Averse magique et jardin suspendu
Écho observa d'un oeil distrait le scintillement clair parcourir l'amphithéâtre puis s'éteindre, comme l'aurait fait une flamme privée d'oxygène.
Le sort de manipulation atmosphérique était certes efficace pour captiver l'audience de part sa poésie et la beauté de son exécution, surtout quand cette dernière était pratiquée d'une main de maître, mais au final, il ne s'agissait que d'un banal tour de passe passe.
D'un geste las, elle conjura un rapide sort de protection qui vint superposer sa peau et ses vêtements en un voile transparant, doux et souple.
Eden, à ses côtés, l'imita avec un sourire, et la jeune fille sentit sa magie s'activer avec la douceur d' un courant d'air chaud. Comme sa personnalité, cette dernière était chaleureuse et solaire, rien d'étonnant à ce qu'elle excelle en Luxomancie.
Une pluie diluvienne se déversa soudainement dans la salle de classe, aspergeant généreusement les jeunes magiciens qui n'avaient pas eu la bonne idée, ou le temps, de se couvrir de leurs propres barrières.
Les cris de surprise puis les gémissements de ses camarades arrachèrent un rire à Écho.
Toute aussi rapidement qu'elle s'était déclanchée, l'averse se retira, laissant les tables étroites et le parquet ruisselants.
Mme Meery eut un sourire suffisant et détailla l'assemblée avec amusement.
Les jeunes étudiants cessèrent vite de grimacer, conscients du privilège qui leur avait été accordé.
Tout le monde n'avait pas la chance de pouvoir attester de la puissance d'un magister après tout.
La professeur leva la main et ferma les yeux un instant, sans manifester aucun effort, et un courant d'air chaud vint ballayer l'auditoire, séchant presque instantanément les élèves et faisant disparaître l'eau qui avait commencé à dégouliner en direction de l'estrade.
Écho fit disparaître son bouclier et sentis les frissons familer caresser sa peau tandis que la magie passait sur elle. La magister était puissante : elle sentit le charme pulser autour d'elle avec vigueur avant de disparaitre.
Eden lui jetta un regard excité. L'année commençait bien !
Mme Meery prit la parole.
« Voici, chers étudiants, ce que le plupart d'entre vous devrait être capable d'exécuter sans difficulté à la fin de ce semestre.
Sa voix ferme mais chaleureuse était en parfait accord avec son physique. Un visage anguleux, une bouche pincée et des cheveux bruns foncés, laissés libres sur ses épaules.
Écho dû reconnaitre qu'elle n'était pas désagréable à regarder, mais elle savait également que les magiciens les plus puissants pouvaient se révéler être bien plus âgés que ce qu'ils ne paraissaient.
Par conséquent, elle essayait généralement de s'abstenir de faire des jugements basés sur le physique des sorciers qu'elle rencontrait, surtout dans le cas des professeurs de Blackmoore.
Mme Meery repris avec assurance.
« Je tiens à vous remercier d'avoir choisi ce cours, dont je sais qu'il a mauvaise réputation à cause de la difficulté que l'on impute souvent à la magie élémentaliste.
Ignorant les quelques murmures qui se firent entendre, elle repris avec un sourire :
« N'ayez crainte : je suis consciente de ces difficultés et je serai faire preuve de tolérance. Dans un premier temps du moins, ajouta-t'elle sur un ton qui fit blêmir une grande partie des étudiants.
Sans relever l'inquiétude soudaine qui s'était propagée dans la classe, la magister poursuivit.
« Je sais que certains d'entre vous sont d'ores et déjà familiers avec cette magie, dit-elle en posant les yeux sur Écho, assise au milieu de l'amphithéâtre.
Son regard perçant arracha à la jeune femme un frisson qu'elle réprima avec difficulté.
« Que cela ne vous encourage pas à sécher les cours, dont vous n'êtes en aucun cas dispensés, articula la magister avec sévérité.
Écho esquissa une grimace gênée et détourna le regard. Sa réputation l'avait encore une fois précédée.
Le reste du cours s'effectua sans accroc, deux heures durant lesquelles la professeur entrepris d'expliquer à ses nouveaux étudiants les fondements de l'hydromancie.
Elle termina en leur donnant rendez vous le lendemain et les jeunes magiciens s'éclipsèrent, certains l'air satisfaits, d'autres visiblement déjà ébranlés par la difficulté de ce premier cours.
La quatrième année était réputée pour être particulièrement difficile, et beaucoup abandonnaient leurs études à ce moment là, ne finissant jamais leur cursus de sept ans.
Ce n'était pas pour rien que le titre de magister était si réputé, et le prestige de l'académie Blackmoore était reconnu dans le monde entier.
Écho ignora le regard appuyé de son professeur dans son dos et sortit de la salle de classe sans se presser, son amie sur les talons.
