Chapitre 4 : Dîner aux chandelles, Partie 1
Mon sommeil fut agité. Dans mes cauchemars, Elo et Dom me poursuivait en essayant de m’enfiler une robe, alors que j’avais dans les mains un ballon de rugby que JB et Freddy me criaient d’aller aplatir sur la tête de mon père. Cette dernière partie m’avait beaucoup plu... Mais quand ensuite le décor s’est changé en vide intersidéral, la peur m’a envahi. J’étais seul, dérivant dans l’espace. Devant moi, la Terre s’éloignait de plus en plus malgré mes efforts désespérés pour la rejoindre…
Je me suis alors réveillé en sursaut, le cœur battant la chamade. Un simple coup d’œil m’apprit que j’étais de retour dans la chambre où je m’étais retrouvé à mon premier réveil. Pas étonnant que cette scène me donne un désagréable goût de déjà-vu…
A travers les fenêtres de la pièce, je me suis aperçu que le ciel avait pris une teinte orangée et que le soleil était en train de disparaitre derrière les montagnes loin au nord. Nous étions déjà le soir… si tant est que le temps se passe de la même manière sur la Lune que sur Terre.
La porte de ma chambre s’ouvrit soudain, livrant le passage… au nain que j’avais rencontré tout à l’heure, son balais-lance attaché dans son dos.
- Vous ! me suis-je exclamé en bondissant hors de mon lit.
- Ouais, moi… Ravi de voir que vous êtes toujours aussi mal élevée.
Le nain entra sans plus de façon, refermant la porte d’un coup de pied. Il portait un grand paquet rectangulaire qui, dans ses bras, paraissait tout simplement énorme. Le nain le déposa sur mon bureau.
- On m’a demandé de vous remettre ça, et de vous dire que la maîtresse vous attends pour le dîner dans une heure. Bon, sur ce…
- Attendez une petite minute ! l’ai-je arrêté en me mettant en travers de son chemin. J’ai des questions à vous poser !
- Et je ne suis pas payé pour les écouter, rétorqua le nain, avant d’ajouter après un instant de réflexion. En fait, je ne suis pas payé du tout…
Ce nain allait finir par me rendre fou… Je me suis forcé à inspirer profondément pour garder mon calme.
- Ecoutez, le nain…
- C’est Tendoris !
- …Tendoris, où se trouve votre maîtresse ?
Haussement d’épaules du nain.
- Allez savoir. Elle est aussi libre que le vent. En fait, c’est généralement elle qui vous trouve.
- Comment ça « c’est généralement elle qui vous trouve » ?
- Appelez-là, et il y a de bonnes chances qu’elle vous réponde. Elle a l’air de bien vous apprécier…
J’ai réprimé un grognement agacé. Gwenaëlle semblait surtout apprécier me tourmenter…
- Sinon, savez-vous comment faire pour aller sur Terre ?
Le nain haussa un sourcil, m’envisageant comme si j’avais perdu la tête.
- Pourquoi diable vous voudriez aller dans ce trou à rats ? Z’êtes sûre de pas vous être cogné la tête quelque part ?
- Vous êtes drôlement grossier, pour un nabot qui m’arrive à peine à la ceinture, ai-je rétorqué.
- Possible. Quand on est petit, on a tendance à voir les choses autrement : on préfère être direct et ne pas perdre de temps. Les belles paroles et les niaiseries, je laisse ça aux grands.
Bon. Il était clair que Tendoris avait de la répartie et qu’une joute verbale me ferait perdre plus de temps qu’autre chose. J’ai donc décidé de changer de tactique :
- Ecoutez, oh sage nain porteur de balai magique et pourfendeur de vermine… J’aimerais simplement savoir s’il existe un autre moyen de me rendre sur Terre, sans que Gwenaëlle ne puisse le savoir.
Tendoris plissa les yeux.
- Vous chercheriez pas à lui fausser compagnie, par hasard ?
- Jamais, ai-je juré en levant la main avec une parfaite mauvaise foi.
Le nain haussa de nouveau les épaules.
- Bof, après tout ça ne me regarde pas, lâcha-t-il. Et puis honnêtement, ce sera amusant de vous regarder essayer. De toute façon, vous comprendrez très vite qu’on ne peut pas échapper à la sorcière…
- Vous… vous allez vraiment m’aider ?
