Chapitre 3

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Il pensa d'abord à une nouvelle plaisanterie, mais déchanta vite après un tour rapide du bateau : aucune trace de Marie. A bord, il n'y avait pas de cachette possible en dehors de la cabine. Or, elle ne pouvait y être allée sans qu’il s’en rende compte.

Tout autour, un mur gris que Loïc pouvait presque effleurer du doigt, il n’y avait rien que le gris, il ne distinguait même plus la côte. Qu’avait-il bien pu se passer ? Etait-elle tombée à l'eau ? En proie à la panique, il se dressa sur la plage arrière et hurla le nom de son épouse jusqu’à en perdre la voix, mais ses mots se perdirent dans l’épais manteau de grisaille. “Surtout, ne pas s'affoler” se raisonnait-il. Il fila à la cabine, saisit la VHF, la mit sous tension, sélectionna le canal de communication, appuya sur la pédale d’émission puis lança son message de détresse. En retour, il ne reçut que d'horribles grésillements. Il régla la fréquence, mais rien n’y fit. Il n’était pourtant pas si loin des côtes ! Et son téléphone qui avait disparu, lui aussi ! Il répéta plusieurs fois sa position, espérant que la S.N.S.M capterait l’information, quand une réponse se fit entendre, des mots étranges, dans une autre langue, puis une chanson qu’il connaissait bien pour l’avoir chantée peu avant : “Gwelas-te morverc'h, pesketour, O kriban en bleo melen aour…”

  • La chanson des Marie-Morgane ! tonna-t-il.

Une brise froide souffla dans son dos, il se retourna et étouffa un cri : à bâbord, une tête sortait de l’eau, une jolie jeune femme dont les cheveux d'or se déployaient en volutes sur la surface huileuse de la mer. Ses yeux verts fixés sur lui, elle entonna un chant mélodieux et envoûtant. Loïc se sentit vaciller. Une douce chaleur montait dans sa poitrine, il perdait pied, gagné par une étrange ivresse, il mourait d'envie de plonger la rejoindre. “Je dois réagir avant qu’il ne soit trop tard ! “, songea-t-il. Il bondit jusqu’au mât, empoigna une drisse, l’enroula plusieurs fois autour de son corps et fit un solide noeud de marin. Une fois ficelé comme un saucisson, il souffla, soulagé, tandis que la sirène continuait de chanter sa mélopée ensorcelante.

  • Que me veux-tu, sorcière ? Qu’as-tu fait de Marie ? rugit-il, les poings serrés.

La jeune femme nagea vers la coque, posa ses deux mains sur le bord et se hissa sans difficulté. Loïc n’avait pas prévu qu’elle pourrait quitter le monde aquatique pour le rejoindre. Elle se dressa devant lui, entièrement nue, la peau claire et veloutée, de l’eau ruisselait le long de ses jambes interminables. Loïc tentait de la fixer droit dans les yeux, mais son regard ne pouvait s’empêcher de glisser sur sa poitrine généreuse et sa toison de feu.

  • Comme tu es mignon, fit-elle d’une voix ensorcelante et langoureuse, il se dégageait de ses paroles comme un goût sucré-salé. Tu as voulu imiter Ulysse en te ligotant au mât ! Et maintenant, il m’est facile de te cueillir comme un fruit mûr !
  • Qui es-tu ?, demanda Loïc tout en s’acharnant à défaire ce noeud qu’il regretta d'avoir tant serré.
  • Tu le sais très bien, je suis une Marie-Morgane…

La jeune femme passa la main dans sa chevelure dorée, en sortit un petit sachet qu’elle délia délicatement avant de verser une poudre dans le creux de sa main. De sa bouche aux lèvres brillantes, elle souffla un nuage de paillettes au nez de Loïc qui aussitôt perdit connaissance.

Lorsqu'il se réveilla, il flottait, nu, au milieu d’une pièce remplie d’eau, sans meubles ni fenêtres, aux murs et au sol immaculés. Dans son esprit hébété, des images lui revenaient peu à peu, dans le désordre. La brume, la Marie-Morgane, Marie, les cloches, la VHF, la poussière dorée, la chanson douce en breton… Avait-il rêvé tout cela ? Où se trouvait-il maintenant ? L’avait-on emmené au fond de l’océan, pourquoi parvenait-il à respirer dans l’eau, était-ce grâce à cette poudre ?

