VI.

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“Der Mensch braucht das Schlimmste an sich, wenn er das beste erreichen will ! hurlait la voix du Maître Zara dans la cour du monastère.

  • Also sprach Zarathustra ! suivirent les voix des adeptes.
  • Et ça, qu’est-ce que ça veut dire ?” demanda Jusep à son cheval.

Ce dernier lui lança un regard furieux et se contenta de répondre par un soupir.

“Bon, tu ne vas pas me faire la tête indéfiniment, si ?

  • L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur, expliqua Aldana, les yeux perdus dans le vague.
  • Vu tout le mal que cet homme parvient à condenser, il pourrait atteindre des sommets selon cette citation !”

Au-dessus des clochers, une masse imposante de mélasse se détachait du crépuscule, prête à déverser une pluie dont Jusep sentait déjà les émanations iodées. Il s’empressa d’abattre le heurtoir sur la grande porte avant de finir trempé.

Le Maître cessa son prêche et vint lui ouvrir. Une expression ambiguë passa sur son visage au moment où ses yeux croisèrent celui d’Aldana. L’adepte en fuite ne répondit à aucune de ses salutations, et se contenta de le suivre à l’intérieur. Maurice tambourina le sol à l’aide de ses sabots.

“Du calme, ordonna le chevalier.

  • Bien, voici votre paie, Sire. Encore merci pour votre efficacité…
  • Vous me permettez d’entrer le temps de l’averse ? demanda Jusep.
  • Quelle averse ? Voyons, le ciel s’est tout au plus un peu assombri…
  • Je me dois, de toute façon, d’escorter ce poltron jusqu’à sa chambre.
  • Allons, qu’est-ce que c’est que ces fadaises ?! s’écria le Maître Zara de sa voix de crécelle.
  • Ordre du Mégalosseigneur.”

Le Maître Zara leva les yeux au ciel et s’engouffra à l’intérieur en laissant la porte à moitié ouverte.

“Attends-moi ici”, ordonna le chevalier à son compagnon.

Le chef religieux le mena jusqu’à une trappe cachée sous un autel, laquelle révéla une échelle et un tunnel creusé par des amateurs. La galerie s’élargit peu à peu jusqu’à révéler un laboratoire artisanal.

Prisonniers de bocaux de la taille d’une bouteille de vin à celle de deux baignoires, des plantes et animaux à l’apparence irréelle nageaient dans du formol végétal. Jusep crut reconnaître la silhouette d’un rat, mais de la taille d’un petit chien et dénué de queue, à côté de celle d’un chat à dents de sabre. Métalliques, les dents de grosses plantes carnivores parvenaient à suivre les mouvements autour d’elles de l'intérieur des bocaux.

Des pièges entièrement bios, les écolos seraient contents, tiens, sourit Jusep.

Il remarqua une table faite de bois usé sur laquelle trônaient plusieurs montages à distillation, les uns enchevêtrés dans les autres, avec, à l’extrémité, une bouteille d’au moins deux litres remplie d’un liquide orange phosphorescent.

La voilà, la clé de leur bonne santé, comprit Jusep.

Derrière lui, le Maître Zara se racla la gorge.

“Si vous voulez bien me suivre…

  • J’arrive.”

La marche fut refermée par deux gaillards à l’air stoïque. Bientôt, on arriva aux quartiers. Le Maître Zara attrapa la poignée d’une porte et la déverrouilla. Aldana entra sans jeter un regard à Jusep, et se contenta de s’installer face au mur en position du tailleur.

Sans paraître se soucier le moins du monde de son sort, le chevalier compta à deux reprises les pièces accumulées dans la bourse que lui tendit le Maître.

“Sire, peut-être pourriez-vous procéder au recomptage…”

Jusep le fit taire d’un signe de la main. Le religieux fulmina un instant, puis, une fois le compte effectué, il s’empressa d’inviter le chevalier à le suivre vers l’entrée.

“Sortir, maintenant ?

  • Oui, c’est cela ! Nous avons autre chose à faire !
  • Sire, notre Maître vous demande de nous laisser poursuivre nos rituels. Vous allez devoir remonter.
  • Je regrette, ça ne va pas être possible”, soupira Jusep.

Un froid passa dans l’assemblée. Le Maître Zara et les adeptes, Aldana compris - Jusep se délecta de voir sa façade d’indifférence disparaître face à la situation -, le dévisagèrent.

“Comment ça ? Je… je ne vois pas où vous voulez en venir, fit le vieux.

  • Eh bien, j’ai promis de ramener ce fuyard.
  • C’est ce que vous avez fait, alors où est le problème ?
  • Le problème, mon vieux, c’est que je n’ai jamais dit que je repartirai sans. Or, je l’embarque.”

Tapie dans ses yeux, une furie dévastatrice remplaça la sénilité dans le regard du Maître Zara. Le chevalier se contenta de lui tendre la main, et d’ajouter :

“C’est un plaisir de faire affaire avec vous.”

Le chef religieux jeta sa main sur la sienne. Les ravages de la vieillesse rendirent son mouvement lent et terriblement prévisible. Jusep l’esquiva sans difficulté et enfonça son pouce de toutes ses forces en plein sur son nerf médian, un classique indémodable. Le vieux lâcha un braillement misérable, et, d’un coup de pied sur le tibia droit, le chevalier l’envoya s'effondrer au pied du mur.

Face à lui, les deux adeptes, passé le stade de la sidération, foncèrent sur lui. Jusep se jeta au sol et, d’un coup de sabre, il trancha la cheville du plus grand comme s’il s’était agi d’une tranche de jambon. Un pied corné vola à travers la pièce et retomba sur le visage d’Aldana. L’ancien adepte poussa un cri de dégoût et s’empressa de le renvoyer à son propriétaire, lequel agonisait déjà au sol.

