Chapitre 27
Parler _ enfin, le reste aussi _ avec Riley m'a fait un bien fou et m'a énormément aidé pour les jours suivants cette rentrée assez chaotique. Une fois qu'on s'est décidé à se lever et faire un brin de toilette, on s'est installé sur mon lit et je l'ai écouté parler. C'était sûrement la première fois que j'entendais aussi longtemps sa voix et ça a eu le don de m'apaiser. Il m'a donné des conseils, m'a rassuré, m'a embrassé encore et toujours et n'est parti que lorsque j'ai senti le sommeil s'emparer de moi.
Aller à l'université s'est donc révélé moins compliqué que je ne l'avais pensé lors du premier jour. J'ai reparlé au groupe qui m'avait abordé. Ils ne sont décidément pas méchants du tout et j'ai gardé en tête que s'ils semblaient avoir des priorités aussi peu importantes à mes yeux, c'est simplement qu'ils n'ont pas vécu ce que je vis actuellement et c'est tant mieux pour eux. Je dois me réjouir pour eux et les laisser dans leur vie merveilleuse. Après tout, c'est vrai, autant qu'ils en profitent. En tout cas, je n'ai pas le droit de leur en vouloir de ne pas avoir vivre la même chose. J'espère simplement pour eux que la Léthé sera toujours conciliante.
J'ai fait un peu plus connaissance avec Néah. Enfin, si on peut appeler ça comme ça lorsque tout ce qu'elle accepte de nous dire c'est son âge et pourquoi elle est là. Bon, j'avoue, j'ai dû lui en révéler autant sur mon compte mais du coup, je trouve ça assez suspicieux. Elle a pourtant l'air sympa. Mais bon, ça ne fait que trois semaines que les cours ont commencé, j'ai bon espoir qu'elle m'en dévoile un peu plus au fil des mois.
En attendant, les cours d'aujourd'hui et même de la semaine sont terminés et j'ai exceptionnellement le droit d'aller voir Jude dans son centre spécial. Il me manque. Je ne l'ai pas revu depuis qu'il a quitté l'hôpital et j'ai l'impression que c'était il y a des mois. Mes parents ont à peine voulu me donner des nouvelles et la seule chose que j'ai réussi à savoir, c'est que « ça va ». Mais qu'est-ce que ça veut dire « ça va » ? Rien ! Alors même si je suis excité de le revoir, j'ai aussi peur de l'état dans lequel il sera.
Je me souviens de ce qui s'est révélé être des épisodes de crises qu'il a faites pendant l'année. Ces moments où il était faible, où il tremblait et ne mangeait pas beaucoup. J'espère qu'il a un traitement qui l'aide à surmonter tout ça.
Je mets facilement une bonne heure avant d'atteindre un bâtiment qui, de l'extérieur, ne ressemble en rien à une structure médicale. Un centre de cure comme ils l'ont appelé à l'hôpital. La façade laisse plutôt présager un bâtiment avec plusieurs appartements. C'est peut-être bon signe à vrai dire. Peut-être qu'ils ont fait en sorte que cet endroit soit comme une maison pour ceux qui sont obligés de venir y vivre, un endroit où ils se sentiront chez soi. A moins que ce ne soit qu'un moyen de cacher son existence à tous ... ce qui est aussi très probable.
J'approche la porte d'entrée et sonne à l'interphone. Une voix me demande ce que je veux et je réponds venir rendre visite à mon frère. Je ne reçois pas de réponse et commence à croire qu'on ne m'ouvrira pas quand j'entends le signal m'indiquant que je peux entrer.
L'intérieur est comme l'extérieur. Neutre au point de me demander si je suis réellement au bon endroit. Et bien sûr, il n'y a aucune indication pour savoir où est-ce que je dois aller. J'ai beau regarder autour de moi, je ne vois que des couloirs et des portes mais rien pour me diriger précisément. Heureusement pour moi, j'entends quelqu'un venir et je crois même que cette personne vient m'accueillir.