Une fois arrivé dans le hall aux murs de pierres, éclairés par l'orbe scintillante qui projetait une douce couleur bleutée sur les fresques mouvantes du plafond, la jeune fille s'étira, fixant un moment le ciel étoilé représenté au dessus d'elle.
Eden lui lança d'une voix moqueuse :
« On dirait bien que tu es déjà fichée. Dire que tu voulais te la jouer discrète...
Avec sa peau hâlée, ses yeux marrons aux reflets mordorés et ses cheveux auburn, pas étonnant que tout les garçons soient à ses pieds.
« Tu parles oui ! répliqua-t'elle avec agacement.
« Je savais très bien que je n'aurais jamais dû accepter de faire ce stupide discours de bienvenue devant toute l'académie à la cérémonie de rentrée, se lamenta-t'elle.
« Maintenant absolument tout le monde me regarde comme une bête de foire.
Elle seccoua la tête avec désapprobation. Ce matin même elle avait pû expérimenter la sensation du regard d'une horde de premières années posé sur elle.
« Comme un prodige Écho. Ils te regardent comme un prodige, ce que tu es, lui répliqua Eden avec un sourire sarcastique.
Écho, absolument pas touchée par le compliment, balaya celui-ci d'un revers de main.
« En attendant le prodige il aimerait bien pouvoir déjeuner en paix.
Les deux jeunes femmes s'engagèrent ensemble dans le large couloir, prenant la direction des toits.
À respectivement 21 et 23 ans chacune, Écho et Eden étaient amies depuis leur entrée à Blackmoore, et ne s'étaient jamais lâchées.
Malgré leurs différences, elles étaient aussi proches que des sœurs aient pû l'être.
Elles débouchèrent finalement sur la grande porte de bois massif qui protégeaient l'accès au gigantesque cloché, interdit aux étudiants.
Sans prendre la peine de jetter un oeil autour d'elle (elles auraient senti si qui que ce soit s'était trouvé dans les parages), Écho posa sa main contre la porte. Elle sentit l'enchantement familier parcourir ses doigts et remonter le long de son bras et insuffla un peu de sa propre magie dans le mécanisme. Les trois verrous s'enclenchèrent en cliquetants l'un après l'autre.
Eden ne put retenir son admiration et émit un petit sifflement approbateur.
« Depuis toute ses années je n'en reviens toujours pas de ton talent. Dire que ce sort a été jetté par le proviseur Harkyns lui-même...
Écho eut un petit sourire en coin et poussa la porte sans lui répondre.
Elle traversèrent la tour abandonnée où leurs propres traces de pas se distinguaient dans la poussière, passant devant l'immense mécanisme ensorcelé de la grande horloge astronomique, gravirent l'escalier étroit, aux planches en bois couvertes de fientes d'oiseau, et débouchèrent finalement sur les imposantes cloches dont l'argent était terni depuis bien longtemps.
Le vent leur ébouriffa les cheveux quand elles poussèrent la porte pour déboucher sur la petite cour, transformée en jardin suspendu à la babylonienne par les deux comparses.
Les plantes s'étaient encore développées durant ces deux mois d'absence, grâce à l'ingénieux système d'irrigation (magique, évidemment) inventé par Eden.
Les freesias cohabitaient avec les roses, les anémones, les gypsophiles et les alstroemeria sans distinctions, indifférentes au climat et à la saison, se développant avec vigueur et sans jamais faner.
De l'autre côté, à l'écart de la mare aux poissons étranges et multicolores, une parcelle était réservée aux plantes aux vertues magiques. Sauge blanche, Valériane, Gingembre, Aconit, Belladone et Mandragore entre autres végétaux, s'entremêlaient dans l'espace délimité par un ruban de soie rouge, protégé par un maléfice.
Près de la marre enfin, se trouvait deux chaises à bascules en bois clair et une pile de coussins multicolores et de livres cornés.
Écho vérifia rapidement que la bulle protectrice était intacte. Celle-ci les protégeaient non seulement des regards extérieurs (tout ceux qui auraient tournés les yeux vers cette cour n'y aurait vu qu'un espace vide) mais protégeaient aussi les plantes et le point d'eau des intempéries.
Rassurée, elle se dirigea vers la pile de coussins moelleux et s'y laissa tomber avec un soupir de contentement.
Elle ferma les yeux, écoutant son amie parcourir le jardin en s'extasiant sur la beauté des plantes.
Enfin, Eden vint la rejoindre et s'assit dans la chaise à bascule aux coussins jaunes avec délice.
« Franchement, cet endroit m'avait vraiment manqué. J'ai beau aimer le manoir de mes parents, cela manque vraiment de verdure. Et d'intimité...
Eden croisa ses mains derrière sa nuque et s'abîma dans la contemplation des nuages au dessus d'elle.
Écho, quand à elle, avait les yeux fermé et semblait se reposer.
