Pluie, fromages et chocolat.
Des trombes d'eau, le déluge.
Une nuit de tempête, une nuit sans étoiles et sans lune. Une nuit de merde !
Will n'était pas chez lui, pourtant elle l'avait prévenu qu'elle venait, mais non personne chez Will !
Et les déferlantes de pluie, les bourrasques de vent. Vraiment il en entendrait parler. Vu l'heure plus aucune chance de rentrer chez elle, vu l'heure assez peu de chance que Will rentre chez lui. Elle soupira en frappant une dernière fois contre la porte close au cas où il ne soit qu'endormi, mais aucune réponse. Lucie soupira de plus belle, elle porta un regard aux alentours en cherchant une solution.
Le rendez-vous avait pourtant été convenu, un week-end à la campagne. C'était peut-être un peu de sa faute, elle était arrivée à la bourre par le dernier train en partance de Paris et arrivée là, personne. Lucie réfléchissait à ses options, elle ne pouvait pas rentrer chez elle, plus de train vu l'heure. Elle ne connaissait personne à part Will dans ce bled. D'ailleurs pourquoi Will avait déménagé là, ça aussi c'était la grande question, pourquoi s’enterrer dans un bled pareil ? ça elle ne comprenait pas bien.
Prendre une chambre à l’hôtel de la poste ? Impossible ses finances étaient au plus bas, venir en train n'était pas un problème, elle ne payait pas le train, mais elle avait fait des courses avant de venir, elle était un peu à sec, ça rendait l’hôtel un peu plus compliqué. Où allait-elle bien pouvoir passer la nuit ? Il fallait qu'elle trouve un endroit au sec.
La pergola de la maison de Will ne servait à rien et ne la protégeait pas des éléments déchaînés. Le garage et l’atelier étaient fermés, elle ne pourrait pas s'y abriter. Son sac était lourd, rempli de bonne choses à manger pour ce week-end, pourquoi Will lui faisait un plan comme ça ? Il en entendrait parler pendant longtemps !
Lucie réfléchissait au quart de tour, où trouver un abri pour la nuit ? Remonter vers la ville ? Se terrer dans la gare ? Non ça ne servirait à rien, les portes de la gare avaient été fermées derrière elle. Y avait eu personne pour l'attendre à la gare d'ailleurs cela aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais elle n'avait pas réfléchi et avait fait le chemin à pied, et pourtant entre la gare et chez Will c'était pas la porte à côté ! Mais il est vrai qu'il ne pleuvait pas encore, le temps était même doux. Faire les cinq bornes séparant la ville de la jolie maison de Will avait même été agréable.
Il n'aurait pas plu Lucie se serait juste assise sous le porche, se serait allumée une clope tranquille et aurait attendu le jour sans peur et sans aucune appréhension, mais seulement la tempête s'était levée, et là c'était juste pas possible. Le hameau où Will s'était établi était petit, pas de commerce, pas d'amis ou voire juste de connaissances, Lucie plissa des yeux, une idée germait sous son crâne. La jeune femme réajusta son sac sur son épaule et sorti du jardin qui entourait la petite maison d'un pas décidé et rapide.
La gare du bled de Will lui avait semblé une bonne idée pour se protéger de la tempête, même si elle était désaffectée depuis un moment. Ça elle le savait, à cause de lui, il voulait l'acheter cette gare, parfois la SNCF mettait d'ancienne gare en vente. Will avait creusé, mais la gare n'était pas à vendre. Mais maintenant qu'elle était devant le bâtiment, une petite maison ne payant pas de mine, elle se demandait si ça avait été une si bonne idée. Il fallait trouver une entrée, Lucie se mit à faire le tour du bâtiment en observant les portes, les fenêtres. Par bonheur il y avait un carreau de cassé.
Avec difficulté elle se hissa sur le rebord de la fenêtre, Lucie n'était pas sportive, mais quand il faut, il faut, là si elle voulait être au sec bouge-toi les fesses. Prenant garde à ne pas se couper, Lucie passa par l'ouverture providentielle.
La pénombre était épaisse. Elle s’éloigna de la fenêtre par laquelle rentraient la pluie et le vent pour s'avancer dans la pièce. Son pied cogna dans un truc, elle n'y voyait vraiment rien. Un éclair zébra la nuit, et lui donna l'impression de voir un négatif de photo. Ça avait été fugace, mais elle avait repéré un truc vers la gauche du mur, près des portes qui menaient jadis au quai. Lucie se mit a farfouiller dans son sac pour sortir une grosse boite d'allumettes, elle était humide !
