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« Elyranthe, Elyranthe

Mais où te caches-tu ?

Dans cette forêt luxuriante,

Loin de nos yeux, perdue…

Je te découvrirai,

Percerai ton secret.

Toi, ma destinée.

Elyranthe, Elyranthe

Ma belle rougeoyante. »

Anna West fredonnait pour la énième fois la comptine que son père lui chantait pour l'endormir. Dans la jungle hostile du Guatemala, elle lui donnait la force dont elle avait cruellement besoin pour continuer son périple. Mais sa voix finit par perdre en intensité et mourut sur ses lèvres. Elle sentit une main serrer la sienne. Elle tourna la tête et croisa un regard bleu acier : Robert, son mari, la connaissait par cœur. Il avait reconnu les signes de sa soudaine faiblesse .

— N’abandonne pas mon colibri, nous le retrouverons. J’en suis certain.

Anna esquissa un sourire en demi-teinte à l’évocation de son surnom. Elle ne dépassait pas les 1m60. De plus, haute en couleur et ignorant la signification du mot « repos », la comparaison lui seyait à merveille

— J’espère que tu as raison…

Anna grinça des dents. La colère l’étouffait depuis trop longtemps. Sa famille avait connu des deuils précoces à cause d’une quête de gloire et de postérité. La faute à un ancien fragment de manuscrit maya découvert au cœur de la forêt tropicale guatémaltèque par son grand-père, Harry Brainford. Ce dernier avait disparu quelques mois plus tard, lors de son dernier voyage dans le pays des anciens mayas. Son père, Victor, avait alors repris le flambeau et travaillé sans relâche des années durant pour déceler l’emplacement exact du trésor évoqué par le manuscrit.

— Anna, Elyranthe deviendra le graal tant recherché par l’humanité. Si ce que raconte le manuscrit est vrai, nous sommes à l’aube d’une incroyable avancée scientifique. Ton grand-père a donné sa vie pour élucider son mystère et je n’aurai de cesse de parcourir la jungle jusqu’à ce que je la voie enfin de mes propres yeux.

Le cœur d’Anna se serra au souvenir des dernières paroles de son père, avant qu’il ne fasse route lui aussi vers la cité perdue de Naachtun pour un aller sans retour.

— Cela fait des jours qu’on marche sans croiser âme qui vive à part des moustiques et le puma qui a bien failli avoir notre peau. Putain ! Robert, qu’est-ce qu’on fait là ? À quoi bon ?

Anna s’écroula, éreintée, sur le sol boueux. Elle saisit la gourde presque vide et la but d’un seul trait. Son corps réclama une ration supplémentaire, mais leurs provisions arrivaient à terme. Il lui apparaissait, avec la plus absolue des évidences, que cette expédition tournait au fiasco. Des larmes coulèrent le long de ses joues et se mêlaient à la sueur qui recouvrait sa chair d'une fine pellicule.

— Anna, on ne peut pas abandonner maintenant ! Nous avons parcouru plus de la moitié du chemin. Relève-toi ! D’après la carte le village se trouve à un kilomètre vers le nord. Et cesse donc de jurer, par pitié !

Anna étouffa un dernier sanglot en se gardant bien de répondre et essuya son visage d’un revers de manche. Elle suivit Robert en silence, bien qu'elle ponctuât parfois leur marche de borborygmes évoquant des plaintes amères. Elle ne se reconnaissait pas dans cet endroit si loin de chez elle, si… sauvage. Anna n’avait accepté d’accompagner son mari que dans le seul but de retrouver son père, pleine d’espoir. Robert, lui, désirait également dénicher Elyranthe pour satisfaire sa curiosité scientifique – pleine d'ambitions – et ainsi faire d’une pierre deux coups. Une fois au Guatemala, Anna avait bien vite déchanté. Terminé les talons hauts, le tailleur bien ajusté, le maquillage parfait et les coiffures savamment réalisées. Dans la moiteur tropicale, elle ne ressemblait en rien à la biologiste américaine quadragénaire bien éduquée et tirée à quatre épingles qu’elle était en temps normal. Après deux semaines à crapahuter dans la jungle, son corps était à présent ravagé par de gros boutons rouges et prurigineux, la faute aux moustiques qui pullulaient. Ils la rendaient d’humeur exécrable. La fatigue l’étreignit et sa démarche devint pesante et maladroite. Impossible de fermer l’œil plus de trois heures par nuit, l’esprit à l’affut du moindre bruit suspect. Le puma avait bien failli les dévorer en plein sommeil avant que leur guide Quiche Nahil, un local, ne s’en charge à coup de fusil.

— Nura. Village derrière arbres.

Nahil leur désigna du doigt deux grands arbres recouverts de mousse épaisse à une cinquantaine de mètres. Anna soupira de soulagement. Elle pourrait enfin se reposer en toute sécurité. Du moins, elle l’espérait de tout son cœur. Elle réajusta son chapeau en feutre, écrasa un gros moustique sur son bras et accéléra la cadence en laissant tomber son sac sur le sol. Robert, gentleman comme à l’accoutumée, le récupéra. Anna dirigeait leur couple de main de maître depuis le début ; autoritaire et assurée, son époux répondait à tous ses désirs. Anna le savait et en jouait. Sa fierté lui venait de sa mère : « ne laisse jamais ton futur mari décider de tout à ta place, ma fille. Tu dois lui montrer qui tu es » lui répétait-elle chaque soir avant de se coucher, quand d’autres mères auraient simplement raconter un conte de fée à leur enfant. Anna avait ainsi grandi au sein d’un foyer aux valeurs féministes radicales dans les Etats-Unis d’avant-guerre.

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