Grand frère - 2ème partie
Arrivé devant la porte d'entrée, Dan fut surpris par la beauté de l'immeuble. D'autant plus qu'on était dans le quinzième. Son appartement devait être magnifique. Comment en était-elle arrivée à se droguer, à se comporter aussi mal avec les autres alors qu'elle avait tout pour être heureuse ? Elle avait réussi ! Elle était parvenue à tenir leur mère éloignée d'elle, elle était désormais tranquille, autonome, vivant du fruit de son travail. Que pouvait-elle attendre de plus de la vie ?
Après avoir composé le code d'entrée, un long bip lui indiqua que la porte était maintenant ouverte. Charlie ne s'était pas donnée la peine de demander qui c'était : visiblement, il était attendu. Il pénétra donc dans un magnifique hall en marbre blanc. Il monta les escaliers recouverts d'un tapis rouge qui était si propre qu’il semblait avoir été posé le jour même. Arrivé au cinquième et dernier étage, il tourna à droite, passa devant un ascenseur, fit encore quelques pas et arriva devant la porte de l'appartement. Il sonna un coup long pour être sûr qu'elle entende et qu'elle lui ouvre vite et attendit, nerveux, devant la porte. Quelques secondes plus tard, il entendit des rires. Elle n'était pas seule. Puis la porte s'entrebâilla. Il la poussa un peu plus et pénétra à l'intérieur. Aussitôt, Charlie et Caroline fondirent sur lui.
— Salut, beau gosse, lui lança Charlie, sourire aux lèvres. Entre, n'aie pas peur ! T'as amené le matos ?
Dan, aussitôt, fouilla la poche intérieur de sa veste et en sortit un petit sachet qu'il mit devant les yeux de Charlie. Un échantillon, commenta-t-il. Le reste est à l'abri chez moi. Si ça te plaît, je t'en amènerais autant que tu veux.
— Ok, c'est bon. Alors, tu peux rentrer, s'amusa-t-elle. Mais, bon quand même, continua-t-elle plus sérieusement en observant le sachet, c'est vraiment un petit échantillon. T'aurais pu en amener plus quand même. A trois, ça va aller vite, heureusement que j'ai mon stock ! Allez, rentre vite ! On a besoin de toi. Mets-toi à l'aise, enlève ta veste et installe-toi. Ne sois pas timide ! Qu'est-ce que tu veux boire ?
— Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu as ? Un whisky coca, un bourbon… ?
— Un bourbon ? Mais tu sors d'où toi ? J'ai pas de bourbon mais j'ai du J&B. Ah, si, j'ai peut-être, un bon whisky, du ... Glenfiddich, je crois. C'est bon, ça, non ? C’est un lecteur écossais qui m’a offert la bouteille pendant ma dernière dédicace : je peux te faire un whisky coca, un irish coffee aussi...
— Oui, si tu veux...
— Si tu veux quoi, demanda Charlie, décidément déroutée par ce garçon ? Bon, on va dire un irish alors.
Tandis qu'elle emprunta le couloir qui menait à la cuisine, Caroline proposa à Dan de s'asseoir sur le petit canapé en cuir et s'assit elle-même immédiatement sur la place libre à côté de lui. Alors que celle-ci le dévisageait tout en souriant béatement, Dan entendit le bruit de la cafetière en marche et, quelques secondes plus tard, il vit Charlie revenir avec une grande coupe de cocktail coiffée d'une fine couche de crème, d'un petit parasol et d'un bâtonnet qui lançait de multiples étincelles :
— Voilà beau gosse!
— Arrête de m'appeler beau gosse, s’il te plaît. Mon prénom, c'est Dan, répliqua celui-ci avec fermeté.
— D'accord Dan, capitula Charlie. Caro, t'as fait les lignes ?
— Non, pas encore, répondit-elle. Je faisais connaissance.
— Pas pour moi, Charlie, je prends que de l'herbe.
— Tu vends mais tu consommes pas, s'étonna Charlie. Mais comment tu fais pour savoir si elle est bonne ?
