Votre personnage est une émotion. Votre personnage n'a pas une émotion, il EST cette émotion. Vous vous glissez dans sa peau.

Car je possède sans arrêt mon autrice. Car je possède un bon nombre d'entre-vous. Parce que je vous domine et vous dirige, je me sers de votre désaroi, je m'insinue dans vos plus profondes blessures... Je vais de paire avec l'amour, nous sommes soeurs jumelles.

Je fatigue mes hôtes, je les pousse à bout, dans leurs plus sombres recoins. Grâce à moi, ils prennent conscience de leur malheur, ils expriment leurs craintes et leurs peurs. Ils expriment leurs déceptions. Mais elle...

Elle, en particulier, j'aime la torturer, surtout après le passage de son "Lui". J'aime lui ouvrir les yeux pour lui arracher de précieuses larmes, mes progénitures me rendant si visible.

Grâce à moi, elle se rend devant le miroir et plonge dans son propre regard.

Moi, Tristesse, je les mets à genoux devant leurs chagrins. Je les étouffe avec cette sensation de vulnérabilité.

Moi, Tristesse, je suis l'heureuse élue qui leur ouvre les yeux en leur brouillant la vue. J'aime lorsqu'ils sont bouleversés, blessés, affligés et désespérés.

Moi, Tristesse, chamboule les équilibres tel une tempête.

Une seconde me suffit, une minute, une heure; j'aime vivre le soir, j'aime danser à la lumière bleue des salles-de-bain aux éclats tamisés pendant qu'eux, grâce à moi, se recroquevillent sur le sol, sous les jets brûlants tels des foetus incarnant une parfaite fragilité. J'aime danser dans leurs yeux, explorer leurs visages alors que ces derniers se tordent dans des rictus douloureux... Douloureux pour un coeur qui se brise et que j'accueille avec joie, douloureux pour tout ce qui est malheureusement malheureux et possible...

Mon Graal à moi, Tristesse, c'est lorsque mes enfants, ces gouttes salées, se mêlent à cette substance rubis que mes fragiles victimes appellent sang.

Car je suis vivante et puissante et même si je finirai par partir avec le temps, je serai toujours à côté de toi, te murmurant dans le vent.