Chapitre 16
J’ai terminé les épreuves écrites du bac. J’ai aussi passé les quelques oraux que j’avais. Dans quelques jours, les résultats seront disponibles. Mais actuellement, je n’en ai strictement rien à faire. Enfin, non, j’ai bossé pour l’oral … autant que je l’ai pu. Mais les résultats me passent totalement au-dessus de la tête. J’ai rendez-vous avec tout le monde au lycée pour aller voir les résultats. Mais aller au lycée signifie revoir tout le monde et donc Riley pour la première fois depuis notre … enfin … notre rapprochement imprévu.
Je suis littéralement obsédé par ce qu’il s’est passé ce jour-là. Je ne pense qu’à ça, j’en rêve la nuit et je ne comprends absolument pas ce qu’il m’arrive. C’était un accident. Ça n’aurait jamais dû arriver et ça n’arrivera plus jamais. On a eu une pulsion due au stress des examens simplement.
Et je veux vraiment me faire croire ça ? Je ne suis pas aussi idiot que ça, j’ai vraiment capté que quelque chose s’était passé. Après, reste à savoir si c’est quelque chose de bien ou de mal. Il y a cependant eu une sensation sur laquelle il faudra que je me penche. Une qui s’est manifestée dès que ses lèvres ont touché les miennes. Sur le coup, je n’y ai pas trop fait attention, mais depuis ce jour-là et surtout depuis la fin du bac, je n’ai que ça en tête.
Je regarde l’heure. Neuf heures moins le quart. Si je ne bouge pas, je vais être en retard. A dire vrai, j’aurais dû partir il y a une dizaine de minutes déjà mais je préfère arriver lorsque la foule d’élèves sera déjà un minimum dense. Il y a moins de chance pour que je me retrouve en face à face avec Riley. S’il y a déjà l’entièreté des terminales, je pourrai me concentrer sur mes résultats.
J’enfile ma paire de chaussure, attrape mon téléphone et mon porte feuille et je pars de chez moi. J’entends vaguement Jude me crier de ne pas être déçu une fois sur place avant de rire. J’ai presque envie de l’insulter mais le voir comme ça m’en empêche. Il va mieux depuis quelques jours et c’est un soulagement. Mes parents n’ont pas voulu l’emmener consulter et je n’avais pas les moyens de l’y emmener moi-même. Mais il a fini par aller mieux. En tout cas physiquement, j’en ai bien l’impression.
Il y a déjà une énorme foule devant les grilles du lycée. C’est exactement ce qu’il me fallait. J’attrape mon téléphone et envoie un rapide message à Reece pour savoir où il est. Il me faudra au moins cinq minutes pour réussir à le trouver parmi tous les élèves et lorsque je le rejoins, je retiens un soupir de soulagement en voyant que Riley n’est pas là.
— Il est déjà parti en vacances, m’annonce mon meilleur ami alors qu’il me voit regarder à droite à gauche. Il te l’a pas dit ?
— Ah … si, je mens. J’avais totalement oublié !
Heureusement pour moi, les profs viennent afficher les résultats, empêchant Reece de suspecter quelque chose. Je ne sais pas comment il réagirait s’il était au courant de mon baiser avec Riley. Il me soutiendrait et essaierait de comprendre ce qu’il s’est passé, ça je le sais. Mais jusqu’à maintenant, jamais on avait imaginé que ce genre de chose soit possible. Enfin … si des relations entre gens du même sexe existaient, on serait quand même au courant … j’espère.
J’aurai le temps de me poser des questions plus tard. Là, mon meilleur ami est en train de se servir de moi comme bélier pour atteindre les résultats. Je tente tant bien que mal de ne pas me prendre de coup mais je pense que j’ai dû perdre quelques points de vie dans la traversée. Et maintenant que je suis devant les feuilles, je stresse.
Ça y est, tout le stresse que je n’ai pas eu à cause de toute cette histoire de baiser, je l’ai maintenant et en force. Je ne sais pas quoi faire. Je crois même que je vais hyperventiler. C’est une pression sur mon bras qui me fait revenir à moi -même.
— J’ai la mention bien, crie Reece pour se faire entendre.
