Chapitre 10 - Un choix compliqué
Était-ce fini ?
Nous peinions à y croire, et nul n'osait briser le silence paisible qui dorénavant régnait sur la clairière...
Puis la nature reprit ses droits, bourdonnements d'insectes de-ci, chants d'oiseaux de-là. Lentement mais sûrement, le soleil poursuivait sa course en solitaire et s'élevait hors des montagnes. Le rouge de sa naissance s'estompait sur la roche, laissant place au doré de rayons plus matures qui ricochaient sur chaque goutte de rosée abandonnée par la nuit, la changeant en diamants qui ne seraient pas éternels.
Une petite brise se levait, discrète marionnettiste agitant élégamment les branches des arbres qui nous entouraient. Humide et fraîche, elle ne tarderait pas cependant à se charger de l'odeur entêtante des résineux.
Je respirai profondément cet air nouveau et pur, sans pour autant parvenir à le laisser chasser en moi le sentiment de malaise que les loups avaient laissé derrière eux. Lovée comme un serpent venimeux, immobile mais tendue comme un ressort psychique, mon angoisse n'attendait qu'une raison suffisante pour jaillir hors de mon contrôle. Nul doute que si je me déconcentrais même légèrement, j'allais à nouveau clignoter de toute part, pour le moins... Chaque seconde passée semblait me rendre une meilleure maîtrise de mes pouvoirs, mais je sentais bien que j'étais toujours très loin d'avoir retrouvé un contrôle parfait de ma magie...
― Mieux vaudrait attendre encore, ou bien ne pas s'attarder ? demanda alors Evil, toujours à voix basse, bien que tout danger semble écarté, à présent.
Une fois de plus, ce gamin semblait dire tout haut ce que je pensais tout bas. Si j'avais osé parler la première, je n'aurais pas demandé autre chose. L'indécision me pesait, mais pour autant, de rester ou partir, nulle option ne me semblait devoir l'emporter. J'étais à la fois inquiète de quitter le refuge de la clairière protégée de sa barrière magique, et désireuse de m'éloigner du théâtre des évènements de la nuit...
― Levons le camp au plus vite, dit Athar. Nous mangerons en chemin. Je vais laisser la barrière en place jusqu'au dernier moment. D'ici là, que personne n'essaie de la franchir, sous aucun prétexte.
Je laissai échapper un léger soupir de soulagement, inconsciente jusque-là que mon dilemme m'avait perturbée au point d'en retenir mon souffle. Athar avait décidé, nous partions, donc ! Et chacun de s'activer à rassembler ses quelques affaires, après avoir éteint les rares éclats de braise qui survivaient encore au cœur du foyer.
Quand nos paquetages furent faits, les montures sellées et chargées, Athar s'attela à désactiver la barrière, ce qui fut encore plus rapide que de l'installer. Un bref « finite » lancé de sa voix basse se tortilla dans l'air d'un piquet à l'autre, et tous s'éteignirent. Le sorcier se dépêcha de les récupérer pour les ranger dans une sacoche de cuir fauve, placée à l'avant de sa selle, et nous nous mîmes en route sans plus attendre.
La clairière ne tarderait pas à être rendue à son état presque naturel : seul le léger creux ‒ où nous avions placé les pierres contenant notre feu ‒ témoignerait quelques temps encore d'une activité passée. Bientôt, la prairie rase aurait oublié jusqu'à nos empreintes et celles de nos montures.
― Nous devrions suivre le ruisseau, déclara soudain Nel, il n'est pas bien profond, mais cela pourrait suffire à brouiller nos traces. Si les loups reviennent, mieux vaut s'assurer qu'ils ne nous pistent pas aussi facilement qu'un vulgaire gibier.
― Je ne tiens pas à perdre encore plus de temps sur la route, lui répondit Athar, mais...
― Pour l'instant il coule vers l'Est, et c'est notre direction, l'interrompit Nel, avec un petit mouvement impatient de la tête.
Cette peste ne lui avait même pas laissé terminer sa phrase ! Le temps avait beau passer, je ne réussissais pas à la trouver plus supportable... Cette fois, je comptais bien lui dire ce que j'avais sur le cœur !
Sathis se racla la gorge, et prit la parole avant que je ne laisse échapper mon exaspération par quelques mots bien sentis.
― Cela semble une bonne idée, et puis nous aurons toujours de l'eau fraîche, ainsi. Il y aura peu de sources sur notre route... souvenez-vous de l'aller, où nous avons peiné à nous ravitailler ! Les chevaux ont eux aussi besoin de boire, et bien plus que nous... Qu'en penses-tu, Athar ?
C'était très fin de sa part d'intervenir ainsi. Elle donnait de nouveaux arguments en faveur de cette route un peu improvisée et confortait son amie Nel sans pour autant mettre Athar en porte à faux vis-à-vis de son rôle de chef, puisqu'elle lui demandait respectueusement son avis. La guérisseuse se révélait habile diplomate, et j'en conçus une raison supplémentaire de l'apprécier plus encore.
― Bien, lui répondit Athar, dont le léger rictus montrait toutefois qu'il n'était pas dupe. Comme je le disais, je ne tiens pas à perdre encore plus de temps sur la route, mais... j'aime autant qu'on évite de croiser le chemin des loups une seconde fois. Nous suivrons donc le ruisseau tant qu'il ira dans la bonne direction, cela devrait suffire à brouiller nos traces. Et nous remplirons nos outres avant de nous en éloigner, bien entendu, ajouta-t-il avec un regard en coin vers Sathis, qui eut le bon goût de rougir légèrement à cette petite pique.
La file indienne laxiste des premiers instants fut oubliée au profit d'une formation regroupée : le ruisseau, assez large, autorisait le déplacement de front de deux cavaliers. Le temps n'était plus à l'insouciance, même relative. Cette fois, Athar ouvrait la voie ‒ et bien entendu j'étais à ses côtés ‒ quand Nel et Sathis fermaient la marche. Ainsi disposés nous entourions Devil, le plus jeune d'entre nous et le moins apte à se défendre en cas d'attaque.
Dès lors, nous quittions nos repères pour nous aventurer en territoire inconnu...
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