Le batelier
— J'ai ton passeport Véronique. Tu es entre mes mains, que tu le veuilles ou non. Tes enfants aussi sont là, en sécurité... avec moi. Ils sont très mignons. Alors maintenant tu vas m'écouter et faire ce que je te demande. Mais d'abord, je vais te laisser cogiter un peu, ça te fera pas de mal.
Il avait envie de rire : Voir Véronique si démunie, si désarmée, l'amusait franchement.
— Je reviendrai tout à l'heure. Si tu as un problème, tu cries et je reviendrais peut-être...
L'homme la laissa ainsi, abandonnée à son sort, attachée, bâillonnée et remonta tranquillement les escaliers. Il ouvrit la porte et se retrouva face à deux enfants qui ne le connaissaient pas. Deux enfants partagés entre la peur et la confiance, propre à la jeunesse, envers quiconque s’occupe d'eux.
— Vous avez faim, leur demanda-t-il ?
Le plus jeune ne pût s’empêcher d'opiner sans pour autant oser le dire de vive voix.
— Regarde, tu as des fruits, là, dans la corbeille. N'aie pas peur, sers-toi ! Comment tu t'appelles toi ?
— André, monsieur.
— Dis-moi André, à quoi tu aimes jouer ?
— À Fornite, m'sieur.
— À Forquoi ? C'est quoi ce jeu ?
— Un jeu qui se joue sur l'ordinateur, m'sieur.
— L'ordinateur ! À ton âge ?
— Oui m'sieur. J'adore les ordinateurs. J'adore hacker tout ce que je trouve surtout !
— Aquer ? ... C’est quoi aquer ?
— Je veux dire pirater, m'sieur, expliqua l'enfant en prenant une mine consternée.
— D'accord, je comprends mieux s'amusa l'homme. C'est bon à savoir, ça ! Et ton frère, qui visiblement n'a pas très envie de me parler, il aime « hacker » lui aussi ?
— Oh non, m'sieur, il est trop bête !
— Tais-toi crétin, intervint son frère ! Qu’est-ce que vous nous voulez ?
— Rien. C'est à votre mère que j'en veux ! Elle a commis des actes, disons, répréhensibles. Peut-être pas par la loi mais répréhensibles parce qu'ils ont causé pas mal de dégâts et de la peine à beaucoup de monde... Je ne devrais pas en parler avec toi, André, tu es un peu jeune, mais tu m'as l'air assez intelligent pour comprendre l'essentiel du problème. Alors, les enfants, je sais que je ne vous laisse pas le choix mais c'est comme ça, c'est votre mère, vous n'y pouvez rien. Elle a fait des erreurs mais c'est votre mère. Il faudra faire avec et essayer de lui pardonner. Parce que c'est votre mère...
— Qu' est-ce que vous nous voulez, insista l’aîné ?
— Je veux votre mère. Et je vous veux, vous aussi.
— Vous allez nous tuer ?
— Non, je vous aime déjà beaucoup trop pour ça.
— Et notre mère !
— Votre mère ? Je ne sais pas. Tout dépendra d'elle… Ne vous inquiétez pas, je ne la tuerai pas même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque, plaisanta-t-il. Bon, allez-vous coucher maintenant. Votre chambre, c'est la deuxième porte à droite. Et ne vous inquiétez pas, vous ne risquez rien.
— Euh, m'sieur, demanda André, vous avez un ordinateur ici ?
— Un ordinateur ? Tu veux me hacker ?
— Non, non, m'sieur.
— Tu es trop jeune, mon grand. À ton âge, à cette heure-ci, on dort ! Regarde, ta petite sœur, ça fait longtemps qu'elle dort ! Mais demain, tu me montreras ce que tu sais faire.
— Euh, sans vouloir vous offenser, je ne suis pas sûr que vous comprendriez ce que je fais… m'sieur.
