Chapitre 12

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Douzième Chapitre

Esméralda termina son whisky et se lança :

— Esméralda… murmura-t-elle.

— Pardon ?

— Je m’appelle Esméralda Dolorès dé la Cuenté et mon nom d'épouse est Duranton.

— Joli et très original. Espagnole ?

— Mon père...

Esméralda fit une pause avant de continuer :

— Mes parents étaient des satanistes… Ils étaient membres d'une secte qui honorait le diable et pratiquait des rituels. Ça vous parle ! Vous connaissez !

Andrès avait blêmi. Il répondit qu'il avait une vague idée de ce qu'était, mais sans plus.

— C’est une secte diabolique qui viole les enfants, qui les torture et les sacrifie. Moi et ma sœur en avons été victimes. Par protection, mon cerveau avait archivé toutes les horreurs subies. Je n'y avais plus accès jusqu'à ce qu'une thérapeute rouvre les tiroirs et fasse remonter une partie de ma mémoire. C'est comme ça que j'ai pu retracer mon histoire et me souvenir que ma sœur avait elle aussi, été suppliciée. A sa majorité, elle a fui ce passé traumatique en se tournant vers la sorcellerie. Elle vit quelque part en Haïti ; à Port-au-Prince, me semble-t-il. Je n’ai plus de contacts depuis longtemps, mais je sais qu'elle continue de perpétrer le mal... d'une autre manière... C'est probablement inscrit dans sa chair et dans ses neurones maintenant... Moi… moi j’ai cru qu’en fondant une famille, je guérirais de mon mal-être et de toutes mes phobies. Sauf, qu’il y a deux jours, mon mari m’a quitté pour une femme plus jeune que moi... Plus équilibrée, selon ses dires. Le salaud ! Il s’est barré du jour au lendemain en me laissant comme deux ronds de flan ! Ah ça ! Je me suis bien trompée sur son compte !

Esméralda fit signe au barman de lui servir un autre verre.

— Vous savez, continua-t-elle. Tous ces personnages dont je vous ai parlés ils vivent en moi. Ils m'ont aidés à ne pas devenir complètement cinglée par toutes les atrocités et par tout ce que mes yeux ont vu. Aujourd'hui, une partie de ma mémoire m'est revenue, et ils m'encombrent. Ils s'imposent à moi et cherchent à prendre ma place. Dans ce corps à corps, je bataille. J'essaie de leur résister, mais je bascule sans le vouloir d’une personnalité à l’autre. C'est dur... Je suis physiquement et moralement épuisée. Et puis sans Christian... Sans le soutien de mon mari, je n'ai pas la force nécessaire pour lutter. Sans lui, je ne pourrais pas aller plus loin....

Religieusement, Andrès recevait la longue litanie d'Esméralda, pendant qu'elle s’interrogeait sur cet homme compatissant à l'oreille attentive. Dans ses temps de silence et de réflexion, elle se disait qu'elle avait bien fait d'entrer dans ce bar et de s’installer au comptoir. Parler à cet inconnu la soulageait de sa peine. Cependant, elle devait rester sur ses gardes. Ses émotions ne devaient pas l'envahir et prendre le contrôle. Pour s'en préserver, Esméralda ne divulguait qu'une portion de son martyr. Ainsi, elle raconta sans entrer dans les détails, les séjours réguliers dans les cages d’animaux, les nombreuses privations, les injures et les coups au quotidien. Elle raconta les punitions surveillées, des heures à genoux les bras sur la tête, et parla aussi des enfermements dans le noir d'une cave ou d'un placard, les mains ligotées.

— Tout ça, expliqua-t-elle, s'était terré dans ma mémoire volontairement oublieuse... jusqu'aux séances d'hypnose.

Son verre à la main, Andrès était fébrile. Il pressentait qu'Esméralda gardait le plus terrible pour la fin. De fait, elle en arriva aux viols à répétition. Sans s’étaler, elle parla des sexes d’hommes qui l'avaient brûlée et déchirée en la pénétrant de force. Des hommes, qui malgré ses cris et ses supplications d'enfant, avaient déversé en elle le fruit de leur jouissance et l’avaient sali pour toujours.

— Pour eux, j'étais une non-entité. Un objet dont ils pouvaient user à loisir, pleurait-t-elle. Ils m'ont brisée... cassée... Je ne suis plus qu’un pantin morcelé et désarticulé. Une poupée démembrée.

En empathie avec celle qui se confiait à lui, mais démuni, Andrès ne savait quoi faire d'autre que d'écouter et balancer la tête.

— Esmée...

— Quoi ?

— Vous savez, mes amis m’appellent Esmée.

Andrès soupira. L'atmosphère était soudain plus légère.

— Esmée… C’est joli. Me permettez-vous d’utiliser ce si joli surnom !

— Oui, répondit-elle en se mouchant.

— Esmée, j’aimerais pouvoir vous aider.


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