Ses cheveux blonds cendrés qui lui arrivaient aux épaules formaient une auréole autour de sa tête. Ses paupières aux longs cils clairs s'ouvrirent, révélant des iris violets, couleur improbable chez un humain lambda, mais pas inhabituelle pour un sorcier.
« Je suis bien contente de ne pas avoir eu Abjuration aujourd'hui, soupira-t'elle.
Eden grimaça.
« Hum, étant donné la façon dont ça s'est terminé l'année dernière avec le professionnel Méliès, je comprends pourquoi...
Écho gémit en appuyant ses paumes sur ses tempes.
« Ne m'en parle même pas ! Pourquoi est-ce qu'il a fallu qu'un des seuls autres français de cette fichue académie me déteste ?
En effet, Écho était francaise, l'une des seules dans l'école implantée au milieu du pays de Galles. La plupart des gens ici étaient anglais, ou en tout cas anglophones, et par conséquent tous partageaient cette langue. Non pas que cela ait pu poser problème à qui que ce soit : certains maléfices existaient pour contrer la barrière des langues.
Seul restait à Écho de son pays natal son nom : Linden, et un reste d'accent, « adorable », si l'on se fiait aux dires de ses amis.
Eden fit les gros yeux et rétorqua :
« Franchement Écho, tu te demandes vraiment pourquoi ? Je te ferai remarquer que tu as quand même séché la totalité de ses cours l'année dernière ! Tu as beau être major depuis notre première année il ne faut tout de même pas exagérer !
« Mais qu'est-ce ce que ça change puisque j'ai tout de même eu la note maximale aux examens ! protesta la jeune fille.
Eden soupira. Cela ne menait rien d'avoir encore la même discussion. Écho était persuadée d'être dans son bon droit et aucun discours ne le ferai changer d'avis. Elle avait beau adorer son amie, son arrogance pouvait parfois être vraiment dure à supporter.
Elle changea donc de sujet, se levant pour aller observer les poissons exotiques qui s'enfouissaient dans les plantes aquatiques extraordinaires.
« Qu'est-ce que tu penses de cette réunion convoquée par le directeur ce soir ?
Écho avait passé un bras en travers de ses yeux, se protégeant de la lumière du soleil déclinante.
« Je n'en ai pas la moindre idée et franchement, je m'en contre-fiche, répondit-elle d'une voix ennuyée.
Eden, habituée au tempérament de son amie ne releva pas.
Elle restèrent ainsi une heure de plus avant de finalement se décider à retourner dans leur chambre.
Écho avait retrouvée sa bonne humeur et c'est avec bonheur qu'elle se jetta sur son lit une fois arrivée dans la pièce.
Cette dernière était assez vaste, décorée dans un style assez similaire à celui du reste de l'académie.
Le plafond était à l'image du ciel et changeait au fil de la journée. Pour l'instant, il était encore d'un bel azur sans nuage.
Les deux lits à baldaquin étaient situés à l'opposé l'un de l'autre dans la chambre. En bois massif, tout deux était décorés de spirales et d'arabesques, avec des colonnes sculptées d'une main de maître. Seul les couvres lits les distinguaient : l'un bleu, l'autre violet.
Des cristaux roses brillaient dans un coin de la pièce, posé sur un des deux bureaux massif, diffusant une aura apaisante, et des plantes de toutes sortes recouvraient tout l'espace de la chambre : pendant du plafonds, posées sur les étagères, c'était tout juste si elles n'envahissaient pas totalement le bureau d'Eden, qui les adorait.
Le lourd tapis aux motifs brodés enfin, achevait de donner à la pièce une ambiance chaleureuse et confortable.
Le mieux restait cependant l'immense fenêtre qui donnait vue sur la falaise et sur l'océan, au-delà.
Eden s'approcha de son amie et lui infligea un coup de pied dans le mollet.
« Eh ! s'écria Écho.
« Allez, bouge de là ! Tu as largement assez fait la sieste et on doit aller manger.
Écho se leva en bougonnant et se posta devant le grand miroir au cadre d'ébène.
Elle lissa son uniforme un peu froissé du plat de la main. Ce dernier était composée d'une chemise noire au col brodé de fioritures d'or, assortie d'une veste de satin tout aussi sombre, uniquement réaussée du blason de l'académie sur la poitrine, également brodé de fils d'or : un croissant de lune renversé surmonté d'un athamé et d'une plume entrecroisés. Le bas se composait tout simplement d'une jupe plissée, noire également qui s'arrêtait à mi cuisse.
Pour sa part, Écho préférait généralement porter des pantalons et elle revêtait souvent le bas d'uniforme masculin, pour cette exacte raison.
Elle jetta un oeil aux quelques tâches de rousseurs sur son nez et ses joues, se sourit, globalement assez contente du résultat et tourna les talons pour rejoindre Eden qui l'attendait devant la porte.
« Très bien, allons faire face à notre destin, lui lança-t'elle d'un air mutin avant de la dépasser.
...
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