Je lui adresse un énorme sourire. Je suis vraiment heureux pour lui. Avec ça, il va pouvoir aller dans l’école de ses rêves et tout déchirer. Il sera un vétérinaire exceptionnel, je n’en doute pas une seule seconde. Maintenant, c’est à mon tour de regarder. Et puisque tôt ou tard, je saurai mes résultats, autant que je me jette à l’eau maintenant.
MILLER James … Mention Assez Bien.
— J’ai … j’ai réussi, je bafouille à l’attention de mon meilleur ami. J’ai le bac … et j’ai même une mention !
— Tu vois quand tu veux ? me répond-il avant de me prendre dans ses bras.
On doit avoir l’air bête, tous les deux dans les bras l’un de l’autre, à sautiller sur place en riant comme des idiots. Mais il faut être honnête … pour moi, ce diplôme n’était pas gagné.
— Ce soir, on va pouvoir faire la fête ! me dit un mec en passant à côté de nous. Chez moi à 22 heures !
On hoche la tête pour le principe mais j’avoue que je ne suis pas serein. C’est le gars chez qui on a passé nouvel an. A tous les coups, faire la fête chez lui ne va nous apporter que des embrouilles. Pourtant, Reece finit par me convaincre. Ce soir, on va fêter notre diplôme comme il se doit. On commence à partir, mais je prétexte une envie de vérifier une dernière fois les résultats. Je me tourne vers les tableaux d’affichage et souris en trouvant ce que je voulais voir.
LEWIS Riley … Mention très bien.
Je ne suis même pas étonné. Il le mérite après tout ce qu’il a fait pour m’aider. A ce moment-là, je regrette ce qu’il s’est passé et qu’il ne soit pas là pour pouvoir le remercier. Pendant qu’on retraverse la foule dans l’autre sens, je prends mon téléphone et décide de lui envoyer un message. Un simple merci, en espérant que ce sera suffisant pour le moment. Je ne m’attends pas à ce qu’il me réponde. A sa place, je ne le ferais même pas.
Reece me propose d’aller commencer à fêter le bac autour d’un petit déjeuner dans un coffee shop du coin. Il me tient par mon point faible. Il sait que je ne peux pas dire non à l’idée de manger du pain perdu. J’envoie quand même un message à mes parents pour leur dire que j’ai réussi ainsi qu’un autre à Jude pour le prévenir que je rentrerai pas directement tout en précisant que je ne pars pas _ malheureusement pour lui _ noyer mon chagrin mais plutôt déguster ma victoire. Il me répond rapidement un félicitation et rajoute qu’il savait que je n’échouerai pas. Je me sens d’un coup ému. Il a cru en moi lui aussi. Je n’étais peut-être pas un cas aussi désespéré que je le pensais si même lui était confiant.
On arrive au Coffee Shop et s’installe à notre place habituelle. Reece se lève et part commander pour nous deux. En l’attendant, je ressors mon téléphone pour voir si je n’ai pas reçu de messages. Juste une petite vérification sans attente particulière … Enfin, j’essaye de ne pas en avoir. Mes parents sont sûrement trop occupés et puis … bref. Reece revient quelques minutes plus tard avec un plateau prêt à déborder.
— T’as dévalisé leur vitrine ? je lui demande en faisant attention à ce que rien ne tombe pendant qu’il pose le plateau.
— J’ai dit à Judith qu’on venait fêter notre bac. Tu la connais, elle a voulu nous gâter.
— Comme à ton anniversaire, à Noël, à Pâques et n’importe quelle grande occasion. T’as un truc avec elle ?
— Je crois qu’elle se prend pour ma mère. Mais je ne risque pas de la contredire ! Bon appétit beau gosse ! Et à notre réussite !
On trinque avec des muffins avant de nous empiffrer d’un nombre incalculable de nourriture. Il y a même une énorme ration de pain perdu et une bonne dose de sirop d’érable. C’est largement suffisant pour que ma jauge de la joie soit à son maximum.
— Des nouvelles de Riley ? je demande innocemment à Reece entre deux bouchées.
— Non. Il doit être occupé avec ses parents. En plus, je crois qu’il est parti dans la nuit, il doit sûrement dormir encore. En tout cas, je pense qu’il n’a pas dû être stressé pour ses résultats. Lui peut dormir sur ses deux oreilles. Il a sûrement eu une mention en plus.