Le deuxième combattant ne fit pas la même erreur que son camarade et asséna un violent coup de genou sur le thorax de Jusep. Une douleur aiguë se répandit à travers son armure et remonta rapidement sur tout le haut de son corps. Son sabre, rendu inutile en combat rapproché, finit par voler à travers la pièce.

Tu parles d’une journée de merde… Ça va encore coûter une fortune à réparer…

Il garda son sang-froid et rechercha une ouverture dans l’averse de coups qui pleuvait sur lui.

Dans son enchaînement jab gauche-coude droit, le rythme est trop régulier…

Il attrapa son épée latérale, mais avant même d’avoir le temps de la planter dans son adversaire, il aperçut une silhouette se déplacer derrière ce dernier, avant de le paralyser d’une simple pression de la main derrière la tête. Le corps entier se figea avant de s’effondrer dans un gémissement.

“Merci, Aldana, déclara Jusep.

  • Je ne l’ai pas fait pour vous, chevalier.
  • Rappelez-moi ce que vous disiez, sur la violence… ?
  • Très drôle. J’ai simplement estimé que quelques minutes de douleur représentaient un mal inférieur à un couteau dans la poitrine. Qu’en pensez-vous ?
  • Je… bon, c’est pas faux”.

L’ancien adepte l’aida à se relever et lui rendit son pistosabre.

“Bien, vous êtes libre, il semblerait, nota le chevalier.

  • Je ne vous ai jamais demandé de me faire sortir, Sire. Une question me travaille : pourquoi ?
  • J’aurais pu partir sans faire de scandale, c’est vrai. Je ne m’explique pas quelle force m’a interdit de vous laisser là, je lui ai juste obéi. Vous venez avec moi ? Je dois me rendre à Montpellier, je pourrai vous déposer là-bas. À mon avis, ce vieux sagouin ne voudra plus jamais vous voir mettre le pied ici.”

Aldana révéla un rire discret, élégant, un rire qui, à en croire les mouvements engourdis qu’il effectuait dans sa gorge, n’avait pu se manifester depuis bien longtemps.

“Merci, Sire. Je dois dire que j’avais sous-estimé vos compétences au combat.

  • Jusep. Vous direz ça au cheval, tiens, ça lui fera les pieds !
  • Entendu, Jusep. Je viens avec vous. Je n’ai plus rien à faire ici.”

Le chevalier répondit par un sourire franc, puis il se rapprocha du corps pétri de douleur du Maître Zara. Sa peau se mit à trembler comme une feuille morte lorsqu’il aperçut le casque s’approcher de son visage.

“Écoutez-moi, vieille peau, je ne vais pas vous faire de mal, l’informa le chevalier en l’attrapant par le haut du cuir chevelu.

  • Ahhh… arrière !
  • Vous n’êtes pas en mesure de dicter quoi que ce soit. Suivez votre doctrine une fois dans votre vie et pliez-vous à la volonté du plus fort.
  • Uh… kss…
  • Voilà. Je voulais simplement vous donner un conseil ; croyez-moi, vous ne voulez pas que le Mégalosseigneur lance une enquête ici. Production illégale de suppresseurs, d’OGM, maltraitance… Nous gagnerions tous à ce que cette histoire en reste là, vous ne croyez pas.”

Le vieux se contenta de marmonner une protestation inintelligible, puis laissa sa tête retomber sur le sol. Jusep s’engagea dans le couloir, tandis qu’Aldana resta dans sa chambre l’espace d’un instant, à dévisager ce tortionnaire misérable, couvert de sa propre sueur et d’un peu d’urine.

***

À l’extérieur, fait surprenant, des rayons de Lune parvenaient à percer par endroits la couche de mélasse, et projetaient leur lumière comme de la mitraille sur les murs du monastère.

“Oh, mais… tu. J’ai vraiment cru que tu avais vendu ton âme !

  • Quand même, j’ai beau être radin, je ne suis pas un monstre non plus. Dis-moi, tu peux nous porter tous les deux ?
  • S’il y a assez de place, bien sûr. Ça consommera plus de nitro, par contre.
  • À Montpellier, on te trouvera du fourrage sans problème, assura Jusep. Et vous, Aldana, qu’est-ce que vous ferez, une fois là-bas ?
  • Je n’en ai aucune idée, peut-être trouver une maison abandonnée et attendre la mort…
  • Le voilà reparti, cingla Maurice.
  • Oh, vraiment, vous n’avez pas un désir ? Même le plus petit qui soit ? Trouver une jolie fille, accumuler du fric, des livres…
  • Ça, il n’y a vraiment que toi pour le souhaiter, broncha Maurice.
  • Allons, tu vas me faire croire que je suis le dernier capitaliste en vie sur Terre ? Ne sois pas absurde.
  • Peut-être, fit Aldana, plongé dans ses réflexions, qu’il y a une chose.
  • Ha, voilà un début !
  • Si possible, j’aimerais retrouver un deuxième œil.
  • Même si les médecins ne courent pas la région, on finira bien par en trouver un, sourit le chevalier.
  • Cependant, je ne veux pas augmenter ma dette auprès d’une autre forme de vie.
  • Ça faisait longtemps, soupira Jusep. En tout cas, s’il y a une dette que vous avez contractée, c’est auprès de mon nez ! Aldana, je suis sérieux, dès qu’on arrive à l’auberge, vous prenez une douche !”

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