Vive les sacs en toile qui protègent rien pensa-t-elle. La première allumette refusa de prendre, elle n'était pas stressée, elle en avait d'autre. Vive les grosses boites d'allumette de cuisine ! Pourtant tout le monde se fichait d'elle lorsqu'elle sortait ça de son sac quand on lui demandait du feu ! Elle trouvait ça bête, parce qu'une boite d'allumette ça coûtait vachement moins cher qu'un briquet et que ça durait plus longtemps !
Mais bon elle surprenait toujours, quand on lui demandait l'heure elle sortait un réveil de son sac, elle avait même une grosse clé de douze qui lui servait à ouvrir sa porte en cas d'oubliage de clés, et ça ça arrivait assez souvent, alors qu'oublier sa clé de douze non. Par contre elle avait oublié sa lampe torche, d'habitude elle avait une lampe torche dans son sac, mais les victuailles qu'elle avait apportées avaient pris trop de place, il avait fallu faire un choix et sa lampe torche était restée sur la table du salon, elle s'en serait donné des claques.
L’allumette émettait des petits crachats de souffre, Lucie la tenait du bout des doigts le bras tendu au-dessus de sa tête, et l'image d'une statue de la liberté en solde lui traversa l'esprit. Lucie se déplaça lentement vers ce qui l'avait intéressée, nouvel éclair dans la nuit. Elle était dans la bonne direction, ses yeux s'habituaient à l'obscurité, elle parvenait à distinguer les contours des choses. Arrivée à son objectif, la jeune femme se pencha et se mit à regarder le sol. Bingo ! Elle avait bien vu !
Elle s'assit dans la poussière, posa son sac au sol et gratta une autre allumette. Tout le monde la trouvait étrange et ne se gênait pas pour lui faire remarquer. Son absence de montre, son absence de briquet, son absence de clé, son absence de téléphone portable. Ça elle en avait un, pourtant elle ne comprenait pas à quoi ça servait, pour elle à rien du tout, et elle passait son temps à l'oublier. Mais là elle devait bien admettre qu'un coup de téléphone pour prévenir Will de: " Je suis devant chez toi. T'es où ? ", aurait été assez pratique, et même bienvenue.
Mais elle n'en avait pas, ou tout du moins il devait être resté sur sa table de nuit, ou au boulot, ou quelque part dans un lieux qui n'était en rien la place d'un téléphone, une fois elle l'avait retrouvé dans son frigo.
Encore dans l'obscurité Lucie gratta une seconde allumette, puis une troisième, la quatrième voulu bien prendre, elle attrapa alors ce qu'elle avait vu, au sol il y avait des bougies, plusieurs. La flamme vacillante eu un crépitement, elle en alluma certaines, halo de lumière mordorée et tremblante dans la pénombre. Enfin elle pu distinguer son entourage, sur les murs des tags, des graffs, au sol des bouteilles, des papiers d'emballages, des canettes de bières écrasées. Bon elle était dans le squat des jeunes du coin. Vu le temps elle se doutait que personne ne viendrait et de toute façon si quelqu'un se radinait, pas bien grave, elle expliquerait sa situation.
Lucie soupira de nouveau, ses vêtements lui collaient au corps, elle avait même froid. De nouveau les yeux de la jeune femme firent le tour de la pièce, cherchant si elle aurait pu trouver un truc à brûler pour faire du feu et se réchauffer. Il y avait bien un cercle délimité par des pierres avec un foyer en son centre. Peut-être que les utilisateurs de l'endroit avaient une réserve de bois, ou de combustible. La pièce était vide encore quelque banc le long d'un mur, le guichet fermé par un rideau métallique, il y avait même le composteur près de la porte menant aux quais. Sur les murs de vielles affiches déclarant « Voyager à moitié prix avec la carte demi tarif ! » et « Visitez la côte d'azur ! » La côte d'azur semblait bien loin, et bien inatteignable sur le moment, dehors c’était de pire en pire.
Lucie claquait des dents, elle attrapa une bougie et se leva pour faire le tour de la pièce, marcher la réchaufferait, près du comptoir fermé elle trouva un monticule à moitie caché par une bâche en plastique, quand elle souleva la bâche, un tas de bûches avec des vieux journaux. Ces squatteurs étaient prévoyants et organisés, elle attrapa quelque bouts de bois ainsi que plusieurs journaux, au moins elle aurait un peu de lecture en attendant que le jour se lève, que la tempête se calme. Et tranquillement, sans impatience se mit à faire du feu dans le foyer. Lucie aimait faire du feu, impression de redevenir au temps des cavernes, des premiers hommes, impression de savoir quelque chose d'important. Pour elle faire du feu était important, et d'ailleurs la preuve. Bon elle avait des allumettes alors elle trichait un peu, mais quand même !