— Mention très bien, je lui apprends. J’ai vu rapidement ça en cherchant mon nom.
Menteur.
— Il le mérite ! Surtout après avoir réussi à te faire obtenir le bac ! me charrie-t-il.
Je ne cherche même pas à le contredire, même si je sais qu’il rigole. A la place, j’hoche la tête parce que c’est vrai, il m’a tellement aidé. Reece aussi m’a aidé d’ailleurs et j’aimerais bien trouver un moyen de le remercier. De LES remercier si possible. Et je me rends compte que je n’ai pas forcément toute la vie pour ça. Déjà cet été, nous ne sommes pas tous ensemble, ce qui est assez triste même si ne pas voir Riley pour le moment m’arrange et puis l’année prochaine, nous serons séparés. Finalement, cette histoire de Léthé a peut-être un bon côté dans tout ça. Ça nous oblige à rester tous les quatre en contact.
Cette constatation me fait ricaner. Reece lève la tête et me regarde étrangement.
— T’inquiète pas. Je pensais juste au fait qu’après cet été, plus personne ne sera dans la même école mais que grâce à la Léthé, on sera obligé de rester tous ensemble.
— Avoue que tu n’as rien oublié et que tu veux juste être sûr de nous garder près de toi ?
— Si seulement, je soupire.
On continue à manger, plus par gourmandise que par faim. Reece me parle rapidement du dossier qu’il a reçu de l'école vétérinaire qui a été une horreur à remplir d’après lui et me raconte aussi sa première visite dans le refuge pour animaux où il a décidé de travailler une partie de l’été. Il me raconte qu’il y avait énormément d’animaux _ beaucoup trop même_, qu’il remplacera les employés qui seront en congé et qu’il risque d’y avoir un pic d’abandon à cette période là à cause des départs en vacances et que ça le dégoute rien que d’y penser.
Encore une chose que la Léthé n’a pas effacé de l’esprit des gens. L’abandon. La maltraitance. Toutes ces choses que subissent les animaux. Est-ce qu’il y avait un nombre maximum de choix lors de la mise en place de la Léthé ? Genre, ils n'avaient le droit qu’à une centaine de choses et ils ont dû faire l’impasse sur les choses qui arrivent aux animaux ? Ou alors, ils l’avaient inclus dedans mais l’homme est juste assez répugnant pour recréer cette envie de faire le mal à base de rien. Ça me dégouterait presque de mon pain perdu.
— Tu fais quoi cet aprem ? me demande Reece.
— Aucune idée ! Je vais peut-être rentrer dormir. Je suis vanné et ce soir il y a la fête chez Josh, autant se reposer avant. Tu veux venir ?
— Je pense que je vais aller chez moi. Je crois que mon père ne travaille pas aujourd’hui et comme je vais sûrement squatter chez toi après la fête, il faut que je montre un peu que je suis vivant.
Il rit mais je sais qu’il dit ça parce que ses parents lui reprochent parfois de passer plus de temps chez moi que chez lui et que parfois il devrait montrer signe de vie alors qu’ils travaillent beaucoup et ne sont presque jamais présents. Reece dit qu’il s’est fait une raison mais je pense qu’on ne devrait pas s’habituer à ce genre de chose. Mes parents travaillent pas mal mais j’arrive malgré tout à les voir tous les jours et en plus, contrairement à mon meilleur ami, je ne suis pas fils unique.
On termine notre petit déjeuner de la victoire _ qui va sûrement remplacer mon déjeuner pour être sincère _ et se sépare pas loin de chez moi. Je lui répète qu’il vient à l’heure qu’il veut si vraiment il en a marre de rester chez lui puis rentre chez moi.
— Alors Monsieur le Bachelier, t’as payé combien les correcteurs ?
Je tourne la tête et vois Jude avachi sur le canapé, un beignet à moitié mangé posé sur la table et la télévision hurlant le générique d’un dessin animé qu’il adore. Je le rejoins, attrape ses jambes avant de les reposer sur mes genoux une fois que je suis installé.
— Beaucoup trop ! Je suis ruiné maintenant ! Dommage, je pourrai pas t’emmener manger dehors ce mois-ci du coup ! je lui réponds en lui faisant un clin d’œil.
