Orage
Joseph s'immobilisa totalement. Seuls les battements de son coeur résonnaient violemment dans ses tempes. Et le craquement aussi. Ce bruit répétitif, il ne se l'expliquait pas. Jo ne respirait plus. Il tentait de comprendre, de deviner d'où cela pouvait provenir et surtout, de maîtriser sa peur. La brise tiède s'était transformée en un vent chaud et puissant. Une goutte de pluie, puis une autre, tombèrent sur son visage, sur les feuilles, sur le sol, et bientôt la forêt s'emplit d'un concert de clapotis. Le craquement se rapprochait. Il en était certain. La pluie se faisait plus forte et un grondement lointain le fit frémir.
Etait-ce l'orage qui s'abattait sur la ville à quelques kilomètres de là ? Où était-ce cette présence qui grognait sourdement ? Tout se mélangeait dans l'esprit de Jo. Cela faisait quelques minutes qu'il était figé là, les yeux écarquillés, le souffle court, dévoré par l'angoisse qui grandissait en lui. Un second coup de tonnerre retentit, plus proche, cette fois. Il prit cela comme un signal et explosa dans une course effrénée. Il ne voyait que trop mal le sentier se dessiner sous ses pieds, mais il courait plus vite qu'il ne l'avait jamais fait. Les branchages fouettaient son visage humide et accrochaient ses vêtements. Il poursuivit sa fuite jusqu'à l'orée du bois et il déboucha sur une clairière vaste et baignée par la lumière de la lune. Il trottina sur quelques mètres, s'arrêta pour reprendre son souffle, courbé, les mains sur les genoux, la tête lourde. Puis, il fit volte-face et observa longuement la forêt. Rien. Plus un bruit. Même la pluie avait cessé. Cet étrange retour au calme, rythmé par son seul essoufflement rauque, ne le rassura pas pour autant. Il ferma les yeux, prit une longue inspiration et passa ses mains dans ses cheveux trempés. Lorsqu'il rouvrit les paupières, ils étaient là et lui souriaient !
Quelques jours plus tôt, Jo s'était lancé dans l'écriture d'un sixième roman. Pour la première fois de sa jeune carrière, il s'était senti moins inspiré, les mots s'entrechoquaient dans son esprit et son écriture n'avait rien de fluide. Il hésitait, il quittait son clavier, buvait des litres de café et il rencontra la page blanche si redoutée par les passionnés de la plume... Comme sa maladie, l'angoisse grandissait en lui et une sorte de souffrance le tenaillait. Si l'inspiration venait à lui manquer et que sa seule raison de vivre disparaissait sournoisement, alors il refusait d'envisager l'avenir. Jo passa alors des heures à lire et lorsqu'il eut vidé sa bibliothèque, il prit une décision. Il fallait casser cette malédiction, s'extirper de cette bulle pour mieux y revenir. Il saisit un jean propre, enfila un tee-shirt des Pirates de Portland et sortit. La nuit enveloppait la petite ville de sa rassurante pénombre et Jo entra dans le premier pub qu'il trouva sur sa route. La chaleur l'étouffa d'abord puis il s'habitua vite à cette ambiance festive, bruyante, et parfumée d'effluves de sueurs, de bière et de whisky mêlées. Sa bulle avait éclaté. Jamais, en 20 ans, il n'avait osé s'aventurer dans ce monde. Il n'avait pas les codes, mais il avait vu tant de scènes de ce genre, dans les films et les séries, qu'il essaya tant bien que mal de ne rien laisser paraître. Il s'accouda au bar et commanda une pinte. Il ressortit la déguster sur la terrasse bondée du pub. Des lueurs urbaines dansaient sur l'eau. La plage grouillait de fêtards. C'était comme s'il avait quitté une planète pour en découvrir une autre. Son chalet calme, absolument silencieux, à l'orée d'une forêt vaste et déserte n'avait rien à envier à cet endroit dont Jo ne connaissait rien. Ni les sons, ni les odeurs, ni les sensations.
- Bonsoir, je peux m'asseoir ?
La voix était féminine, douce et enjouée. Joseph leva les yeux et disserna une silhouette dénudée, élancée et chancelante. La jeune femme n'attendit pas la réponse pour s'installer à califourchon sur le banc, à ses côtés. Elle était belle, sensuelle, on l'aurait cru sortie d'une publicité de parfum ou de lingerie. Jo déglutit, il n'arrivait pas à parler. Elle colla sa jambe nue à son jean. Il ressentait à cet instant, le même blocage, la même angoisse que devant le curseur clignotant de son PC, quelques heures plus tôt. Elle restait là, près de lui, trop près, et elle lui souriait.
Jo recula lentement, par instint. Il sentit l'herbe de la clairière encore détrempée, crisser sous ses pieds. Eux, ils l'observaient, immobiles. Pourquoi ? Jo se répéta ce mot, sans cesse, jusqu'à ce qu'il trébuche et s'effondre dans un gémissement sourd. Les rires remplacèrent les sourires. Jo ferma les yeux, et une larme perla au coin de son œil clos.
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