— OK, de toute façon, maintenant, il faut dormir ! Toi, dit-il en montrant Adrien, reste là qu'on discute un peu tous les deux.
Adrien obéit et s’assit face à l'homme. Celui-ci proposa un verre de jus de fruit à l'enfant qui refusa poliment et reprit la discussion :
— Tu as des copains Adrien ?
— Oui.
— Ils sont dans ta classe?
— Oui, certains...
— Tu es en quelle classe?
— En CE2. Je devrais être en CM1 mais j'ai redoublé l'année dernière.
L'homme se contenta de lever ses sourcils pour montrer son étonnement.
— Et qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?
— Je ne sais pas : ma mère dit que je sais rien faire.
— Et toi, qu'est-ce que tu en dis ?
— Moi je m'en fiche. Je dis comme elle. L'école, ça m'intéresse pas de toute façon.
— Mais il n'y a pas que l'école dans la vie... Qu'est ce que tu aimes faire ?
— J'aime bricoler : je démonte et je remonte – enfin, j'essaie... – tout ce que je trouve..
— Tu sais que c'est la base de tout, ça : si tu sais te servir de tes mains, tu peux pêcher, tu peux chasser, tu peux construire, donc tu pourras toujours t'en sortir.
— Ouais, c'est ce que disait aussi mon père...
— Ah bon ! Et ta mère elle disait quoi ?
— Que c'était un con, qu’il fallait étudier pour trouver un travail qui rapporte.
— Et ta grande sœur, tu la vois des fois ?
— Non, pas souvent. Je l’ai vu à la télé l’autre jour. Elle avait l’air triste…
— Est-ce que tu sais pourquoi elle est triste ?
— Non, mais je crois qu’elle ne supporte pas ma mère et puis je crois aussi que notre père lui manque...
— Évidemment… Et toi, tu t'entends bien avec ta mère ?
Soudain, quelqu'un frappa à la porte. Machinalement, l'homme se leva, s'approcha de la porte, nerveux, et l'entrouvrit.
— Oui ?
— Rapido Pizza : deux Reines et une Calzone.
— Vous vous êtes trompé : c'est pas ici !
— C'est pas ici le troisième bateau à gauche avec une bâche bleue et un ruban vert sur le mât ?
— Bon, donnez-moi ça ! Ça fait combien, s’agaça l’homme ?
— Rien, vous avez déjà payé !
— Ah bon ? Bon, ben merci et au revoir alors.
— Au revoir m'sieur.
L'homme referma immédiatement la porte et se tourna vers Adrien.
— C'est un coup de ton frère ?
— Certainement, se contenta de répondre Adrien en haussant les épaules.
L'homme se rendit dans la chambre d'André et ouvrit brusquement la porte. L'enfant était dans son lit, les yeux fermés.
— Pas la peine de faire semblant de dormir André ! Ta pizza est arrivée !
— Ah merci, répondit André en se relevant dans son lit. Vous comprenez, une pomme, c'était pas terrible...
— Comment t'as fait : on n'a pas de connexion Internet ici !
— Vous rigolez : vous avez au moins trois voisins qui en ont une ! Plus la vôtre : votre téléphone, vous avez laissé le partage de données...
— Ah bon, j'ai laissé le partage de quoi ?
— De données !
— Et pour payer ?
— Vous devriez être plus prudent quand vous achetez sur Internet...
— Bon, ça suffit ! Viens la manger, ta pizza !
— Oui m'sieur.
Quand ils arrivèrent dans le salon, un autre homme était là, venant d'entrer, face à Adrien qui s'était levé de sa chaise et s' était réfugié dans un coin du bateau, sur la défensive.
— Ne t'inquiètes pas Adrien, il ne te fera pas de mal ! Puis, il se tourna vers l'autre homme.
— Alors ?
— Ils sont au poste de police. Ils sont en garde à vue. Il va falloir agir très vite si on veut y arriver.. On a deux jours voire moins si il y en a un qui parle...
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