À mon inconnue

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Tu es venue cette nuit-là. Cette nuit où j’étais dehors, à discuter avec des amis qui m’avait proposé de sortir plus tôt dans la journée. On avait donc échoué sur le parvis d’un bar et tu es arrivée. Blanche fille aux cheveux roux, tu es révélée tout-à-coup dans la rue. Ta démarche incandescente et ton regard indécent ont alors enflammé l’obscurité, telle une comète dans le ciel. Je me souviens n’avoir pu détacher mes yeux de toi. Et tu t’es approchée. Tu m’as frôlé, et tu es passée pour rentrer dans le bar. Plus tard, tu m’as avoué que tu m’avais remarqué en passant. Cela faisait vingt minutes que j’avais un verre vide dans la main, mais subitement, l’idée d’aller en chercher un autre m’avait paru excellente.

Dos à moi, tu étais déjà assise au bar lorsque je suis rentré à mon tour, dans cette pièce à l’ambiance étouffante et aux éclats sonores. J’ai pris le temps de t’observer. Tu portais une robe rouge, qui dévoilait tes épaules et contrastait avec ta peau, la rendant diaphane. Ce qui me frappait alors était ta maigreur : tes os semblaient juste te supporter, et cela te donnait un aspect fragile, comme une poupée de porcelaine qui se fissurerait à la moindre caresse. Tu as tourné la tête, m’offrant ton visage de profil. Tes yeux sombres, presque noirs, avaient l’air d’attendre, de me chercher sans me voir. Tes cheveux en boucles souples descendaient, glissaient à l’arrière de ton corps, fils de feux. Tu étais si flamboyante, je me sentais Icare et insecte, attiré par une lumière tentatrice.

J’ai finalement eu l’audace de venir m’asseoir juste à côté de toi. Tes yeux m’ont enfin remarqué, et je me laissais me noyer en leurs abysses. Tout-à-coup, je me retrouvais prisonnier, incapable de réfléchir correctement, et à la place de dire quelque chose qui susciterait nécessairement une conversation entre toi et moi, je t’ai proposé un verre, une banalité affligeante.Tu m’as souri et déclaré que justement, tu avais soif. Je pouvais maintenant te donner une voix, ta voix, qui sonnait douce et lointaine. Après que la commande eût été passée, je cherchais à en savoir plus sur toi, te demandais ce que tu faisais ici, ce que tu faisais de la vie, vers où tu habitais. Tu m’as répondu que tu venais boire des verres, que tu vivais principalement, que tu habitais pas loin d’ici. La conversation s’est poursuivie, les verres se sont succédés, tu répondais mais je ne savais rien. Lorsque j’osais te demander ton prénom, ton nom, un pseudo, quelque chose, tu m’as regardé d’un air sévère comme si je venais de briser une règle de politesse, avant de dire que tu étais simplement une inconnue. J’en ai ressenti une profonde frustration, mais j’avais bien compris que tu refuserais de me le dire pour l’instant. L’alcool m’engourdissait peu à peu le cerveau.

Et puis on est allé chez moi. Je n’aurais jamais osé le penser, mais toi et moi avons fait l’amour. Les frissons de plaisir terminés, la torpeur me gagnant, je n’avais alors pas le temps de te demander ton nom et pensais à t’en faire le requête plus tard. Mais au matin, tu étais partie.

J’étais désemparé. Je ne savais rien de toi et tu avais disparu, tel un rêve qui s’évapore lorsque le soleil nous fait ouvrir les yeux. Je développais alors comme un toc, celui de revenir dans le bar tous les soirs, et d’attendre. Attendre inlassablement. Durant ces soirées, je t’imaginais mille et une vies différentes, songeais parfois à mille et une nuits avec toi.

Je voulais te revoir.

Juste te revoir.

Toi.

L’inconnue.

Et puis au bout d’une semaine et trois soirs, tu es réapparue, exactement comme dans mon souvenir. Tu portais cette fois-ci une robe noire, et tu m’as repéré tout de suite. Je t’ai rejoint et me suis assis à la même table. J’entamais la conversation. Tu as fait comme si de rien n’était tout au long, comme s’il n’y avait rien eu. Je décidais de jouer le jeu, parce qu’il me semblait que c’était ça, un jeu.

Des premiers verres sont venus agrémenter notre discussion. Cependant, je voulais rester sobre et boire seulement tes mots à tes lèvres, mais poussé par la soirée qui passe, à défaut d’avoir l’occasion de ne pas refuser tes avances, je ne refusais plus les verres. À nouveau, l’alcool me montait peu à peu à la tête, je ralentissais le débit de mes questions, n’apprenais toujours rien de plus. À la place, je me perdais dans la contemplation de ton visage. Ton visage pâle-porcelaine, tes cheveux de feu dans lesquels j’aimerais brûler mes doigts, tes yeux noirs auxquels le vêtement couvrant ton corps était assorti, tes lèvres rosies ne demandant qu’à être embrassées.