Le feu prit et se mit à craquer doucement, son ombre lançant sur les murs des ombres fantomatiques et étranges, dansantes. Lucie s'assit tranquillement, devant elle une feuille de journal propre, elle se mit à explorer son sac. Le pain aux figues qu'elle avait apporté pour manger avec les fromages était trempé, celui aux noix encore sec, les fromages ça allait. Il y en avait toute une ribambelle, elle les posa sur la feuille de journal, la bouteille de vin pour aller avec un petit Saint-Emilion. De sa poche de son blouson de cuir elle sorti un couteau, le cran d’arrêt eut un bruit sec quand elle fit sortir la lame. Lucie aimait ce bruit. Tranquillement elle coupa un bout de pain et pondéra un moment ne sachant quel fromage choisir. Elle opta pour un chèvre coulant, elle avait faim, et tant pis pour Will, il n'avait qu'à être là. En plus manger près de ce feu la réconfortait.
Le temps passait lentement, de temps en temps, elle sentait un courant d'air froid, entendait un petit grattement, oui il devait y avoir des souris. Et elles aussi avaient bien le droit de se protéger de la tempête. Le vent chuintait, le tonnerre grondait et la pluie sur le toit tombait toujours sans faiblir. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vécu un moment comme ça. Une éternité. Elle mangeait lentement, en regardant le feu, laissant courir ses pensées, elle aurait bien aimé avoir quelque chose à boire, la bouteille de vin avait retrouvé le sac n'ayant pas de tire-bouchon. Lucie avait des tas trucs son sac mais pas ça. Une fois son repas achevé, elle se frotta les mains sur son jean humide, rangea les fromages ainsi que les restes de pain dans leurs papiers, puis elle sorti de son sac une boite de métal, et lentement entreprit de se rouler un pétard, tout en comptant mentalement ses clopes.
Il lui en restait cinq dans le paquet, mais elle avait un paquet neuf qu'elle avait acheté à la gare avant de monter dans le train, elle avait aussi pris deux trois barres chocolatées, des rochers au caramel, à la coco. Elle en trouvait rarement, et quand ils passaient sur sa route, elle craquait toujours. Non côté bouffe, côté clope y aurait pas de problème. Côté chaleur, c'était bon, et elle était au sec, finalement elle s'en sortait plutôt bien, la situation aurait pu être tellement pire. Elle ne risquait rien vu la cambrousse que c'était !
La jeune femme retira son cuir, et le mit en boule pour en faire une sorte de coussin. Se couchant en chien de fusil le corps vers les flammes, elle laissa son regard errer dans le feu et s’assoupit.
Ce fut un bruissement étrange qui la sorti du sommeil, un bruissement sorte de froufroutement de tissu, y avait plein de froufroutement là... Lucie eut une sorte de grognement, les paupières encore closes, son esprit enregistrant les bruits. C'était étrange, la pluie tombait toujours, mais semblait loin, diffuse comme au travers d'un nuage de coton, sous une grosse couette.
Et toujours ce froufroutement, ces petits courants d'air dans son dos, effleurements. Elle n'avait pas froid, comme ensuquée, une étrange torpeur l'envahissait encore. Elle ne savait pas si c'était du au froid, non elle n'avait pas froid, aux effets du pétard qu'elle avait fumé avant de s'endormir, elle se trouvait assez lucide. Ou bien peut-être qu'elle n'était pas tout à fait sorti du sommeil, encore prise dans ses rêves. Elle entendait des rires d'enfants. Cela lui fit froncer les sourcils, et lui amena une moue en coin.
Les yeux mis clos Lucie percevait l’âtre. Le feu avait diminué les bougies qu'elle avait laissées allumées étaient consumées, et pourtant c'était étrange, impression de lumière de clarté émanant du foyer. Alors que non, le feu était même presque mort, sur le point de s’éteindre, juste quelques braises rougeoyantes semblant battre, respirer.
Les sons semblaient plus nets, plus francs. Des voix de femmes, des rires d'enfants autour d'elle. Des pas, le bruit d'objets posés au sol. Bruit de canne, ce petit tac tac régulier, bien particulier. Et puis il y eu la voix sonore « Le train en direction de Honfleur va entrer en gare ! Eloignez-vous de la bordure du quai ! Le train de Honfleur va entrer en gare ! » …..
Le train de Honfleur ! Ouais bin oui, bien sûr Honfleur...
Elle ouvrit les yeux, la surprise la réveillant tout à fait. Au loin elle entendit un sifflet retentir, le vieux truc comme dans les films, le sifflet de la locomotive encore à vapeur ! Comme dans les westerns ! Ce genre tuuuuuuuut.
