Accueil chaleureux
Lorsque le convoi arriva en vue de Vinrek, une part de la crainte du consul s'envola. C'était bon d'être chez soi, dans un endroit civilisé.
Ils passèrent sous les imposantes murailles argentées décorées du blason blanc et pourpre de Vinrek. Sitôt qu'il fut entré, son convoi fut acclamé par une foule de citoyens. Ils appelaient son nom avec espoir et joie.
- "Ils te voient comme un sauveur." Lui dit Oniress. "On dirait qu'aucun lunatique ne voudra t'abattre. Dommage."
Onmal ne dit rien. Il respira profondément en s'assurant d'avoir bien ajusté son pourpoint et son chapeau.
Malgré la pression de la foule, l'escorte ne laissa approcher personne. Lorsque, semblant surgir de nulle part, des licteurs se montrèrent et vinrent former un cordon de sécurité autour du convoi du magistrat, la foule se maintint aussitôt à distance respectueuse.
Le carrosse fit halte devant le grand temple de Methrovirsk. Une vaste structure de pierre peinte d'arabesques bleutées et à l'architecture complexe et torturée dans un style gothique. La grande porte de marbre s'ouvrit et un prêtre sortit, suivi de quatre novices qui marchaient lentement, les paupières closes, récitant des prières et répandant un encens au parfum capiteux qui embaumait de la porte du temple jusqu'à la rue.
Le prêtre était un gros homme vêtu d'une robe complexe d'une blancheur immaculée, marquée sur le torse d'un cercle pourpre, symbole de l'infinité et de Methrovirsk. Il avait un crâne chauve et un visage dur.
Onmal descendit du carrosse et vint s'agenouiller devant lui. Un silence respectueux se fit entendre autour, tandis que le prêtre donnait sa bénédiction au consul.
- "Onmal Ankassen, que le seigneur Methrovirsk qui règne sur la terre comme au ciel et qui coordonne le temps et la vie daigne poser les yeux sur vous et accorder sa miséricorde à votre âme méritante. Que dans votre foi vous trouviez la force de protéger ses fidèles, que dans votre zèle vous trouviez la force de châtier ses ennemis. Que sa lumière éclaire votre gloire passée et future et que sa bénédiction vous apporte toujours victoire quels que soient vos projets."
Onmal baisa la main du prêtre, puis ce dernier repartit vers son temple sans un mot de plus. Le rite était expéditif, mais efficace. Le consul attendit respectueusement sans bouger que la porte se soit refermée puis remonta dans son carrosse. Le convoi se remit en route, toujours suivi par une grande foule, menant cette fois Onmal vers la place centrale où il tiendrait un discours. Il reprenait confiance. Il était de coutume pour n'importe quel noble ou magistrat de passer au temple pour recevoir la bénédiction de Methrovirsk en entrant à Vinrek; mais le fait que le prêtre l'attendait et le discours qu'il avait tenu en public donnait bien l'impression qu'il soutenait Onmal dans ses projets. Après tout il n'avait peut être pas à s'en faire. Les élections étaient peut être déjà gagnées.
- "Tu sais parler aux foules." Fit Oniress. "Tu n'auras qu'à faire comme d'habitude."
Bientôt, ils parvinrent devant le bâtiment de l'assemblée. Là, se trouvait une estrade sur laquelle les magistrats venaient parler aux citoyens de Vinrek.
La foule qui les avait suivi depuis l'entrée de la ville se mêla alors à la foule qui attendait ici. Toute la population de Vinrek était venue l'écouter. Onmal fut d'abord transporté de joie, avant de se faire la réflexion que si cette foule montrait le nombre de ses partisans venus l'écouter, elle montrait aussi son nombre de détracteurs venus uniquement pour dénaturer ses propos. Prenant son courage à deux mains, il sortit du carrosse et monta aussitôt sur l'estrade. Des milliers de voix l'accueillirent en un cri de joie inouï. Il s'avança, le torse bombé, la main sur la garde de son épée, et un sourire mesuré au bord des lèvres.
Il vit que les licteurs repoussaient la foule plus loin de sa personne. Une idée traversa alors son esprit. Après une seconde à peser le pour et le contre, Onmal décida de mettre de côté sa crainte pour tenter un coup bénéfique politiquement. Il ordonna aux licteurs de laisser la foule s'approcher plus. Les citoyens, fous de joie vinrent l'acclamer aux pieds de l'estrade, sous le regard inquiet des licteurs.
- "Un discours ! Un discours ! Un discours !" Scanda la foule.
Onmal les laissa crier un temps pour qu'ils s'excitent d'eux même, puis il fit signe qu'il allait parler.
