1. Réveil difficile
La nuit me laissa à peine le temps de récupérer qu'une alarme retentit, m’extirpant d’un énième rêve dont je ne me rappellerais jamais. Mon téléphone affichait neuf heures et j’entendais déjà des gens circuler dans l’immeuble. La famille Perkins partait en voyage et des pas lourds dégringolaient les escaliers, faisant au passage vibrer mon appartement. Mes cheveux hirsutes et mon mal de crâne témoignaient d'un sommeil agité. Après une douche et un t-shirt des Foo Fighters enfilé, mes yeux décidèrent d’afficher la HD. Le salon montrait encore les stigmates de la soirée d’hier : des bières vides et un cendrier qui ressemblait à un volcan de mégot en éruption sur une table basse en plein coma éthylique. Mon téléphone sonna de nouveau, j’avais reçu un message de Gwen.
« Salut Marc, j’ai oublié mon écharpe chez toi, je peux passer la récupérer ? »
Je jetai un rapide coup d’oeil à la salle et la repérai aussitôt, échouée sur un coin de table. Je lui répondis par l’affirmative et me mis à nettoyer la scène de crime.
Je descendis les marches de l’immeuble discrètement mais ne trompais personne, le tintement des bouteilles raisonnait et l’odeur de tabac froid qui se dégageait du sac me donnait des haut-le-coeur. En ouvrant la porte du hall, un mur de lumière frappa mon visage. La chaleur sur ma peau était agréable toutefois la lumière m'éblouit. J’avançais à tâtons vers la ruelle derrière l’immeuble pour me délester de mes cadavres. En chemin je croisai les Perkins en train de remplir le coffre de leur voiture à la manière d’un Tetris grandeur nature. Alors que je me demandais comment ils allaient réussir à insérer autant de bagages dans un si petit coffre, je repensai à ce que je m’étais enfilé hier soir. Avec un peu de volonté, ils devraient s’en sortir. D'ici, j'avais une vue d'ensemble sur le carrefour de Hicks et Cranberry Street. Des rangées d'arbres aux feuilles roussies séparaient les véhicules stationnés des habitations où brique et bois se mélangeaient. Mon regard se posa spontanément sur la vitrine de l'EMJ's Coffee et l'envie de me purger par la caféine m'envahit. Ni une, ni deux, je traversai la route en vérifiant les poches de mon jean et en sortis quelques dollars chiffonnés, juste ce qu’il fallait.
Une fois mon café en main, je rentrai à mon appartement en prenant soin de saluer la famille Perkins qui s’en allait tout gaiement. Comment faisaient-ils pour être aussi niais et heureux ? Aucune idée, cependant, j’espérais ne jamais finir comme ça !
Je ravalai ma mauvaise langue d'une grande gorgée et montai les marches de mon palier. De retour chez moi, je m’assis un moment à mon bureau, le temps de lire mes mails en écoutant « Paint It Black » des Stones. Je m’abandonnais aux riffs de Keith Richards, mes pensées divaguèrent, encore perdues dans le brouillard. Je les laissai m’emporter jusqu’à m’assoupir.
La sonnette hurlante me fit sursauter. En me relevant, je me cognai la tête contre l’une des poutres, idéal pour un lendemain de cuite, cela eut au moins le mérite de me réveiller. Je râlai en me tenant la tête, espérant ainsi étouffer la douleur. J’ouvris la porte et découvris une Gwen toute fraiche et pleine de vie.
— Salut Marc, comment ça va ? lança-t-elle en souriant.
Je l’invitai à entrer d’un geste de la main.
— J’ai plus de mal que toi à me réveiller visiblement !
— Ne te fais pas d’idées, c’est aussi difficile pour moi, rigola-t-elle.
Comment pouvait-elle dire ça ? Elle rayonnait ! Ses cheveux étaient bien peignés et elle débordait d'énergie, tout mon contraire.
— Au fait j’ai croisé un homme dans ton hall qui m’a remis une lettre pour toi, dit-elle en me tendant l’enveloppe. Tu as déjà fait le grand ménage ? Tu es motivé dis donc, ajouta-t-elle en scrutant le salon.
— Je n’aime pas recevoir dans la crasse, tu devrais le savoir. Ton écharpe est là, lui dis-je en désignant la table du doigt.
Je m’adossai au coin de la fenêtre tout en sortant une cigarette de mon paquet. Je l’allumai, en tirai une bouffée et ouvris le courrier.
— Alors, qu’est-ce que ça dit ? m’interrogea Gwen.
— C’est une invitation pour un entretien, ça vient de chez Everest Company, tu connais ?
Je lui tendis la feuille de papier, un peu sceptique, pour qu’elle l’examine. Elle la parcourut en long et en large avant de lancer :
— Non ça ne me dit rien, mais tu cherches un boulot en ce moment, non ?
— C’est vrai, mais tu ne trouves pas ça étrange qu’un homme te remette une lettre en main propre pour un entretien ?
— Écoute Marc, tu as vingt-six ans, tu n'as rien à perdre en saisissant cette occasion. Et si ils prennent la peine de t’envoyer un courrier c’est sûrement qu’ils aiment faire les choses proprement. Tu devrais y aller, ça ne coûte rien d’essayer, conseilla-t-elle.
Elle avait raison, je ne travaillais plus depuis six mois et une opportunité qui vous tombe comme ça, dans le bec, ça ne se refuse pas.
— Je suppose que tu as raison, je vais y aller et je verrais bien.
À l’instant même où je terminai ma phrase, mon téléphone vibra. Je m’en saisis et un mail s’afficha sur l’écran :
Everest Company - Confirmation de rendez-vous
Je l’ouvris, un peu déboussolé, et découvris la confirmation de mon entretien pour aujourd’hui, à quatorze heures. Je tirai une autre bouffée sur ma cigarette et restai dans mes pensées un instant, oubliant presque Gwen. Elle me caressa le bras avant d’ajouter :
— Je ne comptais pas m'éterniser alors je vais te laisser te réveiller, tu en as bien besoin je crois. Mais appelle-moi plus tard si tu veux, on en rediscutera.
J'acquiesçai d'un hochement de tête. Elle fourra son écharpe dans son sac et quitta l’appartement aussi légèrement qu’elle était venue. J’écrasai ma cigarette à moitié consumée et entendis la porte claquer. Je restai un moment à la fenêtre et aperçus Gwen remonter la rue. Je la suivis du regard, comme en signe de protection, jusqu’au coin où elle disparut.
Je campai là en savourant la brise qui effleurera mon visage. Mes pensées se perdirent de nouveau, embrumées par cette nouvelle qui m'apportait plus de questions que de réponses.
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