Colère divine
Onmal jeta un regard à Anal Shapnyr, le sorcier, qui se tenait toujours aussi immobile. Il ne semblait pas près d'utiliser ses pouvoirs.
- "Les pouvoirs occultes d'un sorcier ne sont pas simples à utiliser." Avait-il un jour avoué à Onmal. "Les prêtres accomplissent des miracles simplement en appelant Methrovirsk. Il leur mâche le travail, il faut le dire, mais par là même leurs capacités sont très limitées, car ils ne feront jamais plus que ce que leur dieu voudra bien les laisser faire. La sorcellerie, c'est différent. On puise directement dans l'énergie à la base de toute magie, à la base de Methrovirsk lui même. Et alors, nos pouvoirs n'ont pas de limite théorique. C'est ça qui rend tout plus compliqué.
- Comment ça ?" Avait demandé Onmal. "N'est ce pas plus simple de pouvoir faire ce que tu veux avec tes pouvoirs ?
- Oh non… non non non. Tu ne peux pas comprendre. La magie est… disons que ce n'est pas une énergie qu'on dompte. Utiliser la magie ce n'est pas comme tenir une épée, c'est plutôt comme passer une laisse autour du cou d'un gros chien enragé. Un très gros chien enragé. Le genre de chien qui vous met en pièce trente personnes d'un coup de dents.
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
- En gros, chez un prêtre c'est Methrovirsk qui joue le rôle de soupape. Il dose la quantité d'énergie exacte qui est nécessaire pour utiliser un pouvoir. En tant que sorcier, je dois faire ça moi-même. Et c'est beaucoup plus compliqué qu'on ne le croit. Surtout, les conséquences d'un mauvais dosage peuvent être désastreuses. Si je prends pas assez d'énergie, le sortilège mute hors de mon contrôle et devient une affection bénigne, plus ou moins gênante. J'en sais… je connais un type qui a raté un sort de cette façon, et un troisième œil lui a poussé au beau milieu du front."
Onmal avait sursauté.
- "Tu te moques de moi ?
- Pas du tout. Et encore, c'est rien à côté de ce qui peut arriver si on prend trop d'énergie magique. Et le problème c'est que la nature de la magie fait que c'est souvent le cas. C'est une énergie qui, quand on l'appelle, afflue avec un entrain tel qu'on se demanderait s'il n'y a pas quelque volonté maligne derrière tout ça.
- Et ça cause quoi comme problème ?"
Anal avait haussé les épaules.
- "Si on est chanceux, une mort violente et atrocement douloureuse. Du genre la chair qui se retourne, les tripes qui sortent par les trous de nez, la combustion spontanée ou des explosions terribles. Sans parler de ce qui arrive à la ou les personnes auxquelles on lance un sort.
- Et… dans le pire des cas ?" Avait demandé Onmal, un brin craintif.
Alors, Anal avait regardé autour de lui pour s'assurer qu'il n'avait pas déjà attiré l'attention, puis avait répondu à voix basse:
- "D'horribles choses. On aime pas en parler, et les sorciers sont très secrets là dessus, ne surtout pas en parler à un profane. Il y a des trucs sur lesquels même nous on sait presque rien et qui pourtant sont déjà arrivés. On parle de dévoreurs d'âmes, de damnation éternelle, de mutations atroces, voire même…" il avait sondé une fois encore les environs avant de dire: "voire même de dégénérescence. Je n'en dis pas plus."
Onmal avait pris ça avec le ton de la plaisanterie.
- "Tu me fais marcher. Tu vas pas me dire qu'à chaque fois que utilise tes pouvoirs tu risque la mort ou pire. Si tout ça était vrai, comment les sorciers pourraient encore exister ?"
Anal, l'air désolé, n'avait pas prononcé un mot. Doucement, il avait porté la main vers son turban et relevé la partie qui couvrait son front.
Onmal était resté sans voix. Horrifié.
Aujourd'hui, Anal Shapnyr se tenait toujours les bras croisés, contemplant le champs de bataille d'un regard vide. Si le besoin s'en faisait sentir, aurait il le cran d'utiliser ses pouvoirs ?
Onmal préférait ne pas se prendre la tête avec ces pensées.
Le combat se faisait sporadique au centre. Les bêtes chargeaient, engageaient le combat, puis se reculaient. Les deux camps reprenaient alors leur souffle avant de recommencer. Les hommes d'armes restaient très efficaces pour contrer l'avance des bêtes, néanmoins après chaque vague ils devaient reculer de quelques pas, ce qui les rapprochait de la colline.
