Vague Jaune

6 minutes de lecture

El Born à Barcelone est une partie de la vieille ville presque exclusivement piétonne. C’est un quartier typique des centre historiques des pays méditerranéens où les drapeaux du club de foot et les draps pendent aux minuscules balcons des habitants. C’est un quartier où le soleil n’atteint jamais le sol tellement les rues sont étroites. Dans les méandres d’El Born, les pickpockets règnent en maîtres. Il n’arrive pas un jour sans qu’une course poursuite entre un touriste distrait et un bandit capuché se produise. Vous avez remarqué qu’ils sont habillés partout pareil? Dans le quartier d’El Born, l’uniforme basket-training-capuche est utile à la profession.

El Born est particulièrement populaire chez les touristes. Les ruelles anciennes de Barcelone, c’est dans El Born. L’été, le quartier se transforme en Disneyland pour hipsters. C’est le kilomètre carré qui abrite le plus de tatoueurs et d'échoppes de cafés spécialisés au monde. La plupart du temps, néanmoins, Born reste assez calme. Situé à une centaine de mètres de la plage de la Barceloneta, c’est un lieu idéal pour les étudiants et les nomades digitaux. D’ailleurs, les locaux l’ont déserté depuis bien longtemps. Airbnb a fait flamber les prix et les magasins autrefois petites épiceries sont maintenant des échoppes tenues par des indiens qui vendent des aimants paella, des coques d’Iphone et des maillots de Lionel Messi. Les seuls vrais “borniens” qui restent, sont ceux qui n’ont pas eu le choix. Les petits vieux, propriétaires de petits appartements miteux et mal isolés qui puent le chien ou les drogués qui vivent au crochet de l’Etat. Généralement aigris et nationalistes, ce sont eux qui balancent de l’eau par-dessus le balcon sur les touristes anglaises qui beuglent au milieu de la nuit.

Ces locaux là, ont tous un chien et il semblerait qu’il y ait une relation inversement proportionnelle entre la taille de leurs chiens et la taille de leurs appartements. Plus les appartements sont petits, plus leurs sacs de peau hideux, bruyants et puants sont gros. Ils aboient à toutes heures du jour et de la nuit et cela ne semble embêter personne. Ils se soulagent partout sur les portes, les poubelles et au milieu de la rue. La civilité catalane apparemment s’arrête à ramasser les déjections des cabots. A tel point qu’il est parfois difficile de marcher en sandales: éviter les flaques jaunes Del Born est un sport quotidien.

Récemment, le problème a empiré. Les flaques qui jonchaient ça et là le sol des rues est devenu complètement incontrôlable. Parfois les flaques sont tellement grandes qu’elles bloquent le passage et que l’on doit faire un détour. Si bien que les chaussures ouvertes ont été rangées dans le placard au profit des bottes en caoutchouc.

En une semaine, El Born est devenu une immense flaque d’urine jaune et pestilentielle. Les touristes, avertis de l’état des rues, ne vinrent plus et les habitants oublièrent de sortir de chez eux. Ce confinement bis, rappela étrangement celui du Covid. Un collectif citoyen se mit en place pour nettoyer les rues. Tous armés de leurs raclettes, ils se mirent à l'œuvre, plus ils frottaient et plus le niveau augmentait. L’effort dura quelque semaines avant qu’on se rende à l'évidence. L’huile de coude ne suffirait pas à se débarrasser de cette pisse immonde. Pendant ces semaines de nettoyage, le niveau était encore monté et atteignait maintenant les chevilles. Les vendeurs africains à la sauvette ne vendaient plus de paréos et des lunettes de soleil mais des poncho et des pince-nez. Pendant ce temps, les bottes Aigles en caoutchouc devinrent le produit le plus vendu sur Amazon.

Les habitants se mirent à protester, pas dans les rues évidemment mais à 20h chaque soir les messieurs se mirent à pisser des balcons pour défier les autorités. Les images firent le tour du monde. Le New York Times titra “Barcelona Pissed at Authorities” ou “Barcelone pisse à la raie des autorités”. L'événement attira les envoyés spéciaux des quatres coins du monde, observant le niveau de pisse monter. En quelque mois, les rues étaient devenues impraticables, de la pisse jusqu’à la taille! El born, qui avait vu naître la nation catalane et les premier intellectuels européens était devenue la risée du monde entier. A partir de ce jour-là, les débats indépendantistes quittèrent complètement la scène médiatique, Barcelone autrefois paradis touristique n’était plus qu’une sinistre blague pipi-caca.