Honnêtement, je n’arrivais pas à croire que cela ait marché.
- Vous allez m’écoutez, oui ? s’agaça Tendoris. Il n’y a que trois moyens de quitter Avalon : soit en utilisant le dolmen du…
- C’est quoi un dolmen ?
Le nain me regarda avec un mélange de dégoût et de pitié.
- J’oubliais que les humains se moquaient des monuments du passé. Un dolmen, Mademoiselle…
- Monsieur !
- … C’est une structure de pierres qui canalise l’énergie de la terre. Ici à Avalon, les dolmens nous permettent de voyager en passant de l’un à l’autre. C’est un portail, en quelque sorte. Le dolmen du lac est par contre le seul qui permette d’accéder à la Terre. Seulement… la sorcière en sera avertie si vous l’utilisez.
J’ai croisé les bras, pensif. Cette première option me paraissait difficilement envisageable. Déjà, je ne savais pas comment maitriser ces dolmens, et quand à tromper la vigilance de Gwenaëlle…
- La seconde option, c’est les chars. Il y en a deux. Il vous suffit de monter dessus et d’appeler leurs montures.
- Les chars ? ai-je répété, sidéré. C’est sur Terre que je veux aller, pas me promener au bord du lac !
- Avec ces chars-là, vous pouvez aller jusqu’à l’autre bout de la galaxie, ma p’tite damoiselle. Seulement… il faut savoir les maitriser. Sinon vous risquez de vous écraser sur Mars.
Je n’arrivais pas à savoir s’il voulait simplement me faire peur, ou bien s’il était vraiment sérieux... Dans le doute, j’ai décidé de considérer qu’il ne me mentait pas.
- Et… la dernière option ? me suis-je risqué à lui demander.
Tendoris esquissa un sourire chargé d’ironie.
- La sorcière peut vous téléporter sur Terre en un clin d’œil si elle en a envie.
Autant dire que c’était mort.
- D’ailleurs à ce sujet, reprit le nain en se dirigeant vers le bureau. La maîtresse vous a offert un cadeau. Si vous voulez revoir la Terre, vous devriez commencer par le mettre.
D’un geste, Tendoris ouvrit le paquet. Je me suis approché, intrigué… avant de jeter un coup d’œil ébahi à son contenu.
Il s’agissait d’une robe écarlate, agrémentée de flammes dorées, et d’un dragon dont le tissage était si vivant qu’il semblait bouger sur toute la surface du vêtement. Gwenaëlle n’avait manifestement pas lésiné sur les moyens pour me faire plaisir… ou plutôt pour m’amadouer.
- -*Il est hors de question que je porte ça, ai-je déclaré en croisant catégoriquement les bras.
- Pourquoi ? Z’aimez pas la couleur ? Vous préférez vous balader en robe de nuit, à moitié nue et les jambes à l’air ?
- Ce n’est pas du tout la question ! C’est une robe ! Je suis un homme, je vous signale !
Le nain poussa un soupir exaspéré.
- Vous, les humains, vous avez des coutumes très étranges, marmonna-t-il.
Avant que je n’ai pu répliquer, la porte s’ouvrit de nouveau, livrant le passage à une seconde naine. Petite, forte poitrine et les épaules plus larges que les miennes, j’ai su en un éclair qu’elle pourrait me soulever et me balancer dans le lac d’une seule main si l’envie l’en prenait. Une abondante chevelure rousse retenue par un bandeau vert encadrait un visage buriné par le temps, mais agrémenté d’yeux rieurs et d’un sourire lumineux. Ce qui était moins lumineux, en revanche, c’était l’immense hachoir accroché à sa ceinture…
- Tendoris, espèce de paresseux ! Que fais-tu à trainasser ici ? lança-t-elle en se tournant vers son congénère. Pourquoi la demoiselle n’est pas déjà lavée et habillée ?
- Je suis un homme, ai-je rappelé. Si jamais cela intéresse quelqu’un…
- C’est de sa faute, Marga, répliqua Tendoris en m’ignorant complètement. Elle n’a pas cessé de me harceler avec ses questions !
Apparemment non.
