Chapitre 58 : Le dernier siège
Christina
Sous le commandement du comte de Gamar nous avions marché vers Arnov et avions mis le siège. Ce dernier fut long mais notre supériorité numérique rendait toute défaite impensable. A Chaque assaut que nous donnions l’ennemi paraissait plus faible qu’au précédent. Nombre de généraux pense que la victoire est pour demain !
Hélas Renaud est mort rapidement après la « bataille de la grande alliance ». L’armée continue néanmoins de promener son cadavre encore crucifié comme un trophée et, qui sait, peut-être peut-il encore à travers ses anciens yeux contempler la défaite de son armée et de sa race.
Une autre personne décédée est la maîtresse de Nikolaj III. Il se serait lassé d’elle selon ses propres dires et cette dernière aurait commencé à lui manquer de respect… Je ne pensais pas que Nikolaj III était le genre de vampire à tuer une amante mais après tout qu’importe. Il s’agissait d’une simple baronne sans famille et nul ne s’est ému de cette disparition.
Pour ma part je me désintéresse de tout cela, la seule chose occupant mon esprit est le moment où cette campagne s’achèvera et où je pourrai enfin retrouver mon fils et le duc de Cracvonia… Au moins mon mari est-il aux anges. Il semble bien plus à l’aise sur un champ de bataille que dans un lit… Enfin, j’imagine ne pas être de meilleure compagnie pour lui qu’il ne l’est pour moi… Lui aussi a malgré tout hâte de retrouver son fils… Peut-être finirons nous pas nous entendre les siècles passant.
Volodia
Plus que quelques heures à attendre avant l’aube et l’assaut final… Il est vrai que nous manquons d’humains pour parsemer « la voie des fous » de nouveaux pals… J’aime bien cette allée, il ne s’agissait auparavant que d’un simple sentier mais il fut décidé d’y exposer le cadavre de tous les fous ayant cru pouvoir renverser l’ordre de Valass, d’où le nouveau nom de ce chemin.
Enfin, il semble que la mort de leur roi les a légèrement ramenés à la raison tant ils se battent avec moins d’entrain que lors de la bataille de la grande alliance. Je passe désormais mon temps à imaginer ce que je ferai endurer à ces larves faites bipèdes. Je me surprends moi-même à certaines de mes idées.
Vivement que je rejoigne enfin Mokmar et que je me débarrasse de mes misérables haillons… Je pourrai enfin revêtir la véritable armure des chevaliers et retrouver le confort d’un foyer qui a trop longtemps été souillé par ces esclaves… Je pourrai par la même occasion faire revenir ma famille qui attend depuis trop longtemps à Aarsfald.
Cette guerre aura été bien plus dure que prévue. Sa fin n’en sera que plus agréable et, qui sait, dans quelques siècles le corps des explorateurs aura peut-être gagné en prestige. En avoir fait partie en premier sera alors source de fierté !
J’entends que le regroupement pour l’assaut final est en train d’avoir lieu, exterminons déjà cette vermine-ci avant de penser à la suite !
Albert
Voilà six mois que nous sommes assiégés et nous n’avons plus de vivres ni de moral… La défaite de la bataille des races fut terrible, l’armée ennemie ne nous a pas laissé une seconde de répit. A peine étions-nous arrivés à Arnov que nous y étions piégés sans espoir de secours… Qu’il est triste de voir qu’une multitude de batailles gagnées ne permet pas de survivre à une défaite…
J’entends le cor des vampires, l’assaut aura lieu dans moins d’une heure… Certains gardent la foi, persuadés qu’un miracle aura lieu, à l’image de ce benêt de Charles, mais la plupart sont désespérés. La faim et la misère sont des choses que même la plus ardente des dévotions peine à effacer. Quant à moi je sais ce qui m’attend si je suis pris… Tous les officiers tentent de remonter le moral des troupes, Louis s’est échiné à former les femmes et les enfants, Godefroy a courageusement mené ses fantassins lorsqu’il fallait défendre… Hélas, ils n’ont fait que retarder l’inéluctable… Pour ma part je ne prendrai pas le risque d’une capture…
Moi qui ai toujours recherché la paix et la tranquillité je ne l’aurai que rarement trouvé… Au fond je me savais perdu lorsque j’ai vu mon destin lié à celui de ces rebelles mais j’ai cru un instant que Renaud pourrait peut-être l’emporter… Enfin, qu’importe... Tout cela sera bientôt fini et j’espère trouver dans la mort ce que je n’ai pu trouver dans la vie : un peu de paix.