Il effectua quelques mouvements de brasse et parvint à l’unique porte qu’il ouvrit sans difficulté. Il se glissa dans l’autre pièce, constata qu’elle était identique en tout point et répéta la même opération plusieurs fois pour se rendre à l’évidence : il était bel et bien prisonnier d’un château aux allures de labyrinthe et n’avait pas d’autre choix que d’attendre que son geôlier se manifeste.

Au bout d’un temps interminable, la porte s’ouvrit enfin sur la jeune femme blonde qui l’avait capturé.

  • Que me veux-tu ? Qui es-tu ? Qu’as-tu fait de Marie ? insista Loïc en espérant que sa persévérance à poser la même question paierait.

La sirène s’approcha de lui en ondulant les jambes. Loïc était partagé entre l’envie de regarder ce corps dénudé qui s’offrait à ses yeux et le sentiment qu’il fallait résister à cette sorcière.

  • Suis-moi, éluda-t-elle en se dirigeant vers la porte ouverte.

Loïc obéit et passa la sortie juste après elle. A son grand étonnement, il se retrouva à l’extérieur, au fond de la mer. Comment était-ce possible ? Cette porte, il l’avait déjà ouverte pour constater qu’elle ne donnait que sur une pièce comme les autres, et voilà qu’il se retrouvait au beau milieu d’une ville sous-marine ! Quel était ce sortilège ?

De part et d’autres des ruelles pavées subsistaient les vestiges de maisons cossues aux reflets bleutés, de palais dont on imaginait aisément la grandeur passée, d’églises dont les flèches de cristal devaient toucher le ciel au temps de leur splendeur. Pas un poisson, aucune vie aquatique. Le spectacle était aussi étourdissant que le calme qui régnait.

Ici, tout n’était qu’abandon, silence et solitude. Lorsqu’il se retourna, il put voir le bâtiment dont il venait de sortir. Un cube bleu, de la taille de la pièce où il avait été séquestré.

La Marie-Morgane fit un geste ample avec le bras et désigna les ruines.

  • Jeune homme, voici tout ce qui reste de la prestigieuse ville d’Ys. Je m’appelle Morgane, et je suis la dernière des Marie-Morgane vivant encore dans cette cité perdue, toutes les autres sont parties dans l’Autre Monde. Je t’attendais, fit la jeune femme, une pointe de tristesse dans la voix.
  • Où est ma femme ?
  • Je ne puis te le dire.

Loïc se rua sur la sirène pour la frapper, mais au dernier moment, ses forces l’abandonnèrent et il se mit à pleurer comme un enfant dans les bras de la jeune femme.

  • Tu l’aimes beaucoup, n’est-ce pas ? fit-elle doucement.
  • Oui, infiniment, répondit Loïc entre deux sanglots.
  • Je peux te consoler, tu sais...

La sirène colla son corps nu contre celui de Loïc, lui mordilla l’oreille et lui posa un baiser dans le cou. Le jeune homme la repoussa violemment.

  • Ca va pas, non ?! Je suis marié, sorcière !
  • Je comprends, mais tu finiras par céder, personne ne peut résister aux Marie-Morgane. Tu me feras un enfant, que tu le veuilles ou non, la chair est faible mon ami, et ensuite, je serai libre, je pourrai rejoindre l’Autre-Monde comme toutes les autres, vivre parmi les humains répliqua Morgane en se serrant plus fort contre lui.

Loïc tenta de se débattre, il lui enfonça ses ongles dans le cou et prit un plaisir malsain à voir le sang de la jeune fille se mêler à l’eau en formant de fines arabesques. Mais peu à peu, ses forces cédèrent, sa colère fit place au désir, le contact de leurs peaux dénudées électrisa ses sens, son esprit lui commandait de se défendre contre le sortilège, mais déjà son corps n’obéissait plus, il cessa de se débattre, se laissa aller au plaisir interdit, goûta les lèvres sucrées de la jeune femme qui s'offrait à lui. Les deux jeunes gens entrèrent alors dans une danse sous-marine, leurs corps se mêlant gracieusement au fond de l’océan dans un acte d’amour fou et voluptueux.

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