— Bonjour, je suis Dana. Comment puis-je vous aider ? me demande une femme à la forte carrure.
— Bonjour, je viens pour voir mon frère. Jude Miller.
— Oh, le petit Judie ! Venez, je vais vous y conduire.
Je suis la femme, étonnée qu'on ne me demande pas plus d'informations. Quitte à cacher cet endroit aux yeux du monde, autant surveiller qui y vient. Qui dit que je suis bien son frère ? En plus, on ne se ressemble pas du tout. Ils doivent avoir tellement confiance en la Léthé, l'ignorance des gens et la façade du bâtiment ...
Après un nombre interminable de couloirs, j'arrive dans une grande pièce qui semble servir de pièce à vivre. Une grande télé se tient dans un coin et quelques gars sont en train de jouer à la console. Je repère rapidement mon frère parmi eux et le rejoins sans demander mon reste à Dana. Trop concentré sur sa course de voiture, il ne me voit pas directement.
— T'es toujours aussi nul, je dis lorsqu'il perd.
Il sursaute et se retourne vers moi avec un énorme sourire. Il a bonne mine, ça me rassure un peu. Il ne semble pas avoir perdu du poids, au contraire, j'ai même l'impression qu'il s'est remplumé. Il passe la manette à quelqu'un d'autre et se lève pour me rejoindre. Sans un mot supplémentaire, je le sers dans mes bras et il répond à mon étreinte en riant. C'est bon signe.
— Sers moins fort. Je suis pas là pour mourir !
Je le relâche et le suis jusqu'à une table éloignée des autres. Je le regarde marcher devant moi et l'étudie rapidement. Tout semble vraiment aller pour lui et je trouve ça à la fois super et inquiétant. Je pense avoir réussi à prouver suffisamment de fois cette année que tout ce qui semble être parfait est loin de l'être en réalité.
— Comment ça va ? je lui demande.
— Ça va. J'arrive à la moitié de ma cure. Le médecin est plutôt content de mes résultats et je fais de moins en moins de crises de manque. Franchement, ça va.
Je regarde fixement Jude et je lis dans ses yeux qu'il dit la vérité mais que malgré tout, il reste un dernier point qu'il hésite à aborder.
— Hey Jude ...
Il lève les yeux au ciel avec un soupir et je sais qu'il va parler.
— Je veux rentrer à la maison. Les parents me manquent et toi aussi. J'ai l'impression qu'ici tout est tellement faux.
— Comme ça ?
— J'ai l'impression que le bonheur de chacun est calculé au millimètre près, que les gens suivent juste un scénario anti-catastrophe. Ils font croire que tout est beau, tout est joli et puis lorsqu'ils ne te voient plus, ils parlent pour critiquer les patients, pour dire que si untel n'est pas guéri d'ici nouvel an, ils espèrent le mettre à la rue sans qu'il n'ait le moindre souvenir d'un début de cure.
C'est ignoble ! Comment est-ce qu'on peut se réjouir à l'idée que quelqu'un finisse par faire à nouveau une overdose, voire finisse par mourir. A quoi bon essayer de les guérir et de les sauver alors ? Autant laisser tout le monde mourir, ça fera des économies à l'État. C'est pas ce qu'ils veulent d'ailleurs ? S'enrichir au détriment des autres, assurer leurs petites affaires en supprimant ce qu'ils n'aiment pas et sûrement ceux qu'ils n'aiment pas non plus. J'ai l'impression que mes pensées sont redondantes, de passer mes journées à cracher sur notre gouvernement mais chaque jour est la preuve que l'État est pourri jusqu'à la moelle et ne sert que ses propres intérêts.
Je soupire et essaye de me calmer. J'approche de mon frère et le prends dans mes bras. Je jette des coups d'œil autour de nous et lui glisse quelques mots rassurants à l'oreille ainsi que quelques mises en garde.