Et le bruit de la machine, le bruit du train, le crissement du métal sur le métal, le grincement si aiguë qui annonçait de loin le freinage. Et l'odeur lourde, acide, presque piquante. Lucie se redressa doucement en se frottant le visage, puis elle ouvrit les yeux en grand sous la réalisation et du bruit et des voix, elle leva le regard...
La gare était pleine de monde !
Des femmes vêtues étrangement, d'une autre époque d'un autre temps, des femmes en robe à faux-cul avec des corsets, les manches bouffantes, tenant dans des mains gantées des ombrelles légères. Et sur leur tête des chapeaux, des tas de chapeaux... De dingues, remplis de plumes, de dentelles, de fleurs et de fruits...
Heu...
Des enfants en culotte courte courant un peu partout, ou au contraire se tenant bien droit, un air dédaigneux sur leur visage dans leur petit costume bleu, le chapeau de marin sur la tête tenant de grandes épuisettes. Les petites filles en robe blanches à frous frous, les bottines noires luisantes à petits boutons, les anglaises et des chapeaux à rubans, souriantes montrant leurs petites quenottes...
Heu...
Des hommes en redingote noire des hauts-de-forme ou des melons posés sur des chevelures luisantes, plaquées et la moustache fine regardant leur montre à gousset, un journal sous le bras. Des hommes en veston marron, les grosses chaussures et la casquette avec des femmes pendues à leur bras leurs corsages ouverts, beaucoup moins guindées, celles-là...
Hein ?...
Et ce bruit, ce crissement acide se répercutant sur les murs, envahissant l'espace. Et toujours cette odeur de métal chaud tiède beaucoup plus nette, cette fumée un peu acre, et le sifflet du train qui s’arrête pour faire place aux ronflements, aux cliquetis. Bête épuisée, soufflant, crachant des jets de vapeur. Grondements diffus, en suspension. Ronronnements de dragon.
« Le train de Honfleur deux minutes d’arrêt ! »
Effervescence parmi les voyageurs, les enfants s’accrochant aux jupes des femmes, les hommes tendant leur bras. Les rires et les sourires. Les premiers bains de mer. Et toute cette foule était montée dans le train une fois d'autres voyageurs descendus. Ça se croisait, soulevait son chapeau, ça tirait des valises, des malles. Un homme la pipe au bec, des paniers en osier autour du ventre, un journal s'en échappait se battait avec de nombreuses cannes à pèche.. Le train siffla trois fois, le bruit de machine qui ronfle, ce thic thic thic de plus en plus rapide pour pouvoir enfin faire repartir la masse du train. Chuintements, souffles rauques, sifflets aigus, raclements prenant de la vitesse, sensation que le sol tremblait. Le train était reparti dans la nuit, ombre mouvante passant devant les portes vitrées de la gare. Le bruit s'évanouissant, se perdant dans la nuit, dans la pluie.
La gare était de nouveau deserte, impression que la porte menant à l’extérieur battait encore. La scène s'était dissoute, le feu n’émettait plus cette douce lumière, il s'était complètement éteint, la pluie était de nouveau là, sèche, mitraillant le toit. Un frisson froid lui traversa l’échine alors qu'elle s'était redressée tout fait, en clignant des yeux. Elle tâtonna pour attraper une bougie, elle en avait gardée plusieurs au cas où le feu s’éteigne.
Lucie eut un long soupir, tout en se frottant le front, une moue particulière sur les lèvres, elle fronçait les sourcils. La moue se transforma en une esquisse de sourire. Ok.... tranquille... Elle venait de passer la nuit, nuit pas encore finie, même si ça ne saurait tarder au milieu de fantômes se rendant à Honfleur pour leur premier bain de mer... Hum, elle eut une moue un peu désabusée... Que c'était-il passé ? Est ce le train qui était fantôme ? Ou était-ce la gare qui se rappelait ? La jeune femme eu un mouvement de tête en allant chercher un peu de bois, elle ralluma un feu et se rassit en tailleur devant. En haussant les épaules elle s'alluma une clope, le bout incandescent de l'allumette dessina des traits rouges dans l'air. Le mouvement de poignet était vif. Lucie clignait des yeux inspirant la première bouffée de tabac. La surprise, la réalisation se peignait sur son visage... petit pouffement.
Oh bin ça alors quand même... C'était dingue ! Elle avait dormi au milieu de Spook central. Nouveaux pouffements.. Tss personne la croirait jamais... On allait encore la traiter de cinglée ! Lucie haussa les épaules.. Bah ça elle avait l'habitude.
Elle resta éveillée fumant et mangeant ses chocolats attendant que le jour se lève, la tempête semblait s’atténuer en même temps que la nuit déclinait.
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