Le buffet tout proche est en bois assez clair, ouvragé dans un style chargé qui déborde de formes cabalistiques. Les parties où le bois a cédé laissent toujours apparaître la matière noire qui compose le coffre. Je vois mon corps physique se libérer de l'étreinte des bras d'Athar.

Puis nous avançons ensemble, côte à côte, et j'entame ma métamorphose : lentement, ma peau se charge de fines écailles argentées, scintillantes. Elles recouvrent jusqu'à mon visage, où brillent deux yeux pourpres. Le miroitement rend mes mouvements difficiles à suivre, et à présent je semble presque floue, immatérielle.

Une mélopée lancinante s'échappe de mes lèvres en un bourdonnement monocorde, alors que je récite les invocations nécessaires, sous le contrôle d'Athar. Une brume grisâtre se forme autour du buffet, et plus la conjuration du sort devient intense, plus le nuage se densifie. De petites étincelles le parsèment, de plus en plus nombreuses, et finissent par former de véritables cordons lumineux qui se déploient pour enserrer fermement les parois du meuble. Sous la pression magique, le bois souffre et se tord alors que mon sort l'arrache par lambeaux entiers...

Quand le coffre magique est totalement libéré de sa gangue protectrice, ma mélopée s'intensifie brusquement. L'ébène veiné de rouge des parois s'obscurcit pour devenir d'un noir profond et terne, puis le coffre cède avec un craquement sec. Ses battants à peine ouverts la magie reflue et ma métamorphose s'inverse, la forme humanoïde reprenant lentement consistance.

Là où l'instant d'avant se dressait un être de légende se tient à présent une simple jeune fille, mince et rousse, dont le front est légèrement marqué de rouge. Puis ma vision se brouille, quand Athar relâche le Lien.

Nous avions réussi ! Une fois les protections neutralisées, il n'y eut plus qu'à découvrir ce qu’elles protégeaient. Le trésor si convoité n’était pourtant pas bien rutilant… le coffre recelait une statuette assez laide figurant une sorte de dieu cornu sculpté dans un bois sombre et veiné de pourpre, quelques pièces d'or, plusieurs parchemins jaunis et surtout, un paquet rectangulaire noué d'une corde elle-même scellée par un cachet de cire rouge, dont Athar se saisit avec une impatience manifeste.

Nous nous regroupâmes autour de la table de la salle à manger, et après une brève inspection du sceau, Athar le rompit pour ouvrir le paquet : une carte gravée sur un cuir tanné très clair y était soigneusement emballée. Il la déplia avec précaution afin que nous puissions tous y jeter un œil. La plupart des représentations – montagnes et leurs vallées, cours d’eau mais aussi villes et villages – y étaient figurés à l’encre, et par contraste, quelques emplacements signalés par des symboles colorés ressortaient au cœur du maillage noirâtre.

― C'est bien la carte que tu cherchais, Athar ? demanda Evil, incapable de réfréner sa curiosité.

― Oui, c'est bien elle, c'est la carte de Pantedhra. Regarde : voici le manoir où nous séjournons. Nous avons complété notre première tâche. Il nous faut à présent décider vers où porter nos prochaines recherches... Ici commence la Quête des cinq Pierrâmes. Mais tout d'abord Sia doit retrouver ses souvenirs, et surtout le plein usage de ses pouvoirs. Sans eux, nous courrons à l'échec, et peut-être même... à la mort...

― Oui, tu as raison... Oublions la taverne, Athar, dit Sathis, prenant de court Nel qui semblait vouloir protester. Rentrons au château. Soigner Sia doit être notre priorité. Après tout, c'est la dernière Draghorn du Monde Connu... Ensuite, nous partirons à la recherche des Pierres. Elles sont perdues depuis des millénaires, quelques jours de plus ou de moins n'y changeront rien...