Le terreau de l'oubli
Une relation toxique peut s'exprimer de différentes manières : un amour non réciproque, une situation de domination sentimentale, une amitié trahie. Les exemples sont légions, mais ils concernent la plupart du temps des adultes expérimentés, qui comprennent que leur relation ne leur apporte rien de bien correct au niveau personnel. Immaginons donc comment un simple enfant peut vivre ce genre de relation.
Tiens, prenons un enfant (moi, au passage), à l'école primaire, dont le groupe de faux-culs qui lui servent d'amis sont tantôt sur la défensive, tantôt dans les rangs de l'opresseur. Que penser de tels amis? Un jour, les voilà à vos côtés pour vous défendre, le jour d'après ils pactisent avec l'ennemi pour revenir vous prêter serment d'amitié le lendemain. Plus toxique comme relation, la mort n'est pas loin.
Oui, c'est bien ce genre de relation que j'ai eu, fut un temps. Un groupe de pseudos-copains, composé d'une grande perche bipolaire, d'un nain psychotique et d'un suiveur attardé. Oh, ils allaient bien ensemble tout les trois, là n'était pas le problème. Le vice réside dans le fait qu'ils tournent autour du petit moi, s'amusant de ses réactions et de sa tendre naïveté piétinée.
Le plus idiot des attardés dans cette histoire, c'est peut-être bien moi. Jamais, en cinq dures années de harcèlement, je n'ai compris leur petit manège. Je ne me préoccupais que du fait d'avoir des amis, ce qui était assez extraordinaire pour moi à l'époque, et oublais leurs phases de trahison succéssives. L'un dira que je suis trop bon, l'autre entendra que je suis trop con. Je me placerais plutôt à la limite des deux, le petit innocent qui ne comprend pas qu'on le batte et qui utilise la main de son agresseur pour se relever. Je vois aujourd'hui cela comme un syndrôme de Stockolm germant, mais peut-être était-ce simplement mon envie desespérante de reconnaissance et d'intimité amicale.
Je parlais plus haut du nain psychotique. J'en garde un souvenir précis, une image en haute résolution, en couleurs et en trois dimensions. Je revois très nettement sa tignasse brune et entends sa voix nasillarde comme s'il me parlait.
Non, je mens, je ne vois son visage que parce qu'autour de moi traînent des photos de classe où il apparaît, et son timbre de voix m'est parfaitement inconnu aujourd'hui. D'ailleurs, je m'en fous. Ce son insupportable a disparu de mon esprit, tant mieux, qu'il en reste séparé.
Toujours est-il que cet idiot, que j'appellerai Pierre-Henri par respect pour son anonymat, fut le plus vicieux de tous. Il plaisantait avec moi lors des récréations, me maltraitait en classe l'heure d'après et m'éclatait la colonne vertébrale avec un ballon de basket entre midi et quatorze heures. Quant au lendemain, eh bien...l'exacte répétition de la journée précédente. Une alternance sans fin de gentillesse et de crasses les plus mauvaises.
Aujourd'hui, leur en veux-je?
Au grand détriment de ma fierté et de mon égo, je ne peux me résoudre à les haïr. Déjà parce que les enfants sont cruels de nature, ensuite parce qu'eux même regrettent aujourd'hui, peut-être, ce qu'ils ont fait. Enfin parce que le pardon est le terreau de l'oubli et du bohneur. Mais surtout parce que je les ai assez détesté comme cela ces sept dernières années.
Je ne souhaite pas l'enfer, même à mes pires ennemis, mais je pense qu'il pourrait leur servir de leçon de leur chatouiller les fesses quelques secondes avec ces flammes eternelles, histoire de les confronter au contraste du desespoir et du soulagement auquel ils m'ont soumis.
Merci !
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