogance au-dessus de la troupe.
Nous attendîmes patiemment le bon moment . Lorsque l’ennemi se fut suffisamment avancé, dix-mille de nos propres hommes sous le commandement de Louis sortirent de leur bois et attaquèrent de flanc le détachement ennemi. Ce dernier fut surpris mais la prompte réactivité des vampires couplée à la charge de quelques chevaliers leur permirent d’éviter une déroute immédiate. Rapidement un combat parallèle au premier commença de l’autre côté des collines, à quelques centaines de mètres du premier affrontement.
Une fois l’armée adverse fixée, je sortis à mon tour de ma cachette, avec toute notre cavalerie ainsi que la compagnie des semblables afin de prendre de flanc le corps principal ennemi. J’avais reçu l’indication que son flanc gauche était faible : c’est donc là que je frappai ! Nous avançâmes avec célérité. Après une rapide course, nous déboulâmes sur la gauche adverse. L’infanterie des semblables les percuta sur le côté tandis que la cavalerie continuait son mouvement afin de se retrouver sur ses arrières. Presque aussitôt après le contact, les fantassins ennemis se mirent à flancher. Là encore, seuls les quelques vampires qui accompagnaient l’infanterie évitèrent une débandade immédiate. Mais notre manœuvre d’encerclement continuait et si l’attaque de flanc n’avait fait que bousculer l’ennemi, celle de dos l’achèverait…
D’un seul coup Renaud avait empêché que les vampires nous prennent de flanc en leur tendant une embuscade mais il en avait également profité pour que ce soit nous qui les attaquions à l’endroit où ils escomptaient recevoir des renforts et ce tandis que le gros de leur armée était agglutinée dans la poche formée par notre infanterie de telle sorte que tout riposte ou manœuvre leur était impossible.
Godefroy
… L’ennemi avança dans la poche formée par notre repli et rapidement les réserves rejoignirent les troupes déjà engagées. Cependant, dès lors que la poche fut suffisamment grande pour accueillir tous nos ennemis, nous stoppâmes net notre repli. Sans crier gare nous reformâmes une ligne compacte et impénétrable sur laquelle s’écrasèrent les premiers rangs adverses. Cette fois-ci le choc fut malgré tout dur à encaisser du fait de la quantité astronomique d’hommes et de vampires qui nous faisaient face. De temps à autre un vampire parvenait à se frayer un chemin jusqu’à nous. Instantanément les arbalétriers le ciblaient et peu d’entre eux parvinrent à réellement s’exprimer avant de se retrouver percés de dizaines de carreaux.
Rapidement nous vîmes, comme convenu, débouler sur notre droite non pas un détachement ennemi comme ce que le roi Nikolaj III avait préparé mais bien nos propres troupes composées de la compagnie des semblables et de la cavalerie menée par Albert et Joachim. Le premier choc fut encaissé par l’ennemi. Il semblait néanmoins que le second serait décisif. Attaqué de flanc et de front, la charge de dos ferait se débander l’armée adverse. Les vampires piégés dans la nasse de leurs propres hommes peinaient à se coordonner et à s’extirper. Chacun hurlait des ordres dans une totale confusion.
De l’autre côté des collines le combat devait sans doute être ardu mais le rôle de nos hommes était de tenir le temps que nous vainquions le gros des troupes. Une fois ceci fait nous nous précipiterions vers le dernier affrontement.
Encore fallait-il écraser cet amas de troupes et Albert s’en donna à cœur joie. Tous les vampires étant piégés au milieu des hommes. Ne s’offrait au maître de cavalerie qu’une bande de pauvres humains apeurés et épuisés par leur course pour arriver là. Chaque homme qui périssait dans l’armée ennemie m’attristait, bien qu’il s’agissait là d’un mal nécessaire. Pour chaque humain mort sous nos coups, cent allait être délivrés !
Albert chargea donc avec toutes ses forces l’arrière de l’ennemi afin de compléter l’encerclement. Les vampires semblaient aussi démoralisés que les hommes. Eux qui attendaient des renforts de l’ouest, voilà que c’était de là que venait le clou qui était en train de fermer leur cercueil. Les nombreux vampires arrivaient encore à maintenir un semblant d’ordre dans le ramassis de troupes qui nous faisait face sans que cela nous inquiète, ce n’était qu’une question de temps pour que les hommes rendent les armes et que l’on puisse exterminer les seuls vampires…
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