Les habitants utilisaient maintenant des bateaux gonflables pour se déplacer. Le gouvernement déclara l'état d’urgence et mit en place les pompes les plus sophistiquées mais rien n’y fit. On extrayait l’urine à vitesse grand V, mais le niveau ne baissait pas. Les médias finirent par se désintéresser du sort des habitants d'El Born. C’est après la mort de 3 jeunes enfants noyés dans la pisse que la mairie décida de compenser tous les habitants et de condamner le quartier tout entier. La pisse avait gagné.

La grande migration se déroula le weekend de la San Joan et en quelques jours seulement le quartier autrefois si branché fut laissé aux rats et aux squatteurs.

Dans les premiers mois d’abandon, El Born était une ville fantôme. Qui voudrait s’aventurer dans un labyrinthe puant et mouillé? Mais très vite, le quartier est devenu le paradis des héroïnomanes et des vagabonds. Des centaines de logements gratuits furent envahi par les laissés pour compte. Puis ce fut au tour des criminels de conquérir l’endroit. Au début, ils utilisaient les grands espaces comme planque ou comme laboratoire artisanaux, personne ne viendrait les chercher au milieu d’un étang de pisse. En quelques mois, El Born était devenu le fleuron industriel de la méthamphétamine. La proximité du port en fit la plaque tournante de la distribution de drogue de synthèse, et on mourrait maintenant d’overdose de “Yellow snow” partout dans le monde.

Finalement, ces mêmes criminels y ont fini par établir leur résidence. L’utilisation des masques à gaz et un ingénieux système de marché flottant rendirent le quartier si non pas agréable, au moins passable. Le premier marché de la drogue à ciel ouvert d’Europe vit le jour. Cette “cour de miracle” fut le lieu de créations artistiques incroyables. Les bâtiments furent recouverts de gigantesques fresques murales. Les autorités, qui avaient perdu leurs touristes, leurs biens immobiliers et leur dignité ne purent qu’ignorer la nouvelle ville qui naissait sous leurs yeux.

La vraie surprise de ce fiasco historique se produisit bien des années plus tard. Quand un doctorant de la prestigieuse Université Pompeu Fabra découvrit comment extraire les protéines résiduelles de l’urine. Il ne fallut que l’initiative d’un entrepreneur visionnaire pour transformer le substrat en viande artificielle vegan, le P-steak.

Soudainement la malédiction urinaire se transforma en aubaine humanitaire. L’invention, libre de droit, s'éparpilla comme une traînée de poudre. On se mit à fabriquer des adaptateurs pour toilettes. Chacun chez soi put désormais produire sa propre viande. En Afrique, les crises de famines furent résolues du jour au lendemain. Cette technologie permit de remplacer l’industrie bovine et de courber les effets néfastes du réchauffement climatique.

Sans le P-steak, l’humanité n’aurait pas survécu aux grandes famines de 2064. C’est grâce au recyclage organique que plus personne n’est mort de faim depuis février 2080. Le statut si spécial Del Born dans le développement humanitaire, ses nombreux canaux et son architecture flottantes furent les raisons de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2104.

*******************************************************

Bienvenue à bord du Pissetorius 3 votre bateau mouche pour l’après-midi. Merci de nous faire confiance et nous espérons que vous passerez un excellent moment dans le plus grand petit coin du monde (haha). Le tour dure approximativement 40 minutes et nous vous emmènerons à travers les méandres et canaux d’El Born. S’il vous plaît gardez vos masques protecteur d’odorat bien ajustés et ne laissez rien traîner par-dessus bord, tout ce qui tombe à l'eau y reste (haha). Permettez-moi de vous emmener 2 siècles en arrière, en l’an de grâce 2022, après la pandémie du COVID19, une autre catastrophe vint s’abattre sur El Born. Bien connue sous le nom de la “grande pisse”, Cette malédiction frappa le quartier d’El Born en raison de...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alsid Murphy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0