Bien que j’ai effacé le message je m’en souviens encore clairement, il était inscrit en lettres de sang sur la grand place d’Arnov où je me trouve en ce moment même à côté du cadavre de Vassili : « Albert, bientôt tu regretteras de ne pas t’être donné la mort à cet instant ». Je crois bien que ce message est d’actualité. Je ne tiens pas à reculer devant quoi que ce soit car, si je n’ai jamais trouvé la paix, je ne regrette aucun des efforts ni des actes que j’ai faits pour tenter d’y parvenir. Finalement c’est peut-être ce geste-ci qui me permettra d’atteindre le repos… C’était fort simple tout compte fait, tachons de ne pas trembler, je m’en voudrais de souffrir inutilement.
Godefroy
L’ennemi s’apprête à nous achever… Nous n’avons plus la force de le repousser après ces six mois de siège… Il semble que l’arrière-pays soit plus pressé de fuir que de nous venir en aide mais si nous devons nous sacrifier pour que jamais le souvenir de Renaud ne disparaisse, alors nous en serons fiers ! Il faut sauver ce qui peut l’être mais, par-dessus tout, il faut sauver le désormais roi Louen. Il faut dire que depuis la mort de Renaud le dernier brin d’autorité et de foi repose sur notre nouveau souverain qui n’est encore qu’un nourrisson. J’espère que Pauline a réussi à le mettre en sécurité car il représente l’avenir de toute une race.
Tandis que nous nous apprêtons à résister, affamés et désespérés que nous sommes, voilà que j’apprends qu’Albert s’est donné la mort sur la place centrale… S’il était bon commandant il aura finalement été lâche du début à la fin… Néanmoins peut-être est-il par cet acte bien plus sage que nombre d’entre nous.
Il s’agit maintenant de faire honneur aux hommes, en montrant à ces buveurs de sang qu’un humain sait mourir avec honneur les armes à la main ! Il est temps de leur montrer que même les plus jeunes fils de notre race sont prêts au sacrifice ! Il est temps de leur montrer que s’ils peuvent dompter nos corps, jamais ils n’asserviront nos âmes et que la liberté s’offre à tous ceux prêts à se battre pour la conquérir !
Renaud nous a montré cela et même si cette aventure se termine dans le sang et les larmes, nous aurons été plus nobles et libres qu’aucun humain auparavant… Même cette pensée n’arrive pas à me donner du cœur… Je me répétais ceci depuis six-moi et si cela avait pu fonctionner les premiers jours il était évident que l’effet se faisait de plus en plus discret avec le temps. Petit à petit je vis les hommes se regrouper, la mine déconfite, prêts pour essuyer un ultime assaut. Ni Louis ni moi n’étions d’humeur à leur faire un discours. C’est alors que Charles s’avança et hurla :
« Messieurs ! Renaud nous regarde ! Ils pensent nous intimider en exposant ainsi sa dépouille mais ils nous galvanisent ! Qui oserait fuir devant son souverain ? Qui oserait mourir l’épée propre devant son roi ? Lors de la bataille des races aucun des hommes qui protégeait Renaud n’a fui ! Et nous ne fuirons pas ! Nous ne nous rendrons pas ! On va prouver à chaque vampire qui s’avance vers nous que se battre contre la race des hommes comporte des risques ! Pour Renaud ! Pour le grand protecteur ! Pour l’humanité ! »
A ces mots tous retrouvèrent l’espoir, moi compris ! Donnons la meilleure image possible de l’humanité en ce dernier jour de vie ! Que les vampires gardent les marques de cet assaut dans leur âme et dans leur chair ! Qu’ils se souviennent de quels adversaires nous avons été ! Prouvons-leur qu’ils ne sont plus les seuls chevaliers en ce monde !
Epilogue
Le siège d’Arnov s’acheva sur un massacre, les humains affamés se battirent avec courage mais la fin était jouée d’avance. Pendant toute une année et sans même s’arrêter l’hiver, les vampires continuèrent à reconquérir leurs terres. Tous les humains découverts furent exécutés et vinrent orner la voie des fous. Nul ne sait si Louen réussit à survivre caché ou si son cadavre finit par décorer à son tour ce macabre chemin.
Après cet épisode l’alliance des quatre royaumes fut dissoute et la paix régna de nouveau sur le monde. C’est ainsi que Nikolaj III parvint sur le trône d’Orania et qu'une courtisane usurpa le trône d'Isgar.
Enfin tous ces évènements mirent en lumière le fait que, même plus de cinq mille ans après ce que les vampires prirent pour la fin de la guerre des sangs, cette dernière ne s’était en réalité jamais véritablement achevée.
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