Chapitre 15 - La balance

6 minutes de lecture

Louis pense à elle et se questionne. Depuis son départ de Dunkerque, Sophia est-elle ce qui lui est arrivé de mieux ? Elle a choisi de donner une nouvelle orientation à sa vie, mais son métier est identique. Certes, elle n'est plus obligée de tapiner en pleine rue, mais son trottoir est numérique... Pourquoi est-elle partie sans prévenir ? Van-Hecke espérait qu'un lien affectif existait entre eux. S'est-elle enfuie ? Il existe des êtres qu'on croit connaître et qui s'évapore du jour au lendemain sans laisser de trace. Sophia est sans doute de ceux-là...

Ils vont bientôt se revoir et il appréhende sa réaction. Sa photo sur le web est assez explicite pour qu'il l'ait reconnue. Elle sera pétrifiée et une question lui brûlera les lèvres : pourquoi ne m'as-tu pas dit qui tu étais ? La jeune fille aura des soupçons sur la nature de ses véritables intentions et la découverte de son bracelet électronique renforcera sa méfiance.

Louis devra s'expliquer, lui avouer qu'il est suspecté d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Il y a peu de chances que Sophia le croit alors que lui-même l'ignore. Son trou de mémoire, la nuit où Costa a été tué, lui fait redouter le pire. En son for intérieur, il ne se croit pas capable d'avoir donné volontairement la mort. Et si on l'avait drogué ? Jusqu'à cette maudite soirée, Van-Hecke n'avait jamais eu de problème de ce type, au contraire, ses facultés mémorielles constituaient l'un de ses points forts. Il donnerait tout pour se souvenir et savoir ce qui est réellement arrivé.

Le Nordiste n'a pas de connaissances approfondies sur le fonctionnement du cerveau humain. Néanmoins, il a lu dans une revue qu'un bon sommeil est primordial pour consolider la mémoire. L'inconscient réajuste par le biais des rêves nocturnes les expériences vécues durant la journée. Or, depuis les faits qui l'ont conduit en prison, il dort très mal. Ses songes le plongent dans un état de malaise duquel il peine à s'extirper au matin. Dans l'hypothèse où Louis aurait absorbé des substances agissant sur ses facultés cognitives, seraient-elles responsables de ses nuits agitées ? Avant qu'il ne s'éveille, se produit invariablement le même scénario. Alors que son niveau de perception du réel oscille entre le sommeil et la pleine conscience, une présence flotte au-dessus de lui. Puis, dès que ses yeux s’entrouvrent, le visage de Sophia lui apparaît. Cette Sophia-là n'a pas la même aura que celle qu'il connaît. Elle l'observe, semblant attendre qu'un changement s’opère en lui pour passer à l'action. Elle n'est ni amicale, ni contrariée. La jeune femme patiente, sachant que quelque chose va se produire ?

Louis est perplexe. Tout bien considéré, cette prochaine rencontre le place dans une situation embarrassante.

*

À une petite centaine de kilomètres de là, Sophia s'est posée sur le divan et réfléchit elle aussi.

Les rendez-vous se succèdent à un rythme soutenu et les gains sont conséquents. Santoni est ravi et pérore sur sa prétendue habileté à concevoir des stratégies innovantes et lucratives. Sa protégée sent monter en elle le vent de la révolte, elle ne le supporte plus. Il n'a rien d'un génie et copie simplement ce qui existe depuis longtemps sur Internet. Quant à elle, si ce nouveau mode de fonctionnement lui assure une certaine sécurité, il l'enferme dans une cage de verre.. Elle propose ses charmes à un public très différent. Ses nouveaux clients portent des vêtements de meilleure facture et s'expriment dans un excellent français, mais leurs préoccupations restent les mêmes que ceux du boulevard Michelet. Pire, ils ont souvent des exigences particulières... Leurs déviances sont clairement assumées, leurs perversions... plus raffinées. Sophia déteste ces apprentis sadiques qui tentent de lui imposer ce que leurs épouses leur refusent. Heureusement, elle sait dire non à ces notables qui se croient tout permis.

