Le temps guérit les blessures

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  Allongé face au plafond de mousse, il patiente. Chaque seconde s’étire à l’infini, ne cessant de prolonger cette interminable attente.

     Trois.

Coups.

Secs.     

  Le bois résonne encore, le sort de cette torpeur. Il se lève d’un bond et en un tour de clé, la serrure cède ; le battant laisse place à une jeune femme. Dans la pénombre, il ne distingue que sa silhouette. Il recule et la laisse pénétrer sa demeure.

  Pas à pas, la lumière l’accueille entre ses bras nitescents et l’inonde de clarté. Elle semble se matérialiser sous ses yeux ébahis. Il n’en revient pas. Vêtue d’un simple short en jeans et d’un haut crème, son invitée lui fait pourtant perdre ses mots. Ses cheveux auburn, tressés en une natte épaisse, reposent sur son épaule. Elle ne cesse de jouer avec, la glissant entre ses doigts agiles. Sur son nez trône une monture noire aux traits légers. Les prunelles bleu-pastel du garçon répondent à l’appel de son regard chocolat qui perce ses lunettes. Pourtant, les deux orbes bais fuient, incapables de soutenir le poids de son attention. Ses lèvres fines couleur pêche s’étirent délicatement, laissant place à un sourire timide. Finalement, sa joie transparait ouvertement ; elle affiche avec noblesse une dentition parfaite. Les traits de son visage, d’une douceur et d’une grâce incomparable, sont merveilleux. Sa beauté en devient irréelle.

  Elle tend à son hôte une bouteille en verre qu’il s’empresse de mettre au frais. Il la boira plus tard, en compagnie de sa prestigieuse invitée. Elle prend place sur le lit, il s’assied à ses côtés. Leurs conversations, aussi diverses que variées, se perdent dans le silence de la nuit. Centre de son attention, aucun mot de la jeune femme ne lui échappe. Son regard ne peut quitter les prunelles sombres qui lui font face. Elle, poursuivant ses mille et une locutions, ne connait pas la soif et persévère. Seule la fatigue la rattrape.

  Ce soir, comme tous les autres, il lui souhaite une bonne nuit et l’accompagne jusqu’à la porte de son logis. Une fois dans l’immense couloir, elle le salue d’un geste timide de la main et s’en va sans se retourner. Abandonné là, sur le pas de sa chambre, il observe sa silhouette gracieuse le fuir. Alors qu’elle disparait, il rentre dans sa demeure tel un pagure. Son antre maintenant clos, il retire son masque. Ce visage qui est sien sans vraiment l’être… Il ne montre que ce qu’il veut. Il le sait ; elle aussi. Il se laisse mollement tomber sur son lit et soupire. Il connait le mal qui le hante. Et pourtant, il ne peut s’en défaire. Accueillant la fatalité les bras ouverts, il perd le maigre sommeil qui lui était malgré tout offert et s’égare dans les méandres de son esprit tortueux.

  Ce soir, comme tous les autres, il ne peut fermer l’œil de la nuit. Alors il se saisit d’un papier, un crayon ; et couche ses idées sur cette immaculée blancheur. Il écrit, encore et encore, déposant mots et harmonies lyriques, créant mondes et univers. Pourtant, tandis que le ciel s’est drapé de son manteau d’étoiles, il lui dédie cette ode, cette idylle. Et une perle saline quitte ses yeux, muette. Elle lui a échappé. Il la chasse d’un geste sec, dédaigneux ; il ne peut se le permettre, il n’en a pas le droit. Son cœur endolori se manifeste, s’exprime, hurle. Mais sa raison dictatrice, censure, tait et enferme ce qui lui causerait du tort.

  Il l’aime. Ce poison insidieux s’est répandu en lui. Il veut le lui dire, se soulager partiellement de ce fardeau qu’il porte. Mais il en est incapable. Il tient trop à elle pour risquer de la perdre. Alors silencieusement, il souffre. Son cœur se libère de sa prison de mutisme et le long de ses joues coulent de fins serpents salins.

  Le temps guérit les blessures. Il ne l’a jamais autant espéré.

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