— La Léthé est mauvaise mais tu peux te battre pour qu'elle ne puisse plus te faire de mal. Est-ce que tu as ton téléphone ?
— Non, ils me l'ont pris quand je suis arrivé ici.
— Je t'en apporterai un autre, secrètement. J'aime pas ne pas avoir de nouvelles de toi. Est-ce qu'il y a une personne en qui tu peux avoir confiance ici ?
— Dana. C'est la seule employée qui est sincère avec nous. Elle fait en sorte qu'on soit bien nourri, qu'on soit bien soigné et bien traité. J'ai même remarqué que lorsqu'elle est seule, elle est différente.
— Différente comment ?
— Quand elle est seule, elle est plus ouverte, elle paraît aussi plus détendue. Mais quand il y a quelqu'un, elle est comme sur ses gardes et je sens son regard se poser sur chacun de nous régulièrement, comme si elle nous surveillait.
— Surveillé que vous ne fassiez rien ?
— Non, plutôt qu'on ne nous fasse rien.
Ça ne me rassure pas du tout. Pourquoi surveiller qu'il ne leur arrive rien dans un endroit où les malades sont censés être protégés, soignés, où tout est censé aller ? C'est vraiment en train de m'embrouiller l'esprit. Peut-être que je vois des complots partout et qu'en réalité, cet endroit est parfait. En plus, mon frère est en cure de désintoxication. Qui me dit qu'il n'a pas simplement pété un câble et nage en plein délire à cause du manque ?
Lui.
Lui me le dit.
Son regard, ses paroles, tout me crie de le croire et je le crois. Je lui dois bien ça après mon comportement minable avec lui avant son overdose mais pas que. Je sens vraiment qu'il va mieux et que tout ce qu'il me raconte, il ne l'a pas imaginé.
L'heure tourne et je dois partir avant de ne plus avoir de bus pour rentrer à la maison. Je reprends Jude dans mes bras, lui chuchotant encore une fois que je lui ramènerai un téléphone, qu'il peut compter sur moi, que je reviendrai très vite et surtout qu'au moindre problème, il doit aller voir Dana et m'appeler.
C'est dur de le lâcher, j'ai tellement peur qu'il lui arrive quelque chose. Mais je dois vraiment y aller alors je m'oblige à m'éloigner de lui et suis à nouveau Dana dans les couloirs du centre. Lorsqu'on arrive près de la porte d'entrée, je la remercie de m'avoir guidé et lui demande du plus profond de mon cœur de prendre soin de mon frère. Elle ne m'adresse qu'un simple sourire mais je vois dans ses yeux qu'elle a compris ma demande et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il ne lui arrive rien. Ça ne me rassure pas totalement mais assez pour que je puisse mettre de la distance entre le bâtiment et moi.
Je sors mon téléphone pour envoyer un message à Reece mais il me prend de court en m'appelant.
— Yes Darling ? je lui dis en décrochant.
— Hey babe, t'as fini avec ton frère ?
— A l'instant, je viens de sortir du centre.
— Comment il va ?
— Bien. Mieux que je ne l'avais imaginé en tout cas même si ...
Comment tout lui expliquer par téléphone ? Et si on nous écoutent ? Et si je me mets à craquer alors que le bus arrive ?
— Je suis dans ta chambre, je t'attends avec des guimauves enrobées de chocolat alors bouge ton petit cul.
Un jour peut-être je comprendrai comment il fait pour savoir quand je vais mal ... voire à l'anticiper. En tout cas, je raccroche et me dépêche d'atteindre mon arrêt de bus. Le trajet durera un petit moment, parfait pour que je mette toutes mes pensées en ordre et puisse tout raconter à Reece. Je lâcherai peut-être un sanglot pendant mes explications et même probablement un torrent de larmes alors une fois assis dans le bus, j'envoie un message à mon meilleur ami.
« Prépare aussi les mouchoirs, on est jamais trop prudent !!! »
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