Sombre Message
Kuro redescendit le massif escalier de chêne qui reliait le rez-de-chaussée à l’aile nord du manoir. Ses pas retentissaient dans le silence pesant.
Parvenu en bas, il s’engagea sans attendre dans le majestueux vestibule de la vieille demeure. Grâce à sa nature elfique, la pénombre dans laquelle était plongé le manoir n’entravait pas sa progression. Contrairement aux idées reçues, les elfes ne possédaient qu’un ou deux dons en plus de leur longévité commune. Pour Kuro il s’agissait de la vision nocturne et d’une agilité hors pair. Pour d’autres c’était une ouïe extraordinaire ou une aisance dans le maniement d’une arme. Mais, allez savoir pourquoi, dans les légendes humaines, les elfes avaient tous leurs sens décuplés. Cette généralisation grotesque était même devenue une particularité de leur race, dans les écrits des hommes. Tout comme ces oreilles pointues venues d’on ne sait où. Aucun elfe ne possédait d’oreilles pointues. En réalité, physiquement tout du moins, personne n’aurait pu différencier un humain d’un elfe.
Kuro contourna une forme inerte qui jonchait le sol de pierre et poursuivit sa route. Il sortit bientôt de la bâtisse ; les ultimes braises du jour mouraient, loin au-delà des montagnes ; le reste du paysage était déjà noyé dans l’obscurité nocturne. L’air embaumait l’humus et la rosée, et était emplit du crissement des grillons et autres sauterelles. Bien que l’été touchait déjà à sa fin, il faisait relativement doux. Quelques étoiles scintillaient dans le ciel bleu encre que masquait partiellement des nuages grisâtres.
Il traversa la petite cour du manoir puis s’engagea sur un chemin de terre bordé d’érables millénaires. Au pied du tronc de l’un d’eux, une élégante licorne à la robe d’ébène l’attendait sagement, silhouette sombre parmi les ombres. Passant une botte dans l’étrier, l’elfe enfourcha sa monture et regarda une dernière fois l’ancienne bâtisse de feu le comte Vior. Lorsque sa fille lui rendra visite, dans quelques jours, elle ne trouverait que les cadavres des serviteurs et la pitoyable dépouille de son père, gisant encore dans son lit où Kuro l’avait surprit avant de lui enfoncer son poignard dans le cœur.
Il allait talonner l'animal quand un léger cri le stoppa. L'elfe leva son poing ganté. Il eut à peine le temps de stabiliser son bras qu’un grand-duc s’y posa. L’oiseau replia ses larges ailes et vira sur l’elfe ses deux billes oranges qui lui servaient d’yeux. De sa main libre, l’assassin prit l’enveloppe jaunâtre que le hibou tenait dans son bec. Sa livraison accomplie, le grand-duc s’envola dans un battement d’aile ouaté ; il disparut bien vite, emporté par les ténèbres.
Kuro retourna l’enveloppe. Elle ne comportait ni expéditeur, ni destinataire, ni adresse d’aucune sorte et était scellée d’une large tâche de cire blanche, vierge de tout sceau. Il la décacheta puis déplia le parchemin qu’elle contenait avant de le parcourir rapidement, sa vision elfique jouant encore en sa faveur :
Prisonnier. Royaume de Froidelande. Capitale. Château des Reines. Dernière cellule, catacombes tour nord, après escalier. Mission prioritaire.
L'elfe replia son ordre de mission, le replaça dans l’enveloppe et le fourra dans l’une des poches de son ample manteau noir. Dès qu’il se serait un peu éloigné du manoir, il brûlerait la missive, comme à chaque fois. Faisant voleter sa licorne, il lui mit un petit coup de botte. L’animal fabuleux partit au galop ; le cataclope de ses sabots troubla le calme de la nuit. Un peu plus tard ils débouchèrent à un croisement. Kuro tira sur les rênes, sa monture bifurqua gracieusement à droite. Direction plein nord, vers le royaume de Froidelande et sa prochaine cible.
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