IEL
Je me suis approché comme un ninja, me suis collé à son dos et ai passé les bras autour de sa taille pour poser les mains sur son entrejambe… ‘’Surprise ! Ça te tente, un quick shaggie dans la réserve, G43L ? ai-je murmuré dans son cou.
— Surprise ? Je t’ai vu.e de loin, et entendu.e, aussi, tu n’es pas discret.e. Mais ta prop’ est trèèès poétique, pourquoi pas, J3r3m4.
— C’est J3r3m1E ! Je me tue à te le dire, G43L, ai-je grogné en remontant mes mains sur son torse, pour y buter sur un… deux obstacles inattendus
Ce n’est qu’alors qu’iel s’est retourné.e que j’ai compris mon erreur…Je sais vraiment pas comment iel s’appelle, en fait, iel – pronom neutre, socialement correct – doit venir du niveau -2, celui des polys/multis, ceux qu’on appelle les ‘prototypes de lendemain de veille du Grand Architecte de l’Univers’, G43L et moi.
Depuis quelques cycles quotidiens, iel traine dans nos corridors, être indéfini, comme il y en a de plus en plus dans notre génération, faut dire, évolution génétique, et pas trop dans le bon sens pour l’avenir de l’humanité dont parle le Maître…
De dos, dans le couloir -4 du bunker, mêmes cheveux bleus, mêmes implants sous-cutanés sur la nuque, je l’ai pris.e pour G43L, erreur humaine compréhensible, assez fréquente lorsque trop de sang migre de mon cerveau vers ailleurs.
— Mais t’es qui, toi, en fait ? C’est quoi, ton tag ? ai-je craché, en le/la voyant pointer vers moi ses attributs multiples.
— Je n’en veux pas, c’est trop personnalisant, tellement début 21è… Je plaisante un peu, puis je comprends, tu es un élève de Maître Oogway, attaché aux traditions de l’ancienne réalité ! Mais l’actuelle est là-haut, à la surface.
— M’embrouille pas, il n’y a plus rien là-haut, les radiations, les plantes empoisonnées, les animaux mutants, tout ça. Je le sais, c’est…
— Oogway qui te l’a dit, ok, ok.
— Il sait de quoi il parle, il est âgé, il était là !
— Je sais pas, J3r3m…1E, âgé, ça sous-entend la sagesse d’un esprit encore alerte, et lui… Il avait déjà soixante révolutions solaires lors de l’Évènement, il en a quoi, là ? Cent-dix, non ? Il est vieux.
— Critique pas le Maître, pétasse !
— Attends, tu m’as genré.e, là ? a-t-iel glapi, faussement choqué.e..
— Désolé, je…
— Et là, tu viens de te genrer toi-même, c’est plus trop acceptable socialement, tu le sais, ça ?
— Tu me critiques, tu me prends la tête…
— Non, je te corrige. Et je me moque un peu, j’avoue.
— Mouais, bon. Sinon, avec tes éléments… surnuméraires, ça va pas le faire, déso-pas-déso.
— Je ne suis pas frustré.e, a-t-iel dit, les… quick shaggies avec les clones, tu sais, je connais mieux.
— Je suis pas un clone !
— Oh si ! Physique standard, performances probablement moyennes, raisonnement programmé… Moi, pour le meilleur ou le pire, je suis un produit de l’évolution naturelle dans le bunker, dit-iel, en agitant sa poitrine, avant de soulever sa tunique sur le détail plus familier à mes préférences.
Et étrangement… disons… joli ?
— Bref ! me suis-je ressaisi. ‘’Et… avec qui as-tu connu mieux ? Avec un des tiens au -2 ?’’ ai-je demandé avec peut-être un peu trop d’arrogance.
— Avec Sem, Caïn… mais pas le plus mignon, également inaccessible à cause de mes attributs féminins vraiment trop rédhibitoires, Adam… il devrait te plaire, et inversement.
— Connais pas d’4D4M, ni les autres, en fait.
— Non, pas en leetspeak, c’est A-d-a-m.
— Dans la graphie de la langue ancienne ? Qui l’utilise encore ?
— Eux, en haut, tout en haut, a-t-iel répondu en pointant le doigt vers le plafond du corridor. ‘’Ils ont survécu et ont repeuplé la surface.’’
— Tu es sorti.e ?
Patiemment, iel m’a expliqué avoir, un jour de déprime, osé entrouvrir l’une des portes d’accès du bunker, pour découvrir un monde à nouveau verdoyant, à l’air non-conditionné, et non-contaminé, puis une faune et une flore paisibles, domestiquées par des humains naturels. Pas ‘naturels-dénaturés’ comme iel, non, vraiment, comme la nature le veut.
Je l’ai suivi.e sur les volées d’escalier de béton de notre abri, jusqu’au palier supérieur, où iel a posé la main sur un boîtier.
— Tu vas vraiment le faire ? ai-je murmuré, peu assuré.
— Tu n’es pas curieux d’autre chose que ce en quoi consiste ton existence ici, J3r3m1e ?
— Je…participe aux tâches communes, j’apprends, je suis logé et nourri…
— Et de temps en temps, un petit coup vite fait dans un couloir… Édifiant.
— Que proposes-tu, alors ?
— Ce que tu décideras, tu n’es… disons… puisque tu persistes à garder une conscience archaïque des genres… tu n’es pas le premier ou la première que je fais sortir, aucun.e n’a voulu revenir. Alors, curieux ?
Le doute qui m’a saisi, m’a fait réaliser que je suis vraiment très influençable, et que je l’ai finalement été toute ma vie. Sinon toute ma… survie, car que représente-t-elle de plus ? Une étrange lassitude m’a fait soudain admettre l’inanité de notre existence dans la Base de Survie.
— Vas-y, tu as peut-être raison, qu’ai-je à perdre ?
La porte s’est entrouverte sur tout ce qu’iel avait décrit, une faune et une flore vivantes et actives ! Je me suis débarrassé de mon matériel d’assistance respiratoire et, une fois passée l’euphorie provoquée par l’oxygène naturel, de mes chaussures, pour marcher les pieds nus dans l’herbe.
— Rejoignons le village, m’a proposé Iel, que j’ai suivi.e, partagé entre l’air frais que je respirais à pleins poumons et la sensation de la nature sous mes pieds.
— Les gens, regardez, Prométhée nous amène un nouveau ! a crié un grand mec indécemment genré, lui, option viril.
— C’est qui, Prométhée ? C’est toi ?
— Je t’ai dit, en bas, je n’ai pas de tag, mais ici, ils ont décidé de m’appeler comme le dieu de l’ancien monde qui a offert le feu – l’allégorie, ou la métaphore d’une meilleure vie – aux humains, ça les amuse, je m’y suis fait.e.
— Mais tu ne choisiras jamais ton genre ? ai-je osé.
— Je ne le dois, ne le veux… ni ne le peux vraiment, étant ce que… ou plutôt, qui je suis, mais toi, oui.
— Il est clair, je pense.
— Clair… Ce que tu penses de moi ne l’est probablement toujours pas trop, mais ce que tu en as vu… sinon attentivement regardé l’est bien plus, a dit iel, avant d’appeler le garçon qui avait annoncé son arrivée.
— Sois le bienvenu, m’a-t-il dit… vraiment très il, lui.
— Je te présente Adam, a dit Prométhée, ‘’Adam, voici… Je te l’ai dit, on pratique la langue et la graphie anciennes ici… voici Jérémie. Un truc me dit que vous pourriez bien vous entendre…’’
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