- "Citoyens de Vinrek, je dois vous remercier pour votre accueil chaleureux qui me conforte dans l'idée que notre cause à tous saura prévaloir. Messieurs ! C'est un honneur pour moi d'être représentant de vos idéaux, car oui je vous ai compris. Je sais aussi bien sinon mieux que la plupart d'entre vous ce que c'est que vivre dans la terreur des bêtes. J'ai vu, moi, pas comme ces hommes que je ne nommerai pas qui prétendent être notre élite alors qu'ils ne savent rien, j'ai vu de mes yeux et j'ai combattu les bêtes monstrueuses qui infestent notre monde comme de la vermine pestilente. J'ai été les combattre jusque par delà la grande forêt noire et j'ai lutté sans relâche pour contenir leur appétit de chair humaine. J'ai vu ces mufles suintants de bave, ces cornes sanglantes et ces sabots rougeoyants tandis qu'ils dépeçaient hommes femmes et enfants. J'ai croisé le fer avec eux, épée contre hache primitive, et je sais, je sais quel danger guette vos vies, vos familles, vos enfants. Je sais ce qu'il en est et je sais quoi faire. Les dégénérés veulent infiltrer notre société et la détruire jusqu'aux fondations, parce que c'est ce qu'ils sont: l'essence du mal incarné ! La marque même de notre destruction. Je sais ! Je sais que certains, ici même, dans notre cité ô combien sacrée, fomentent la perdition du genre humain. Ils se cachent le jour avec des capes de peau humaine, et la nuit venue ils rejoignent les bêtes dans les forêts et mugissent autour de feux de camp primitifs et s'adonnent à des rituels païens mêlant dépravation et bestialité. Là, dans les ténèbres, les dégénérés forniquent avec les bêtes et leur permettent de se multiplier comme des rats. Je sais ! Mais c'est fini ! Nous ne pouvons pas laisser cette vermine abjecte se reproduire à l'infini tandis que nos dirigeants se tournent les pouces. Je sais ce que certains vont dire. Les bêtes nous fournissent des esclaves serviles. Mais si vous réfléchissez sérieusement, vous savez ! Vous savez ! Le danger est incommensurable. Ils se reproduisent en ce moment même et si nous les laissons faire, il leur faudra peu de temps pour submerger tout ce que l'on a, briser les colliers des esclaves, et balayer notre cité elle même. Si cela venait à arriver, c'est non seulement nous tous qui en serions les victimes directes, mais aussi toute l'humanité pour qui cela signerai sa perte. Les rôles s'inverseraient et les humains seraient le bétail de ces animaux anthropophages. Mais je ne laisserai pas cela arriver. Cette seule idée m'est intolérable ! Je sais ! Je sais quelle est la voie à suivre. Je ne vous demande pas d'abattre vos esclaves, ni d'arrêter d'en capturer. Je vous demande simplement de m'accorder votre confiance. Il faut que quelqu'un se charge d'écraser les hordes qui se rassemblent dans nos plaines ! Quelqu'un doit s'opposer à l'avancée galopante de ces créatures haïssables qui ne rêvent que de vous dévorer vivant ! Quelqu'un doit faire quelque chose pour sauver l'humanité tant qu'il en est encore temps ! Or, puisque personne jusque-là n'a eu la prescience de s'en charger, c'est moi qui m'acquitterai de cette lourde tâche. Devant vous, je fais le serment de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour l'humanité et pour Methrovirsk ! Et vous savez que mon pouvoir peut être très grand, selon votre volonté à vous ! Je ne vous demande qu'une chose, acceptez de savoir ce qui se trame contre nous ! Ne réfutez pas la vérité ! Nous savons ! Il nous faut agir ! C'est là notre transcendante mission !"
Quand il eut terminé, les cris de la foule semblèrent perdre toute limite. L'agitation la faisait ressembler à un océan tempétueux. Les gens criaient de joie ou scandaient avec zèle les slogans "nous savons !" et "la transcendante mission" comme des verbes sacrés prononcés par un saint homme. Onmal salua avec tout son panache naturel, et resta un moment pour écouter la foule et l'encourager. Finalement il remonta dans son carrosse qui se remit en branle, toujours suivi de son escorte.
Oniress accueillit Onmal avec un sourire.
- "Pas mal ton improvisation. Tu es parvenu à imprimer profondément dans leurs petites têtes deux slogans. Nous savons et la transcendante mission. Maintenant ils vont le répéter sans arrêts.
- C'est le talent." Déclara-t-il fièrement. "Tu l'as dit toi même.
- Veille toutefois à ne pas trop t'emporter contre le reste du sénat. Ils vont finir par mal réagir.
- Ils nous accusent déjà de menacer la république, que pourraient ils faire de plus ?
- Tu regagnes bien vite en confiance dis donc. Et s'ils t'assassinaient
- Mes craintes étaient injustifiées. La foule était suffisamment proche pour que quelqu'un en sorte et me poignarde. Pourtant ils n'ont fait que m'acclamer.
- Justement, parlons en…" Fit elle avec un regard en arrière. "Tu les a laissés si frénétiques que ça risque de se retourner contre nous. Que dirons nous si dans l'euphorie générale ils lynchent nos opposants ?
- Nous dirons que nous n'avons aucunement trempé dans la planification de ces actes regrettables, en soulignant au passage que le peuple a manifestement émis un avis qui nous est furieusement favorable."
Oniress parut peu convaincue, mais elle haussa les épaules.
Le carrosse fit le tour du bâtiment du sénat. Dans une ruelle vide de toute populace se trouvait l'entrée des magistrats. C'était loin de l'agitation de la ville que l'élite de la société se rassemblait pour discuter de questions d'importance.
Le carrosse s'arrêta. Un valet vint leur ouvrir la porte.
Onmal descendit en premier puis se tourna vers Oniress et lui prêta son bras pour l'aider à descendre les marches du carrosse. Elle accepta l'attention avec flegme puis dégaina de la main gauche un petit éventail avec lequel elle se ventila le visage.
- "Faites annoncer Onmal et Oniress Ankassen !" Lança-t-elle au valet.
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