La parisienne

2 minutes de lecture

Dans une rame de métro relativement vide, je m'étais assise en biais avec une jolie femme. Levant un instant le nez de mon livre, je me suis égarée sur l’ombre de son reflet flottant sur la vitre. Quelque chose m’interpellait chez elle, impossible de me détourner.

Elle semblait pourtant très propre sur elle et bien habillée, chic même. Tout de noir vêtue, elle affichait le subtil équilibre de la silhouette citadine moderne : un peu bourgeoise sans trop l’assumer. La mine froide, presque sévère, elle avait occulté tout son environnement, entièrement rentrée au dedans d’elle-même. Un coup d’œil plus appuyé révélait néanmoins quelques bavures sur cette gravure de mode. Ses bottines, bien que cirées, étaient affaissées, usées, tandis que le chignon où s’emmêlait sa chevelure terne paraissait sur le point de s’écrouler. Ainsi il y avait des failles chez ce qu’inconsciemment j’érigeais déjà en mythologique figure de la Parisienne. Voilà qui ne la rendait que plus intéressante, plus humaine. Ce n’était pas qu’une effigie plaquée dans le décor, elle était incarnée.

Ce n’est toutefois pas le détail de son allure qui m’a frappé, mais sa complète inertie. Elle s’était entièrement suspendue dans le temps, figée comme dans une peinture. Pas un souffle. Toute sa concentration était tournée vers l’écran du téléphone qu’elle avait entre les mains. Plus rien ne bougeait en elle, ni ses yeux, ni sa poitrine. Sur son visage, un pli de lèvres extraordinaire s’était gravé, comme découpé au couteau. Sa bouche entrouverte s’étirait exagérément vers son menton dans un rictus douloureux. Quelle infernale nouvelle venait-elle de recevoir ? Pendant quelques sublimes et immobiles secondes, je la crus muette d’horreur, au bord des larmes. De mon inconfortable position de voyeuse, je pensais assister à l’effondrement d’une statue de glace. Qu’elle était terrible cette contemplation de l’impassible parisienne submergée par ses émotions.

Alors même que me chatouillait l’élan d’aller à sa rencontre pour lui offrir une piteuse épaule, le temps reprit soudain son cours, et ce mouvement de bouche si tétanisant termina son processus de mastication. Le mystère de son expression était un simple chewing-gum collé aux gencives. L’ellipse temporelle n’avait existé que pour moi, me laissant tout le loisir de lui accoler quelques vaines histoires qui ne menèrent qu’à une désillusion. Pas de moment de grâce dans les souterrains, pas de révélation humaine. La belle n’était point en peine, mais bovine.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Squabe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0