Le divorce est entamé.

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  • Dépêche-toi un peu, qu'est-ce que tu fous, encore ?

Louise n'a pas le temps de répondre que sa jeune collègue lui balance de nouveau :

  • Tu sais qu'on a plus le temps de discuter avec les patients ! tu n'as pas encore fait la toilette et les soins de M. Chamignon ? ! Tu fabriques quoi avec eux ?

Louise travaille dans ce grand hôpital comme aide soignante depuis de longues années, maintenant. Elle débuta en tant que "fille de salle" et postula à une formation, prouvant sa volonté d'évoluer.

Elle aimait travailler, et son emploi lui plaisait. Au début !

Le contact avec les autres, prendre soin de ses congénères, leur apporter toute la bienveillance dont elle débordait. Aujourd'hui, cette qualité indispensable hier ressemble à un reproche. Des journées d'humanitude apparaissent sur le plan de formation de cette année.

Le monde marche à l'envers, pense-t-elle ! Cet enseignement ne devrait pas être quelque chose d'inné ? Et surtout cela va de paire avec la sollicitude, la vocation du monde soignant. La mentalité du secteur hospitalier devient celui des grandes entreprises du privé, avec comme mot d'ordre rendement, rentabilité.

À la tête de ces groupements hospitaliers, siégent des hommes aveuglés par le profit. Ils modifient à petit feu la gestion des établissements de santé, avec plus d'administratifs pour les soignants et moins de temps consacré aux patients hospitalisés.

Par le passé, Louise mettait un point d'honneur à se libérer pour remplacer au "pied levé" telle ou telle collègue malade, puis accepta de travailler en équipe du soir, ensuite du matin, et consacrait pratiquement tous ses week-end à son job. Petit à petit son enthousiame disparut avec ses heures de travail de nuit.

Ses tâches, réparties entre la lingerie, les changes, le nettoyage des couloirs communs, semblaient lui convenir. Elle s'aperçut progressivement que l'humain modifiait son visage dès que la crainte du noir et la méconnaissance assombrissaientt les esprits perdus. Certain patient criait, mordait, d'autres injuriaient. Et puis celles qui pleuraient toutes les larmes de leur corps sur les années passées, ou par peur que ne vienne la faucheuse.

Ne tenant plus à cette situation, Louise demanda un changement de service, et obtint au bout de la troisième requête et plusieurs années, une mutation en néo-natalité.

Sans hésiter, elle accepta, histoire de changer d'ambiance, sachant qu'elle vivrait un vrai calvaire devant toutes ces petites "larves" du jour. La vie lui refusait ce cadeau et elle souffrait de ce manque d'enfant. Le bonheur de la plupart des mères, l'angoisse des plus jeunes la bouleversait.

Il fallait qu'elle tienne encore un peu.

Depuis quelques temps, un projet lui tenait à coeur. Il nourrissait ses journées et l'obsédait même. Un soir de repos, elle visionna un documentaire à la télévision consacré aux "villages d'enfants". Son imagination la transporta dans une des dizaine de maisons, à la tête d'une petite fratie, conjuguant travail et vie personnel. Louise savait que son épanouissement atteindrait son zenith lorsque sa candidature aboutirait. Fière et heureuse de son idée, elle se concocterait un environnement sain, une existence normale à ces gosses maltraités, cabossés, et en manque d'amour.

À Midi pile, en ce vendredi 13, son téléphone caché dans sa poche de blouse, retentit. La sonnerie mise en sourdine, lui signifiait sa rupture avec l'hôpital. Le moment vint de rendre ses tenues de travail. Lors de sa pause, elle se dirigea vers le service du personnel, la tête haute, pour signer les documents qui enterineraient son divorce avec le secteur hospitalier.

Louise s'autorisa un dernier tour dans son service de nurserie, pour souhaiter une belle vie à chacun des bébés qui contribuait à une chorale de cris et de pleurs.

Et de saluer, dès le lendemain, son destin qu'elle se souhaitait dévoué et bienveillant.

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