Renard

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" Chut !"

Cécile avait posé sa main contre la bouche de son frère. Elle chuchota.

- Il y a quelqu'un dans l'allée...

Sans oser bouger, Martin jeta un coup d'oeil par la fenêtre de la cuisine.

Le clair de demi-lune colorait timidement le jardin d'un ton argenté. Des bruits de pas dans les cailloux résonnèrent dans l'obscurité. Le contact ne devait pourtant pas donner signe de vie avant le lendemain matin.

Les deux résistants osaient à peine respirer.

Cécile relâcha sa prise et se pencha prudement en avant. Elle aperçut plusieurs ombres se faufiler à travers les broussailles.

On toqua enfin. Une voix fébrile brisa le silence.

- Cécile ! C'est moi ! C'est Renard... Ouvre.

Le frère et la soeur échangèrent un regard débordant d'inquiétude. "Renard". C'était le nom de code dont ils avaient convenus en cas d'échec de la mission. A cette heure-ci de la nuit, à cet endroit précis, "Renard" ne voulait dire qu'une chose dans la bouche d'un membre du commando. Ce terme signifiait "Je me suis fait pincer par la Gestapo, courez".

Ils avaient réfléchi à cet éventualité. Ils en avaient même discuté un fois de plus le matin-même. Ils ne pouvaient pas se permettre de tomber vivants entre les griffes de la Gestapo. Sans un bruit, Martin entrouvrit une trappe dessinée dans le sol et en retira deux fusils mitrailleurs Thompson. Il tendit la deuxième arme à sa soeur croisant une dernière fois son regard dans la semi-pénombre.

La résistante lui avait ramené une bouteille de bourbon.

Martin la décoiffa, s'en enfila une rasade généreuse, puis renversa le reste du contenu dans la trappe. Conformément aux ordres du Comité, il fallait s'assurer qu'aucun document sensible ne se retrouve entre les mains des Allemands. De son côté, Cécile craqua une allumette et la laissa tomber dans la cachette.

Le feu prit instantanément. Au bout de quelques secondes à peine, des cris en Allemand percèrent la nuit au loin. Renard, resté de l'autre côté de la porte de bois massif se mit lui aussi à crier.

- Courez ! Courez ! Vous avez encore une chance !

Ses hurlements furent ponctués à tout jamais par une salve de MP40 qu'il reçut dans le dos. Cécile et Martin se postèrent chacun à une fenêtre, de part et d'autre de la porte d'entrée, prêts à recevoir.

A l'affut, Cécile se mit à réfléchir encore. Ils avaient une chance, c'était vrai. Mais à quoi bon courir à présent ? Ils risqueraient de mener l'ennemi au reste du réseau. Après tout, c'était bien comme ça. Elle se sentait fatiguée de se cacher, de sentir son coeur s'accélérer et son estomac se nouer dès qu'elle croisait une patrouille. Elle voulait en découdre, aussi stupide que cela pouvait sonner.

Les cris des Allemands avaient cessé.

Martin les voyait s'approcher par à-coups, d'un buisson à l'autre, à travers la brume de cette fin de nuit, de cette fin de vie qui l'attendait. Son doigt crispé sur la détente, il espérait en tuer au moins un avant de quitter ce monde. Il ne ressentait aucune haine pourtant, seulement de la fierté. La même fierté qui l'avait poussé à entrer en Résistance. Ce soir il allait se sacrifier pour son pays, pour les générations qui l'ont précédé et toutes celles qui suivront sur cette tendre terre qu'il avait arpenté en tous sens depuis l'enfance.

Puis les projecteurs illuminèrent la nuit et dessinèrent de gigantesques ombres à l'intérieur de la maison.

Aveuglés, les deux résistants ouvrirent le feu en direction des lumières, sans produire l'effet escompté. Les lampes étaient trop loin. Et puis, les soldats s'étaient bien rapprochés de la façade et produisaient à présent un tir de suppression efficace. Les assiégés se replièrent dans l'intérieur de la bâtisse et se calèrent au bout du couloir débouchant sur l'entrée.

Les Allemands passèrent par les fenêtres et certains s'engagèrent dans le couloir pendant que d'autres tentaient d'éteindre la flambée qui émanait du sol de la cuisine. Les deux résistants patientèrent quelques secondes puis sortirent de leur cachette et vidèrent leurs chargeurs sur leurs assaillants. Le couloir ayant été nettoyé, les deux résistants rechargèrent mais au moment de se mettre à couvert, ils entendirent le cliquetis d'un Luger proche de leur oreille. Deux sous-officiers avaient contourné la maison et avaient profité de la fusillade pour enfoncer la porte de derrière.

- Hände hoch.

Sans même réfléchir, Martin se retourna et donna un coup de crosse à l'un deux, ce qui laissa le temps à sa soeur de réarmer. Cependant le second pointa son arme sur Martin et tira deux coups, l'un dans la poitrine et l'autre en pleine tête. Martin s'effondra aux pieds de Cécile. Prise d'un vertige, elle sentit les larmes monter. Elle appuya sur la détente et éventra le meurtrier de son frère et son acolyte d'une rafale de Thompson, puis remonta le couloir. Arrivée de nouveau au niveau de l'entrée, elle se vit encerclée par quatre hommes de la Wehrmacht. Suivant les ordres de l'officier elle posa le fusil mitrailleur au sol. Elle avait de plus en plus de mal à retenir ses larmes. Les sanglots la prenaient à la gorge. A l'intérieur, c'était comme si son coeur avait été mutilé au hachoir. Martin était parti pour l'autre monde. Il fallait qu'elle le rejoigne. Plus jeune, elle lui avait promis qu'elle lui donnerai la main pour trouver le chemin du Paradis. Pour qu'il n'ai plus peur. Les larmes roulaient le long de ses joues pâles désormais. Au moment où l'un des soldats s'avança pour la menotter, elle sortit une grenade américaine de sa poche et la dégoupilla. Elle la laissa ensuite rouler aux pieds de l'officier.

La détonation brisa une dernière fois le silence qui s'était rétablit autour de la ferme.

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