Chapitre 2 - Athar
― Athar, on a perdu suffisamment de temps ! finit-elle par cracher. Déjà qu'il nous a fallu presque une journée pour découvrir ce coffre ! Et il ne va pas s'ouvrir tout seul... Je ne peux pas le faire, et vous autres non plus. On n'arrivera pas à forcer cette serrure, pas quand des sorts de protection aussi puissants sont encore en place ! Il n'y a que ta chose qui en soit capable, alors il serait temps qu'elle s'y mette... Et si elle s'y était collée directement au lieu d'insister pour manger avant, on serait déjà sur la route ! Cet endroit me donne la chair de poule... plus vite on ouvre ce truc, plus vite on se casse !
Je sentis le corps de l'homme se tendre légèrement. Je n'avais pas aimé le ton avec lequel cette femme avait dit « ta chose », et visiblement, lui non plus. « Athar »... Je laissai ce nom résonner dans ma tête, et les échos de ma voix intérieure le répéter à l'envi. « Athar »... « Athar »... « Athar »...
Le côté de ma tête qui ne reposait pas dans sa main était accolé à sa poitrine, et sa voix m'entoura en vibrant quand il prit la parole.
― Nel, tu sais quoi ? La ferme, dit-il très doucement. Il avait parlé sans intonation particulière, mais ses mots me hérissèrent le poil. Chargés de pouvoir, ils avaient glissé en direction de cette femme. Je pouvais presque les sentir frissonner dans l'air, vibrante lame virtuelle tissée de sons empoisonnés, dressée entre « elle » et « nous »...
L'enfant se chargea de rompre l'épais silence qui s'éternisait.
― Sia, tu veux bien le faire ? S'il te plaît ?
Sa voix à lui n'éveillait aucun écho en moi, mais j'aimais bien entendre ce nom, « Sia ». Mon nom, puisque Athar m'avait appelée ainsi, lui aussi. « Sia », pas « la chose ».
Oui. J'étais « Sia ».
― Nel a parlé avec son tact habituel, mais elle a énoncé une chose vraie : il n'y a que toi qui puisse ouvrir ce coffre, Sia, dit à son tour Athar, penchant la tête jusqu'à souffler ses mots dans mes cheveux. C'est important ma douce... Il faut que tu reprennes tes esprits, à présent... Allez... On s'en débarrasse et on cherche une taverne pour fêter ça, d'accord ?
J'acquiesçai, et ses mains glissèrent dans mon dos jusqu'à me soulever légèrement, afin de soutenir mes appuis. Je me redressai, et quelque peu vacillante, le laissai accompagner ma progression vers le coin opposé de la pièce, à l'angle de laquelle un imposant buffet trônait. Par endroits, le bois avait cédé, laissant poindre le métal qui composait le coffre caché dans le meuble. C'était un matériau d'un noir huileux, veiné de reflets rougeâtres à la beauté vénéneuse et qui semblaient palpiter, comme animés d'une volonté propre. L'aspect en était à la fois fascinant et repoussant. Je me tournai vers Athar avec un regard interrogateur.
― Oui, c'est un objet enchanté par un mage noir. Même moi, je ne puis y toucher, tu le sais. Ma magie n'est pas assez puissante pour cela, cela me détruirait. Cela détruirait n'importe quel être qui ne serait pas un Draghorn d'ailleurs, quels que soient ses pouvoirs. Je te l'ai dit, il est heureux que tu aies été la première à approcher ce meuble, même si le contre-sort t'a valu cette jolie bosse, dit-il en embrassant doucement mon front, juste là où la souffrance commençait à refluer. Si cela avait été l'un de nous, il n'y aurait pas survécu.
La simple pensée qu'Athar puisse cesser de vivre me coupa presque la respiration. Rien d'autre ne semblait surnager dans mes pensées, car lui seul m'était revenu en mémoire. Était-ce un des effets du Lien, ou une spécificité du contre-sort ? Aucune explication certaine ne se présentait à moi, pas plus que d'éventuels souvenirs de mes autres compagnons d'aventure. Seul Athar occupait mon esprit. Et si c'était si important pour lui qui était si important pour moi, alors je devais à tout prix ouvrir ce coffre, aussi maléfique soit-il.
Sauf que je n'avais pas la moindre idée de comment m'y prendre... Cela aussi, je l'avais oublié !
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