Le Vieux Bossu
— Au bout d’la rue y a une auberge qu’y s’appelle Le Vieux Bossu. La patronne elle aime bien les musiciens, si tu d’vertis ses clients chaque soir, elle t’laissera dormir dans les combles. C’est pas la grande classe, mais ‘vec la fête qu’approche y a pas beaucoup de chambres de libres, c’est moi qu’y t’le dis !
Mistigri sourit au charretier et le remercia chaleureusement. L'autre hocha la tête en guise d'adieu, fit claquer les rênes et la charrette se remit en branle. Le chat-garou serra contre son cœur son violon et son archet. Il était enfin arrivé à destination. Faisant volteface, il remonta la rue où l’avait laissé le charretier, se faufilant entre la foule mouvante, et trouva facilement l’auberge Le Vieux Bossu.
Il poussa la petite porte de bois vert et pénétra dans une vaste salle à manger rectangulaire. Une nuée de tables et de tabourets s'éparpillaient, disposés dans un véritable désordre organisé afin d’optimiser au maximum l’espace. Un bar s’ouvrait à droite de la porte d’entrée. Derrière le zinc, des tonneaux étaient entreposés les uns sur les autres sous un étroit escalier menant aux étages supérieurs. Une seconde porte perçait un renfoncement du mur de chaume, tout à droite du bar. Elle donnait vraisemblablement accès à la cuisine, à en juger par l’odeur qui s’en dégageait et le va-et-vient des serveuses.
Une cheminée de taille moyenne en pierre blanche se tenait face au bar. Son âtre, éteint, était rempli de suie noire. Toutes les tables étaient prises ; des éclats de rire fusaient, on parlait fort et à grand renfort de gestes.
Mistigri se dirigea vers le bar, où il s’accouda. Avisant soudain une petite sonnette d’argent, il appuya dessus. Un tintement cristallin s’éleva, vite englouti par le vacarme ambiant.
Pourtant, à sa grande surprise, une femme d’âge mur descendit l’escalier et se plaça devant lui.
— Que veux-tu, mon garçon ? Si c’est pour un repas, pas de problème, mais si c’est pour une chambre, je suis désolée, nous sommes complets…
— Celui qui m’a mené ici m’a affirmé que si je jouais pour vos clients, vous me laisseriez dormir dans le grenier, la coupa le chat-garou.
— Hum. Tu sais, y a beaucoup de ménestrels et bardes en ville, en ce moment. Et beaucoup d’autres arriveront bientôt. Qui t’as donc amené là ?
— Un charretier roux. Je ne connais pas son nom.
— Je vois. Bon, pour pas décevoir Kris je t’engage petit, mais t’as intérêt à assurer !
— Vous avez ma parole ! déclara Mistigri, soulagé.
— Bien, suis-moi mon gars. Je vais te montrer ta chambre. Tu pourras déposer tes affaires et te reposer un peu…
— Si je puis me permettre, l’interrompit le chat-garou, je ne possède rien hormis ce que je porte sur le dos et mon violon et je me suis reposé durant le voyage… Accepteriez-vous que je joue pour vos clients ?
— Là, tout de suite ? demanda l’aubergiste en ouvrant de grands yeux étonnés. Si tu veux…
— Merci beaucoup, ma dame, sourit Mistigri avant de se poster dans un coin et d’entamer un air enjoué.
Aux premières notes, toutes les têtes se tournèrent vers lui et, aux premiers mots de sa chanson, un épais silence s’était installé dans Le Vieux Bossu. Absorbé par sa tâche, le jeune ménestrel s’en rendit à peine compte. Dehors, dans la rue, même quelques passants s’étaient arrêtés pour prêter une oreille attentive à cette mélodie joyeuse.
Annotations
Versions