Chapitre 1
S’installer dans une charmante et coquette demeure dans un non moins charmant, petit bourg, voilà qui faisait rêver M. Otur et sa famille. M. Otur était un homme d’une cinquantaine d’années, avec une forte carrure, de petits yeux verts et perçants derrière d’étranges lunettes en forme de demie-lune. Son épouse était une petite femme mince et toujours très souriante. Son doux regard ne quittait jamais très longtemps son petit ange, Kurban, un petit garçon aux longs cheveux blonds et qui n’avait d’ange que le surnom, tant il était colérique et manipulateur avec ses parents.
Tout commença un samedi d’été. M. Otur gara sa voiture dans l’allée de la maison à la façade décrépie qui faisait face à la charmante et coquette demeure qui faisait tant rêver la petite famille. Le prix de la vieille maison était nettement inférieur à celui de la belle demeure et M. Otur avait finalement accepté de l’acquérir, à défaut de la maison de ses rêves. Au moins, il pourrait s’installer dans son fauteuil de velours, à côté de la fenêtre et contempler cette jolie maison.
Son fils le bouscula en courant vers la porte, bien sûr, il se mit à piailler d’impatience en se trouvant devant la porte fermée à clé. Mme Otur se dépêcha donc de le rejoindre pour lui ouvrir, elle ne ressortit pas tout de suite et notre bon M. Otur se hâta de rentrer les valises alors que le soleil laissait peu à peu place à un ciel orageux. À l’intérieur, les meubles étaient déjà en place et M. Otur jugea qu’il méritait bien une pause. Il vint s’asseoir dans son fauteuil de velours, un héritage qui lui venait de son grand-père et que M. Otur aimait particulièrement, car dès qu’il s’y asseyait, il imaginait quelle allure distinguée il devait avoir. Il poussa un profond soupir et posa ses lunettes sur le petit meuble à ses côtés. M. Otur se frotta les yeux et croisa ensuite les mains sur son ventre bedonnant. Il observa sa nouvelle maison, elle était d’une banalité affligeante et il ne ressentait qu’une profonde lassitude à cet instant. Il pouvait entendre Kurban déjà en train de donner des ordres à sa mère sur l’endroit où elle devait ranger les jouets. M. Otur poussa un nouveau soupir. Il y avait un petit jardin derrière la maison, et il ne doutait pas que son fils lui trouverait tout un tas d’idées pour occuper cet espace. Il tourna alors le regard vers la fenêtre et éprouva de la joie à la vue de la belle demeure en face. Là-bas, il y avait sûrement assez de place pour les cabanes, trampolines et autres envies de son fils, mais aussi pour avoir une belle pelouse verte, un barbecue dernier cri et un potager comme en rêvait M. Otur. Un sourire se dessina sur ses lèvres, il pourrait cultiver ses propres fruits et légumes qu’il utiliserait ensuite pour cuisiner. Car chez les Otur, c’était monsieur qui s’occupait de la cuisine, madame étant bien trop occupée à s’occuper de Kurban, bien qu’il ait l’âge de se débrouiller, mais cela, personne n’oserait jamais le dire de peur de s’attirer les foudres de Mme Otur. Elle était la gentillesse incarnée, sauf lorsqu’il s’agissait de son garçon, quiconque s’en prenait à lui le regrettait aussitôt. Un mouvement attira l’attention de M. Otur, le sortant de ses pensées. En face, un homme en costume attendait devant la maison, bientôt rejoint par un couple et trois enfants. M. Otur fronça les sourcils, il n’avait aucune envie de voir la maison de ses rêves achetée par ces gens. Il plissa les yeux pour mieux voir, un couple d’une trentaine d’années, bien habillé, des enfants sages qui attendaient derrière eux. Il espéra alors que ces petits diables n’abîmeraient pas la belle demeure. Avec un peu de chance, cette famille n’aurait pas la maison. M. Otur resta dans son fauteuil jusqu’à ce que ces visiteurs indésirables aient quitté la rue. Il remarqua que le beau lampadaire dans la cour de la maison s’allumait tout seul à partir de la nuit tombée. Il trouva que c’était là une fort bonne idée, ainsi, il aurait tout le loisir de pouvoir observer la maison à n’importe quel moment.
M. Otur soupira de nouveau, la préparation du repas du soir l’attendait.
Une semaine s’était écoulée depuis que la famille Otur avait posé ses valises dans sa nouvelle maison. M. Otur revenait de son travail, un emploi dans un bureau à remplir de la paperasse inutile. Il se gara dans l’allée, au même moment un camion de déménagement s’arrêta en face et la famille qu’il avait observée la dernière fois commença à descendre des cartons. Son nouveau voisin croisa son regard et lui fit signe avec un grand sourire. M. Otur haussa les sourcils, il n’était pas impoli d’ordinaire, mais cette maison était celle de ses rêves, il avait toujours eu un sentiment particulier en la regardant, et il avait l’impression que des squatteurs étaient entrés dans sa propriété. Il se retourna et entra chez lui sans accorder un autre regard à son voisin.
Le repas du soir fut animé par l’animosité de M. Otur envers ses nouveaux voisins, son épouse n’y portait guère attention, trop occupée à féliciter son fils qui venait de finir sa soupe pour la première fois. Kurban en revanche ne comprenait pas son père, et il se fit un plaisir d’annoncer qu’il inviterait les enfants d’en face à jouer avec lui. Mme Otur s’empressa d’accepter malgré le mécontentement visible de son mari, qui n’osa cependant pas s’y opposer et termina son repas silencieusement.
Le lendemain, le petit Kurban Otur s’était empressé d’aller rencontrer ses nouveaux voisins avec sa mère. La famille Chandler fut ravie de les accueillir, et pour une fois, Kurban se comporta avec politesse et s’amusa avec les enfants dans le grand jardin. Le soir venu, Mme Otur raconta leur journée à son mari qui était rentré tard ce jour-là. M. Otur posa beaucoup de questions sur la maison, et très peu sur ses nouveaux voisins. Un sentiment de jalousie l’avait envahi dès l’instant où il avait appris que son épouse et son fils étaient entrés dans la belle demeure en face de la leur.
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