3.
Je mange au rez-de-chaussée de l’hôtel, après avoir sélectionné l’instant qui siérait le mieux à ma solitude et à l’entêtement d’une part de mes organes. Un vieux couple est au dessert, accolé à la baie vitrée qui donne sur la rue, d’où ils regardent passer, indifférents, un véhicule toutes vitres baissées qui tonne une musique indéchiffrable. Ils sont davantage concernés par l’éclairage de la pièce qui laisse à désirer lors que le soleil complète son déclin. N’était leur électricité transmissible, je me trouverais passablement content ; les lumières artificielles sont à mes yeux quelque peu hostiles, au contraire du ciel diffus de grenadine, parcouru de menus artefacts plus pâles. Le duo articule une véritable chorégraphie de l’agacement qui décroche mon admiration rieuse. Une des grandes victoires de l’âge mûr se trouve peut-être dans cette maîtrise, cette finesse de l’expression corporelle, ce sens de l’onomatopée synchrone ; il y a une économie du soupir admirable, les regards, les arabesques des épaules sont dans le ton, et la pesée des mots – ceux proférés à haute voix, ceux plus sévères et plus bas – ne souffre d’aucun sur ou sous-dosage. Lorsqu’enfin, tout de même, le problème en vient à sa dissolution, le couple se complète comme il se doit devant un réceptionniste désolé – ici-aussi le rôle est joué avec le cœur, le visage donne tous les gages de l’écoute et du regret – et se paie le luxe de conclure sur un air léger.
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