Nous y voilà, j'ai renversé de l'eau sur l'ordinateur tout neuf de papa... Rien de surprenant à ce qu'il me punisse mais, à bien y repenser, j'aurais mille fois préféré une correction en bonne et due forme plutôt que le calvaire que j'ai dû subir.
Cela n'aura duré qu'une heure, mais ce fut pour moi la plus longue que j'ai eu à vivre. Je n'avais alors que neuf ans. J'étais tout le contraire d'un enfant sage, je n'arrivais pas à me calmer. Mon paternel qui n'était pas connu pour être d'une extrême patience avait élaboré un stratagème pour me faire taire, après avoir essayé les corrections musclées, il trouva la solution.
Ce qu'il pensait être la solution se formait en une magnifique pièce de bois sculptée de main de maître, une armoire décorée à la manière de l'ancien temps, sa poignée étant en fer et elle ressemblait à s'y méprendre à des doigts de sorcière.Une sorte d'enchêvetrement de racines et d'épines noires qui se serait affermi, jusqu'à devenir du fer. Les grandes sculptures qui ornaient le bois me glaçaient le sang.
On y voyait une figure avec de grands yeux, et un sourire absent, un nez proéminent et des pommettes en angle. Cette triste figure se séparait entre les deux battants de l'armoire. le cri que provoquait le bois me terrifiait à chaque fois. C'était comme si le visage hurlait à chaque fois, comme s'il était déchiré de part en part à chaque utilisation de ce maudit placard.
Il était vide, vide depuis bien longtemps. Aussi loin que ma mémoire me porte, je ne l'ai jamais vu rempli, ni même occupé, il semblerait que j'étais la seule compagnie que ce placard n'ait jamais eu.
" Attends ! Ce n'est qu'un placard ! " me direz-vous.
Si seulement. Je revois encore la main cagneuse de mon père se serrer autour de mon bras meurtris. Son visage rouge de colère laissait entrevoir le mal qu'il allait me faire, ensuite il lui venait une idée. Une sorte de lueur de vice venait d'éclater dans ses orbites explosés. Il semblait redécouvrir le placard à chaque écart de ma part.
Il m'y trainait et je le supliait, je l'implorais de tout faire sauf ça, je ne voulais pas y retourner mais, la rage n'a point d'oreilles.
A mesure que l'on s'approchait du couloir où trônait cette gargantuesque sculpture, je la voyais grandir et m'aspirer entre ces dents grinçantes. Je comptais les mètres et j'essayais tant bien que mal de me raccrocher à n'importe quoi, tout ce qui pourrait faire office d'accroche à mes ongles.
Je croyais voir le visage sourire de la même façon que mon père. Ce dernier ouvrit le placard et sans m'accorder un seul regard il m'enferma à l'intérieur, le placard poussa son cri et je fus plongé dans le noir.
Il régnait une sorte de malaise palpable, outre mes larmes et le grincement du bois, je sentais contre mes jambes que quelque chose rampait tel un serpent dans les herbes hautes. à mesure que cette sensation se prolongeait, je sentais monter un frisson le long de mon échine. Il n'y eut plus de bruit, plus aucun, je jetais des regards frénétiquement de tous les côtés mais je ne pouvais rien voir. j'étais une proie dans une cage en bois sculpté. c'est alors que je me suis mis à étouffer soudainement, comme si une poigne intangible serrait ma gorge déjà nouée de larmes salées.
J'entendis alors un murmure, une langue de serpent me sifflait à l'oreille, elle me susurait des mots et je pouvais presque sentir le souffle chaud d'une créature sortie tout droit des profondeurs des enfers.
" Je ... suis ... là... Arthur. Je sens ta peur qui monte "
ma gorge se désserait
" tu ne peux pas me fuir, je vais te rattraper, je suis le monstre qui va venir te chercher "
J'étais pétrifié, je ne pouvais rien faire, rien dire, des chaines de vent obligeaient ma langue à se tenir tranquille, par habitude finalement.
"Nous allons jouer Arthur... Comme avant, tu te souviens n'est ce pas ? Nos meilleurs moments "
Je sentais la panique qui germait dans mon coeur, ma mémoire semblait avoir effacé ces souvenirs.
" Tu étais si petit la première fois que je t'ai vu... Si fragile... Si... Délicieux ! Ta peur goûte délicieusement bon ! "
Je n'entendais plus rien... Rien que le vent, je revoyais les images dans ma tête. Cette ombre sans visage qui a descendu sur moi, une force incontrolable qui me figeai au sol et me tenait la bouche sans que je ne puisse ni bouger, ni crier. Alors, il prit possession de ma personne, j'étais une chose informe, une poupée de chiffon qu'il lacérait de ses griffes de charognards, ce monstre sous le lit, ce danger du placard, ce cauchemar, à défaut d'avoir un visage, il avait un nom dont je ne me rappelle plus, pour moi, il se nommait simplement :
Papa.