— Je me fournis à des personnes de toute confiance qui savent de quoi ils parlent puisqu'ils se fournissent sur place, directement… au Pérou, répondit Dan, du tac au tac sans lui laisser le temps de le déstabiliser.
— Au Pérou ! Je savais pas qu’ils faisaient dans la cocaïne, là-bas ! Bon, alors, prends de l'herbe si tu préfères. T'as ce qu'il faut ?
— T'as pas un bang ?
— Oui, bien sûr, j’en ai un. Je vais te le chercher.
Dès que Charlie se fut éloignée, Dan sortit de sa poche intérieure un petit sachet rempli d'herbe. Il en attrapa une grosse pincée et en fit une boulette. Puis, de sa main gauche, il prit une cigarette dans le paquet posé sur la petite table. Il en vida un tiers et ajouta le tabac à l'herbe. Quand il releva la tête, son regard tomba sur Charlie qui posait à l'instant même un gros bang en plastique rouge et vert. Elle avait déjà mis de l'eau à l'intérieur et lui demanda s' il y en avait assez. Dan opina et la remercia tout en continuant à l'observer.
Et chacun se drogua. À sa façon. Charlie et Caroline en sniffant une ligne par narine, Dan en aspirant de longues goulées d'air dans un glouglou tonitruant. Celui-ci prit son temps et termina son shoot bien après les filles. Celles-ci, aux aguets, un peu déstabilisées par cet homme très différent de ceux qu’elles côtoyaient habituellement, attendirent qu’il ait terminé en silence. Puis, dès que le dernier glouglou se fit entendre, Charlie se leva et s'approcha doucement de lui. Elle lui sourit légèrement et se mit à califourchon sur ses genoux. Dan l'observa quelques secondes complètement anesthésié par la drogue, puis, d'un coup, se leva.
— Arrête, lui lança-t-il ! C'est pas possible, je suis ton frère !
Charlie, interloquée, le toisa du regard pour ensuite se tourner vers son amie :
— Ça va pas bien, lui. N'importe quoi, qu'est-ce qu'il raconte ! Et se tournant vers Dan, arrête ton bad trip, OK !
— Charlie, je suis ton frère ! C'est moi, Dan, ton frère !
— N'importe quoi ! Casse-toi tout de suite, maintenant !
Et sur ces mots, elle l'attrapa et essaya de se diriger vers la porte d'entrée.
— Arrête Charlie, je suis ton frère, criait maintenant Dan !
— Casse-toi, hurlait Charlie !
— Arrête Charlie, calme-toi !
Elle continua à le tirer, tant bien que mal, en direction de la sortie. Dan résistait autant qu'il pouvait mais Charlie était déchaînée. Alors qu’ils se trouvaient maintenant dans le hall du grand appartement, Dan, attrapa sa soeur avec son bras libre, dégagea l’autre, le leva, prêt à gifler sa soeur, quand Caroline, qui jusqu'ici s'était contentée d'observer la scène sans savoir si elle devait intervenir, s'interposa et, en se glissant derrière Dan, attrapa ses deux bras. Immobilisé, ne cherchant pas vraiment à se libérer, celui-ci, ne désarma pas :
— Charlie, je suis ton frère ! dit-il plus doucement comme si, prisonnier de Caroline, il n'avait d'autre choix que de se calmer et de faire redescendre la pression. Tu me crois Charlie ? C'est moi, Dan, je suis le premier enfant que Véronique, notre mère, a eu. Tu n'as jamais entendu parler de moi ?
— Non, c'est pas vrai, c'est pas possible : j'ai jamais eu de grand frère... Je le saurais, ajouta-t-elle comme pour elle-même.
— Si, tu as un frère, Charlie, même si on t'a jamais parlé de moi. Je suis là, Charlie et, que tu le veuilles ou non, tu es ma sœur ! Pourquoi je te mentirais, ça serait quoi, mon, intérêt ? Pourquoi je serais venu te voir sinon ?
