Figée
Figée.
Parfaite.
Le temps s’est arrêté. C’est arrivé plusieurs fois déjà, depuis que je l’ai rencontrée.
Quelle chance j’ai eue ce jour-là !
Elle avance sur le quai, enroulée dans une écharpe de cheveux et de laine. J’ai le coeur brisé, je recolle les morceaux. Elle déambule, elle papillonne, je la croise avec ma grisaille et ce que je crois voir alors, c’est la vie elle-même. L’absence qui creusait mes joues se remplit d’un coup. Mon âme enfle, elle se gonfle en grinçant comme un ballon d’anniversaire. Elle épouse mes contours, des pieds à la tête. Je me sens léger.
Céline. Porcelaine aux lignes fines qu’un rien abîme. Elle n’a pas besoin d’en dire plus sur elle, je la crois sur silence. Je sais la beauté de son âme, je vois son coeur déborder. Je l’aime comme on aime la vie : sans condition… par instinct. C’est ça, Céline, je l’aime par instinct.
Un rendez-vous chez elle, un autre chez moi, en deux soirs, je n’ai plus aucun doute. Je lui fais la cuisine, elle avale mes verres de vin, je lui parle de mon pays, elle me raconte son univers : ses dessins sont uniques, je n’aime pas trop, d’abord, et puis je reconnais son talent. Elle m’entraîne. Parfois, je la regarde et le temps s’arrête. Je ne sais pas pourquoi. Ça se produit, comme ça. Quand ça arrive, je me précipite ! C’est le moment ! Je la mesure, la scrute, je veux la reproduire à l’identique. Je n’en crois pas mes sens. Et si elle s’évapore ? Il faut la montrer au monde ! Il faut la montrer et crier :
— Tu vois ! Tu vois ! Le beau existe !
Elle est au bord du lit. Elle m’attend. Elle veut faire l’amour. Oui ! Avec toi, ma belle, on va en faire de l’amour. On va voir si on peut s’aimer par à-coup, profondément, ou à peine ; sur le bout des doigts, le bout de la langue.
Elle est figée, parfaite. Je suis hors de mon corps. Je voudrais l’éternité pour la contempler. J’ai peur que le futur me la prenne. Je ne veux pas qu’une brise balaie ses cheveux. Je ne veux pas que le radiateur chasse le frisson qui s’apprête à secouer ses épaules blanches. Je veux poser mes yeux sur sa poitrine : que mon regard y joue comme un enfant glisse sur un toboggan, dix fois, cent fois, mille fois. Je veux la serrer dans mes bras, sentir sa peau lisse contre la mienne, hérissée, affamée, brûlante de tout absorber.
Céline. Je te tourne autour. Que puis-je faire pour te garder ? Te photographier ? Aucun appareil ne peut capter ta lumière ! Je te peindrais si je savais comment ! Si seulement la musique pouvait vibrer comme toi.
Céline, statue du bord du lit, vient sous les couvertures. Je veux t’aimer, j’en ai trop envie. Et tant pis si tu disparais : je n’en peux plus de m’apprêter à vivre !
Céline. Un jour, je dirai : « je t’ai connue ».
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