Finalement, cela s’est terminé comme la première fois. Tu te donnais, mais sans jamais réellement t’offrir. Tu me rendais fou avec la moindre petite chose, me donnais envie de tout tenter pour avoir un regard langoureux de ta part. Et doucement, après l’amour, tu te mettais à me parler de mort.

Je t’écoutais, malgré les ténèbres voulant s’emparer de moi. Ta voix me berçait, j’ai fini par m’endormir, tes os m’enserrant contre toi.

Et le lendemain, tu n’étais plus là.

Cette fois-ci, j’expérimentais non seulement le désarroi, mais également la colère. Parce que tu m’obsédais. Oh oui, que tu m’obsédais ! Mais tu te refusais, te faisais plus lointaine à chaque fois que je t’approchais, reculais de deux pas à chaque fois que j’en faisais un seul. Toutefois, je me doutais que si jamais j’en venais à courir pour t’attraper, tu disparaîtrais à jamais.

Je crois que je suis tombé amoureux.

De toi, mon inconnue.

Et je chutais, me perdais dans ce sentiment. Mais tu ne revenais pas. J’attendais à nouveau ; je patientais encore. Je ne savais pas si dans cette histoire, le temps finirait par être mon allié. Mais il semblait être une poids éternel sans toi. Plus les soirs dans ce bar désormais familier s’accumulaient, plus je craignais ta disparition définitive.

Et à nouveau, tu es revenue. Comme cela était probablement prévu, comme cela était peut-être écrit, peu importe, tu étais là. Tout a repris. La conversation, le jeu, d’abord, puis les verres ensuite. C’était à croire que, pour rester auprès de toi, il valait bien mieux tomber dans l’alcool qu’amoureux.

Et puis, soudainement, tu me disais de ne pas m’attacher. Que si jamais ça arrivait, il faudrait que tu partes. Parce que tu refusais que je tombe amoureux de toi ou que je développe un quelconque sentiment d’attirance envers toi.

À mes yeux, il n’y avait que toi et moi. À tes yeux, il n’y aura jamais de nous.

Une fureur mêlée de désespoir me gagnait. À quoi tout cela rimait-il ? Pourquoi fuyais-tu ? Pourquoi est-ce que tu ne cessais de te refuser à moi tout en te donnant ? Mais je tentais de contenir mes émotions et mes questions en moi-même, car je ne voulais pas que tu disparaisses. Parce que je ne voulais pas disparaître à tes yeux. Alors j’ai fait comme toi : je me suis caché. Et tout a continué.

Cependant, l’idée que tu t’évapores à nouveau m’était intolérable. Je ne voulais plus te perdre, je voulais te garder. Aussi t’ai-je emmené chez moi comme d’habitude, et plus tard, alors que tu semblais prête à t’endormir, je luttais pour garder les yeux ouverts. La nuit était longue, interminable. Je manquais à tous moments de m’endormir, essayais de me remuer sans te réveiller, en venais à me griffer volontairement les bras avec un bout de fil de fer qui traînait par là. J’étais incapable de réfléchir normalement, une seule pensée m’obsédait : ne pas te laisser partir.

Ne pas te laisser disparaître.

Ne pas te laisser partir.

Malgré tout, j’ai fait des micro-sommeils, des micro-rêves. Je voyais à chaque fois le cadavre d’une fille rousse qui me fixait de ses yeux sombres et vides.

Et puis, l’aube approchait. Je sentais tout-à-coup un mouvement à côté de moi, et tu t’es levée tout doucement pour commencer à rassembler tes affaires. Vivement, je me suis retourné et t’ai attrapé le poignet. Tu as poussé un cri, avant d’essayer de te dégager. Je m’agrippais à toi, je te suppliais de rester, de rester avec moi, de me dire ton nom, de ne pas avoir peur. Je te suppliais, mais tu as fini par te libérer. D’un seul mouvement, tu as repris tes affaires, m’as jeté un regard vide et mortel, et tu as disparu en laissant la porte entrouverte, lui faisant subir à présent la caresse du soleil renaissant.

J’étais abattu.

J’avais perdu. Je t’avais perdu. Tu as disparue. Et depuis ce jour-là, je ne compte plus les soirées dans le bar, parce que je ne sais plus si c’est utile. Parce que cette fois, tu ne revenais pas.

J’ignore si un jour, tu verras ce message. J’ignore si, avec le temps, tu me reverras. J’ignore si je le supporterais dans le cas contraire. J’ignore tout, j’espère juste. J’espère que tu reviendras. Quant à ceux qui ont lu ce message par hasard, en se sachant non concerné par cette histoire, je n’aurais alors qu’une seule chose à leur dire : sombrez, amoureux ; votre chute ne sera que plus profonde et magnifique.

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