— T'es encore un illuminé, c'est ça ? Je suis connue, reconnue, célèbre, osa-t-elle avec un zeste de vanité, ça pourrait faire bien d'être mon frère dit-elle soudain sans conviction. J'ai plein d'argent, j'ai une vie qui ferait rêver n'importe qui...
— Et avoir une famille de cinglés, une mère dégénérée qui s'amuse à abandonner son fils parce qu’il ne lui plaît pas, une mère qui a tenté de t'échanger parce que son mari voulait un garçon et qui t'as appelée Charlie parce qu’elle voulait oublier qu'elle avait une fille, ça fait rêver? Non, moi, ça me fait pas rêver ! Ta carrière, ton argent, c'est du vent tout ça Charlie et tu le sais très bien !
— Comment tu sais ça, se contenta de répondre Charlie d'une voix monocorde ?
— Ta mère, elle a eu un mec avant ton père. Il l'a quitté sans savoir qu'elle était enceinte. Ce bébé, qu'elle attendait, qu'elle portait, c'était moi !
— Tu es mon frère !, énonça Charlie abasourdie. Seul son père et sa mère savaient qu’elle avait voulu l’échanger. Ou cet homme disait vrai ou sa mère avait été jusqu’à vendre son histoire au premier venu ? Non, ce n’était pas possible : ça l’aurait trop desservie. Passer pour une marâtre qui était prête à échanger son enfant, elle ne l’avait pas assumé à l'époque alors maintenant… Mais, même si cet homme ne disait pas la vérité, ce dont elle doutait à présent qu’il lui avait jeté toute son histoire à la figure, il avait raison sur un point : tout ça, sa carrière, son argent, sa vie d’auteure, c'était de la poudre de perlimpinpin...
— Prouve-le, lui lança-t-elle, dans un sanglot de larmes qui permit à Dan de comprendre, qu’enfin, elle l’entendait !
— Je n'ai pas de preuves, Charlie, juste une histoire : tu es ma sœur que ça te plaise ou pas, c'est comme ça... J'ai rencontré mon père il y a peu de temps et il m'a demandé de t'aider. Pour tout te dire, je l'ai fait pour lui, je lui ai promis de t'aider parce que je l'aime. Toi, je ne te connais pas encore assez, je n'ai vu que quelques images de toi et elles n'étaient pas flatteuses. Je me suis même demandé comment tu pouvais être ma sœur...
— Eh ben, t'auras qu' à lui dire que tu m'as aidée ! Casse-toi maintenant !
— Non, ça serait trop facile, ricana Dan. Maintenant que je suis là, je vais rester. Tu as besoin de moi et je ne vais plus te lâcher ! Tu sais pourquoi ? Parce que tu es ma sœur. Tu es la deuxième personne de ma famille que je retrouve et j’ai été suffisamment seul durant mon enfance pour savoir à quel point la famille est précieuse. Même si c’est ce que tu souhaites, je ne te laisserai pas tomber !
À cet instant, Charlie, comme profondément soulagée, en pleurs, tomba dans les bras de son frère. Dan, pris au dépourvu, lui dit qu'il était désolé, qu'il serait là maintenant, qu'elle ne devait pas s'inquiéter, qu'il s'occuperait de tout. Mais lui aussi ne pût s'empêcher de verser quelques larmes qu'il se hâta tant bien que mal de cacher.
Charlie pleura encore un peu puis essaya de reprendre ses esprits. Elle proposa à Dan et à Caroline de boire un verre et tous deux se rassirent, un peu penaud, autour de la petite table tandis que Charlie partit préparer les boissons.
Celle-ci disparut dans la cuisine et revint quelques instants plus tard avec trois cocktails. Elle s’assit entre eux et, après avoir lancé un regard furtif à son frère, décida de sniffer une autre ligne. En attrapant le plus discrètement possible sa carte de crédit pour tracer le trait de poudre blanche, elle se dit qu'après tout ce qu'elle avait entendu ce soir, il lui fallait bien un petit réconfort. Dan, qui s'était aperçu qu'elle l'avait un instant observé, leva les yeux au ciel : ça promet !
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