La bête rouge, toujours montée sur son char, allait et venait au devant de la ligne de bataille. Cette créature était d'une force stupéfiante, et ses coups tranchaient acier chair et os avec une aisance déconcertante. Les têtes décapitées s'amoncelaient partout où passait cette abomination, et il n'en fallut pas plus pour que les hommes en conçoivent une peur constante.
Le flanc gauche était désormais nettement plus calme. Les bêtes et les mercenaires s'étaient dépêtrés de leur mêlée sanglante et se dévisageaient tout en manœuvrant. Les arbalétriers s'efforçaient de passer sur le flanc, et déjà le claquement caractéristique des arbalètes se faisait entendre.
Sur le flanc droit en revanche, où Mandranngar de Cieldr menait la charge après avoir vaincu les derniers chars, les bêtes se montrèrent particulièrement inflexibles. Poussés par le zèle et les discours enflammés du haut prêtre, les mercenaires se jetèrent sans considération sur les ennemis, changeant la ligne de bataille en une mêlée informe et chaotique qui ne profitait plus à personne. Les bêtes refusaient de lâcher ce flanc qui était encore le seul sur lequel elles aient un avantage. Mandranngar restait sûr de lui, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que les bêtes se rassemblaient autour d'un chef qui menait le flanc. De la mare de poils crasseux et de cornes sanglantes émergea une silhouette bien plus colossale que tout ce qui était connu. Dépassant de loin les autres bêtes par sa stature imposante, une créature à tête de taureau tenant dans chaque main une hache au fer disproportionné plongea littéralement dans la masse grouillante de la mêlée, se couvrant d'un coup de sang, de chair et de viscères. Le prêtre prononça alors une prière, et une lumière sacrée apparut depuis les cieux, frappant la créature de plein fouet. Le Minotaure rugit de rage et chargea le prêtre sans plus attendre, ses yeux brûlés par la lumière, mais son corps guidé par sa soif de sang transcendante. Le haut prêtre prononçait une autre prière tandis que des hommes se jetaient sur la route de la bête mugissante pour l'empêcher d'atteindre le saint homme.
Les pouvoirs de Methrovirsk furent invoqués, et des flammes bleues enrobèrent le fer du marteau de Mandranngar et vinrent également couronner son auréole d'une crinière flamboyante. Investi d'une force divine, le prêtre arrêta la charge de la bête à la force de ses bras en parant l'attaque. Des coups de hache pleuvaient sur lui, tous portant une force et une rage bestiale au dessus de toutes limites. Mandranngar encaissa. Sa cuirasse détourna certains coups, d'autres trouvèrent les points faibles de l'armure et lacérèrent sa chair tout en broyant ses os. Mais le saint homme n'en avait cure. Il abattit par trois fois son marteau sanctifié sur le crâne de la bête, embrasant ses poils crasseux et fissurant son crâne de bovin. Il s'apprêtait à asséner le coup de grâce lorsque le Minotaure lâcha brusquement ses haches et saisit son adversaire aux épaules, le soulevant largement au dessus du sol. Sous l'effet de la surprise, Mandranngar ne pût réagir quand la bête planta ses dantesques cornes au travers son gorgerin. Les deux pointes le transpercèrent sauvagement de part en part, et son sang commença à couler à flots. Son corps, possédé par la flamme sacrée de Methrovirsk, était insensible à la douleur, mais il comprit aussitôt qu'il ne pourrait pas survivre. Tout en levant son marteau, Mandranngar prononça dans un ultime cri:
- "Onmal Ankassen ! Montres toi digne de ma confiance ! Deviens sérénissime et sauves Vinrek ! C'est là ta transcendante mission !"
Puis son marteau s'abattit sur la nuque de son adversaire avec la puissance du tonnerre. Un craquement sourd suivit ce choc et le Minotaure mourut sans même avoir pu pousser un dernier meuglement. Mandranngar de Cieldr rendit l'âme peu après. Son sacrifice eut l'effet de faire de lui un martyr pour les humains, ravivant leur foi une dernière fois. Du côté des bêtes, la mort de leur meneur provoqua un mouvement de panique, et d'indécision. Les humains repoussèrent la horde sur le flanc droit et dépassèrent la ligne de front. Une bonne nouvelle en somme.
Onmal aperçut le sorcier sur sa gauche pousser un soupir de soulagement. Si le flanc droit avait été débordé, il aurait fallu au moins son intervention pour régler l'affaire.
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