Ce qui l'énerve, c'est que son homme ne se rende pas compte de son mal-être. Il la regarde comme une putain, c'est tout ! Ne s'imaginant même pas qu'elle puisse ne plus être satisfaite de son sort. Comme si on pouvait vendre son corps par goût ! Il n'a pas compris que Sophia avait évolué. Ce qu'elle acceptait plus jeune, elle le fait à contrecœur aujourd'hui. Elle est consciente qu'elle se tape le sale boulot. Elle sait qu'il l'exploite et n'ignore pas qu'il est dépendant d'elle. Il a donc plutôt intérêt à être gentil, sinon...

Santoni pénètre dans la pièce au mauvais moment...

— Combien tu as ramassé aujourd'hui ?

— J'ai pas compté Orso. Tiens !

Et elle balance une liasse de billets sur la table basse.

— Tu m'appelles Orso, maintenant ?

— Pourquoi, c'est pas ton prénom ?

— Tu sais que je ne l'aime pas, alors arrête.

— Il faut t'en prendre à ta mère, c'est elle qui l'a choisi.

Il lève la main vers elle.

— Je te préviens Orso, si tu me gifles, je fais ma valise immédiatement et tu ne me reverras plus jamais, dit-elle en le fixant droit dans les yeux.

Santoni est surpris, c'est la première fois qu'elle l'affronte de manière aussi directe. Il n'est pas stupide et sait très bien que leur situation actuelle ne l'autorise pas à se passer de sa présence. Il freine son bras et s'en va en claquant la porte.

*

Jani est face à Djemal. Ils parlent du pays un verre en main. Le jeune mécanicien doit savoir si son ami est de connivence avec les flics.

— La police m'a interrogé. Je suis suspecté d'avoir tué Costadino Hasani.

— Toi ? C'est impossible, tu es le mec le plus honnête qui soit.

— Quelqu'un leur a révélé que Costa voulait me faire la peau. Ils connaissaient l'histoire aussi bien que toi et moi.

— Et ils ont pensé que tu l'avais buté avant qu'il ne le fasse...

— C'est exactement ça !

— Dis-moi, tu ne serais pas en train de m'accuser d'être une balance ?

Jani ne répond rien. Le regard du patron du Korab n'est plus le même. L'expression de son visage s'est durcie. Leur discussion a soudain changé de registre. Il empoigne son compatriote par le colback.

— Salaud ! Tu me crois capable de manger dans la main d'un poulet ?

Jani se dégage brusquement. Dans le mouvement, son bras balaye d'un revers les verres posés sur le comptoir. Les clients du bar se retournent et attendent la suite en silence.

— Alors explique-moi, comment ils ont su. Il n'y a qu'à toi que j'ai raconté mon embrouille avec Costa.

Djemal réalise tout à coup que s'il n'a rien déballé aux flics, il a tout dit à un autre. Il pose sa main sur le bras de son ami en signe d'apaisement.

— Je crois bien que je sais qui a craché le morceau. Tu as déjà rencontré Marko, le Monténégrin ?

— Non.

— C'est un mec qui a vécu en Albanie, il maîtrise parfaitement notre langue. Nous l'avons donc accepté parmi nous.

Il marque un temps d'arrêt. Sans doute, se rend-il compte des conséquences de ce qu'il pensait être un simple bavardage entre amis.

— Tout d'abord, accepte mes excuses.

Jani lui répond d'un hochement de tête.

— Je vais t'expliquer. L'autre soir, nous avons bu quelques coups et avons évoqué la mort de Costa. On a parlé du pays et de la vie là-bas. C'est après que je lui ai confié qu'il avait une fiancée qui regardait un peu trop vers son meilleur ami. Ensuite, les verres de Raki se sont enchaînés et il m'a tiré les vers du nez sans que je ne m'en aperçoive. Il m'a demandé ton nom et je lui ai donné sans penser à mal. Cet enculé a tout répété aux flics.

— Je suis rassuré, Djemal et je ne t'en veux pas. Pense simplement à tenir ta langue à l'avenir. Et ne te venge pas, ça risquerait de me nuire. La police penserait que c'est moi.

— Ne t'inquiète pas mon ami, je réglerai ce problème discrètement.

Jani est parti. Djemal est assis à la table de deux habitués. Les trois s'expriment à voix basses...

Annotations

Vous aimez lire NATOS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0