C’est un rituel que l’on a instauré depuis que je suis au lycée. Tous les mois, je l’emmène manger un morceau dehors au moins une fois. Une sorte de journée programmée entre frères. Et il sait que rien ne peut nous empêcher de faire cette journée particulière, pas même le manque d’argent.
Il rit avant de me répondre.
— T’as géré frangin.
Ouais, je dois avouer que j’ai géré. J’espère maintenant que c’est juste le début d’un chemin aussi victorieux. Je bosserai en tout cas, c’est ma bonne résolution pour les années à venir. Je réussirai ma vie sans compter sur la chance ou quoi que ce soit d’autre. A partir de maintenant, je veux pouvoir gérer ma vie de A à Z sans parasite pour tout gâcher, sans rien pour tout chambouler contre ma volonté.
Enfin …
Je repense au baiser avec Riley et je ne me sens pas bien. J’ai chaud … et j’ai peut-être trop mangé ce matin parce que mon estomac danse la salsa. J’ai dû choper un truc … ou alors c’est mon coup de stress de ce matin qui redescend.
— Je suis sûr que c’est à cause de toi, je marmonne à Jude.
— De quoi ?
— J’ai dû attraper ton truc ! Je ne me sens pas bien ! J’ai chaud et j’ai l’estomac en vrac.
Il ricane et essaye de se redresser pour être face à moi.
— Toi, t’es amoureux et tu me l’as pas dit !
— Amoureux ?
Moi ? Amoureux ? Mais de qui ? La seule fille dont j’ai pu être proche ces dernières semaines, c’est de Nora et il est strictement impossible que je puisse être amoureux d’elle. Lorsque je suis avec elle, je ressens toujours ce sentiment de familiarité qui m’habite à chaque fois, un peu comme si j’étais avec une petite sœur ou une amie de longue date. Alors de qui je pourrais m’être entiché ? D’une fille que je ne connais pas ? Que j’ai croisé une seconde en allant voir si j’avais le bac ? C’est simplement impossible.
Puis, est-ce qu’il y a déjà eu une seule fille, depuis le début de l’année, que j’ai eu envie de côtoyer ? Je ne parle pas de Nora bien sûr, elle est devenue une amie donc j’ai forcément envie de la côtoyer. Mais je parle des autres filles. Une que j’aurais eu envie d’inviter à sortir, de prendre par la main et d’em … embrasser.
Il y a bien eu une personne que j’ai, à première vue, eu envie d’embrasser.
Mais … non, c’est impossible. J’ai jamais vu ça ailleurs, alors je ne pense pas être une exception à la règle.
Non.
Bien sûr que non.
De toute façon …. Non, vraiment non.
— Tu sors ce soir ? me demande Jude en coupant court à mes pensées.
— Ouais. Josh fait une fête chez lui pour fêter le bac.
— Ok ! Moi, je sors avec Lilas ce soir.
— Tu ressors avec elle ?
— Étonnant, pas vrai ? J’ai réussi à me faire pardonner. En échange, on se fait au moins une sortie toutes les semaines, rien que tous les deux. Ce soir, c’est cinéma. D’ailleurs …
Je lève les yeux au ciel avant de fouiller mes poches pour en sortir mon portefeuille. Je sors un billet que je lui tends. Il l’attrape avec un grand sourire et me remercie. J’ai l’habitude avec lui. Déjà l’année dernière, il était tout le temps à sec et venait me réclamer de l’argent. Je ne sais pas ce qu’il en fait mais j’espère que ça en vaut le coup. En tout cas, je suis content pour Jude. Il a l’air d’aller mieux et en plus, il est de nouveau avec sa copine.
Je regarde l’heure, j’ai encore le temps avant la soirée. Beaucoup de temps. Je vais aller me coucher, au moins pour éviter de réfléchir pendant un petit moment. Ça me fera du bien et avec un peu de chance, je me sentirai mieux. Je repousse les jambes de Jude et lui dis que je pars me reposer un moment. Il acquiesce avant de replonger son attention sur la télévision. Je me lève et pars dans ma chambre en repensant à ses paroles.
Amoureux.
Franchement … qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre.
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