Les Guerriers de l'aube

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Deux lunaisons passèrent, depuis qu'il s'était égaré. Le froid mordant le paralysait la nuit, les remords le tenaient éveillé. Il se surprenait à parler seul ou aux plantes, à se lover contre ses proies encore chaudes. L'esprit de la folie le rongeait de l'intérieur, lentement et sans répit.

Alors qu'il grelottait sous une peau puante de daim, au plus près d'un feu de fortune, il entendit deux personnes approcher. Elbar préféra partir, et escalada un arbre.

Dissimulé dans les branchages, il observa le couple qui approchait son feu avec perplexité. Ils portaient une armure parfaitement entretenue, l'homme une épée à deux mains finement ouvragée à la ceinture, la dragonienne une large hache à double tranchant, et de solides sacs à dos bien remplis. Ils cherchèrent du regard le propriétaire de ce feu abandonné avant de s'installer.

Ils mastiquèrent des lamelles de viande séchée en silence, guettant toujours le retour de leur hôte. En plus de leur arme à deux mains, ils portaient tous les deux une dague et deux poignards. Epuisé, Elbar se demanda s'il parviendrait à dormir dans les branches. Le vent se leva, et lui amena les odeurs du couple. Celle de la dragonienne le rendit tout chose. Il sut que, pour la première fois de sa vie, il détectait l'odeur d'une dragonienne en chaleur. Il avait toujours entendu dire que cette odeur prenait toute la place dans les pensées, et que cela devenait instantanément une obsession. Il pouvait dorénavant le confirmer.

Sa seule idée claire se résumait à se rapprocher de l'origine de cette odeur. Il voulait plus que tout enfoncer son nez au creux du cou de la merveille. Il ne la connaissait pas et se sentait stupide, pour ne pas dire suicidaire de désirer une telle chose, mais l'origine d'une odeur aussi enivrante ne pouvait être que merveilleuse.

Sans y prendre garde, il descendit de son arbre et s'approcha sans un bruit. Les battements de son cœur le trahirent, et le couple se tourna vers lui d'un bloc.

- Bonsoir gamin, le salua le guerrier d'un ton aimable, on peut dormir ici cette nuit ? On ne touchera pas à tes réserves, promit-il en fermant le poing gauche sur le cœur .

Elbar bafouilla quelque chose d'incompréhensible, tous les sens braqués sur la dragonienne, qui répondit par un sourire carnassier. Elle se leva, ce qui effaça de l'esprit d'Elbar toutes les autres pensées, et elle partit embrasser son compagnon.

- Pas intéressée, l'informa-t-elle ensuite.

Le guerrier fronça les sourcils, et perdit toute amabilité d'un coup.

- Elle, elle m'appartient et je la partage pas, compris ?

La mise en garde fit rire la dragonienne. Le Quézermistoss, penaud, ne sut que répondre. Alors il contourna le feu, et s'installa face au couple. La nuit était tombée, il n'en pouvait plus de froid et de sommeil. Alors il s'emmitoufla dans sa peau de daim mal écorchée, et s'endormit comme une masse.

Un peu surpris de se réveiller, s'étant plutôt attendu à se faire trancher la gorge par les inconnus, Elbar se fit servir un bol de bouillon fumant. Les deux guerriers se présentèrent enfin.

- Guerrier de l’Aube Frodérr Kerniss, se présenta le dragonien le poing droit sur le cœur .

- Guerrière de l’Aube Niss Kerniss Rehmnor, compléta la dragonienne avec le même geste.

- Elbar Quézermistoss.

Le couple se concerta brièvement du regard, puis le guerrier de l'Aube demanda :

- Tu as un endroit où aller ?

- Non... pourquoi ça t'intéresse ? voulut savoir Elbar avec méfiance.

- Nous manquons de bras. Nous vouons un culte à l'esprit du Jour, et gagnons notre vie comme mercenaires. On offre aussi une alternative aux services des Sel, en ce qui concerne la découverte de la vérité. Contrairement à eux, nous ne torturons pas.

- Jamais entendu parler, insista le Quézermistoss.

- Nous ne sommes qu'une trentaine, un nombre insuffisant pour participer aux batailles... ou faire un coup d'éclat. Nos effectifs s'amenuisent peu à peu. Tu sais, nous serions tous heureux d'accueillir un nouveau membre, débrouillard comme toi.

- Pourquoi vous voudriez de moi ? se hérissa le Quézermistoss.

- Je te l'ai dit. Nous sommes en sous-effectif. Notre ordre existe depuis l'époque des clans, on nous comptait par milliers, avant. Mais maintenant, la connaissance de la vérité n'intéresse plus personne, la lutte contre les secrets et les affabulateurs des Soldats du Crépuscule, ceux qui vénèrent l'esprit de la nuit, non plus. Nous pensons que tout le monde se doit de connaître la vérité. Eux, au contraire, que le commun des mortels est trop stupide pour ça... Si tu acceptes de nous suivre, à notre retour de mission le haut prêtre pourra répondre à toutes tes questions. Si, après ça, nous rejoindre t'intéresse, tu le pourras. Et si tu préféres partir, tu le pourras aussi. Ça te convient ?

Elbar hésita. Il devrait alors faire connaître la vérité sur sa trahison. Mais il pouvait partir quand il le désirerait avant de s'engager. La solitude lui pesait trop. L'odeur de Niss joua un rôle dans sa décision. Il accepta.

Il les accompagna jusqu'au lieu où ils devaient se rendre, et observa leurs méthodes. Ils faisaient parler en posant une avalanche de questions, guettant chaque réaction, chaque mot, chaque hésitation. Ils firent connaître la vérité sans la moindre effusion de sang, ni la moindre larme. Ce fut une révélation pour Elbar. Il était possible d'obtenir ce que l'on voulait juste en parlant. Il rêva un instant à ce qu'aurait été sa vie, si les gardes Driss avaient agi de la même façon.

Jamais il n'aurait la réponse, mais la façon de faire des Guerriers de l'Aube lui plaisait. La fin des chaleurs de Niss lui permit de faire plus ample connaissance avec eux, et il eut peu à peu la sensation d'appartenir à une famille. Alors, il intégra leur ordre.

En tant que seule recrue, il fut le centre de l'attention générale. La secte connut son secret, le haut-prêtre lui pardonna. Les deux dragoniens s'appréciaient particulièrement. Certains affirmaient que la recrue remplacerait un jour son idole. Elbar apprit beaucoup. En tant qu'aspirant Guerrier de l'Aube, il apprit l'art de la forge, celui du combat, et à faire éclater la vérité au grand jour. Dans le fond, tout pour vivre heureux.

Fin.

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