- N’essaye même pas de te justifier, vieilles tête de mule ! reprit Marga en posant ses mains sur ses hanches d’un air sévère. Tu trouverais n’importe quelle excuse pour tirer au flan !
- Je ne te permets pas, Marga ! s’offusqua Tendoris. Je fais ma part ! Sans moi, ce château…
- Bah ! Je ne veux plus t’entendre espèce d’âne borné ! Allez, ouste ! Laisse-nous entre dames ! Je dois préparer Mademoiselle pour son diner avec la maîtresse !
Tendoris ouvrit la bouche pour répliquer, mais Marga se mit à le pousser vigoureusement vers la sortie.
- Aïe ! Eh, fait attention ou tu tapes, vieille folle ! Tu n’as pas le droit de…
CLAC ! La porte se referma sur le nez de Tendoris et coupa court à ses plaintes. Marga inspira profondément, avant de se tourner vers moi.
- Eh bien, trésor, vous allez mieux ? s’enquit-elle avec un sourire attendri. J’espère que ce vieux grincheux ne vous a pas trop embêté. Il n’aime pas vraiment le changement.
- Euh… non, ça va, ai-je répondu, encore sur mes gardes.
- Hum… Dans tous les cas, n’hésitez pas à me le dire s’il vous embête ! je me chargerai de lui rappeler les bonnes manières.
Marga se dirigea vers le bureau, l’observa d’un œil critique, puis secoua la tête.
- Cela ne va pas du tout, décréta-t-elle en dégainant vivement son hachoir.
Je me suis écarté d’un bond, mais fort heureusement ce n’était pas moi que la servante visait. Le bureau vers lequel sa lame était pointée s’illumina soudain d’un éclat vert et se mit à vibrer violement. Sous mes yeux ébahie, le bois du bureau se tendit et s’allongea, comme si quelque chose, une masse sylvestre qui se débattait, essayait de s’en extirper. C’était comme si le bureau était en train de… donner naissance à quelque chose d’autre. La forme de la masse finit par se préciser et s’affiner, alors qu’elle se détachait progressivement du bureau. Une minute plus tard, j’avais devant moi une sorte de petit meuble, plus fin et plus petit, qui semblait avoir été taillé dans le même arbre que le premier.
- Hum… marmonna Marga, apparemment pas complètement satisfaite de son œuvre. Il manque quelque chose…
Elle pointa son hachoir vers le miroir, qui s’illumina à son tour. La surface argentée se tordit et jaillit soudain en arc de cercle avant de se fondre dans le montant supérieur du nouveau meuble, créant ainsi un second miroir ovale.
- Parfait ! Toute dame digne de ce nom se doit d’avoir une coiffeuse à la hauteur de sa vertu !
Je l’ai regardé, bouche bée devant ce tour de force.
- Co… comment avez-vous fait ça ?
- Oh, cela n’a rien de bien compliqué, trésor… tout est dans le poignet !
Marga claqua des doigts, et le meuble s’éleva légèrement dans les airs avant de s’adosser contre le mur. Puis, un tabouret vola à son tour (manquant de m’éborgner au passage) pour se poser juste devant.
- Allez-y, ma petite, lança-t-elle en m’invitant à m’installer.
Rien à faire, j’avais encore du mal à m’habituer à toute cette magie… Je me suis assis docilement sur le tabouret, alors que Marga m’examinait d’un œil critique.
- Hum… il va me falloir du temps pour démêler ces cheveux… Mais votre peau est parfaite, comme celle de Maîtresse Gwenaëlle. Je suppose que vos gènes de sorcière y sont pour quelque chose !
Marga tapa dans ses mains avec énergie.
- Je pense que nous allons commencer par un bon bain chaud pour détendre vos muscles – vous êtes toute crispée, ma parole ! – et ensuite nous peignerons vos cheveux pour les démêler. Après, nous passerons à l’essayage de la robe. J’ai déjà pris vos mesures et je ne me trompe jamais, mais peut-être préférez-vous qu’elle soit moins serrée… J’espère qu’elle vous plait, au moins !
J’ai glissé un coup d’œil maussade vers la robe, quand je me suis aperçu que quelque chose était tissé sur son col.
Morgane Laufey.
A suivre...
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