La femme en rouge
Qu'était-elle donc venu faire par ici, dans cette partie éloignée de toutes mondanités, cette étrangère aux soieries plus riches encore que les plus dispendieuses demeures de ce petit rameaux dans lequel elle venait de débarquer ? C'est la question qui se lisait sur les lèvres murmurantes de chacun des villageois qui s'étaient rassemblés sur le pas de leurs portes ou aux alentours de sa voiture. L'une des vieilles du village cracha soudain au sol, fit une croix sur sa poitrine puis se détourna avec dégoût de la femme qui, si droite, si haute dans ses talons, le menton si levé, ne remarqua ni le geste de l'ainé, ni personne autour jusqu'à ce qu'elle décidât de descendre hautainement le regard vers eux. Ici, dans ce patelin de bonnes gens, le rouge de sang qu'arborait richement la dame dans ses belles parures - et en particulier son magnifique chaperon brodé de fantaisies en or et serti de pierres de majesté -, n'apportait que malheurs et annonçait de terribles nouvelles. C'était une couleur d'horreurs et de maléfices. Nulle symbolique d'amour ni de passion là-dedans pour eux, qui ne connaissaient toujours et quotidiennement que la réalité, pure et dure, celle-là qui ne laissait jamais place au romantisme et à la poésie.
Il s'avérait que la vieille avait eu bien raison de se méfier de la rougeoyante étrangère, car celle-ci, soudain, ordonna avec moulte gesticulations dramatiques, telle une aristocrate, qu'on ne l'introduise à leur célèbre divinité, Wolf. Surpris, choqués, les gens du coin l'accusèrent de vouloir les priver de leur seul trésor, mais l'étrangère resta de marbre en expliquant froidement qu'elle comptait s'emparer des pouvoirs de l'homme-loup à la loyale, c'est-à-dire en le convaincant de les lui abandonner. Il fallait comprendre qu'en vérité, la dame n'en était pas à sa première divinité et que d'une de celles-ci, elle avait reçu le don d'être des plus charismatiques, bien que cela ne fonctionnât qu'en présence de ces êtres magiques et surtout, dans un état d'esprit calme et reposé. Les gens se mirent à hausser le ton, tous parlaient en même temps, se bousculaient. De la voiture en arrêt sortirent alors quatre hommes armés jusqu'aux dents, prêts à défendre leur dame. Il leur était donc impossible de lui refuser sa requête, constatèrent les piteux villageois, frustrés, atterrés.
La vieille, cependant, sonna la cloche de l'église et annonça une réunion d'urgence pour que puissent s'exprimer tous et chacun au sujet de la vilaine et mesquine étrangère. Tous étaient au désespoir, mais l'ainée, qui était en réalité la plus âgée, la plus sage, la plus savante et la plus rusée d'entre tous, leur rappela que plusieurs étaient déjà venus par le passé pour leur enlever Wolf, mais que nul n'y était jamais parvenu, grâce à leur ruse.
Ainsi, lorsqu'ils ressortirent finalement de l'église, bien plus calmes, menés par l'ainé sans âge, c'est l'étrangère qui fronçait les sourcils, surprise de leur changement d'attitude. Cependant, elle chercha à ne pas laisser paraître son choc et, déstabilisée, les suivis tandis qu'ils la guidaient vers celui qu'on prétendait être un homme-loups. Plus ils approchaient, plus la femme en rouge se sentait fébrile, et, remontant son chaperon sur ses longs cheveux d'automne, elle émit un rire mélodieux et pourtant fou, tout en extirpant de sa ceinture une petite dague en or massif et sertie de petite pierres précieuses et colorées. Elle souhaitait donc vraiment manger la créature ? Quelle tragédie !
Elle entra dans l'enclos de l'animal, où il faisait un tel noir qu'elle prenait plusieurs secondes pour ne faire qu'un pas devant l'autre. Elle savait que l'homme-loups, lui, avait une vision nocturne et pas elle, et soudain ne se sentait plus en sécurité. Pourtant, une lumière l'a subitement aveuglée, provenant d'un lampion allumé par un enfant adroit monté sur le toit de la grange. Un deuxième, puis un troisième enfant illuminèrent soudain les lieux, l'aveuglant toujours tant et si bien qu'elle crut à un piège et, hurlant de rage, s'apprêtait à leur faire goûter de sa rage, mais alors, elle entendit un bruit qu'elle ne reconnut pas, mais qui n'était franchement pas humain. Tout à coup interloquée, elle porta son regard en direction du profond grognement, se prêtant à la détente, tâchant de faire venir à elle ses capacités. Or, plutôt que de se calmer, elle sentit soudain la terreur s'emparer d'elle lorsqu'elle réalisa qu'à travers sa vision, le spectacle qui s'offrait à elle n'était pas ce à quoi elle s'attendait.
- Êtes-vous bien Wolf, monsieur ? Et si c'est bien vous, pourquoi donc êtes-vous si massif ?
- En effet, c'est bien moi, petite, et je suis massif pour mieux contenir toute ma magie.
- Bien d'accord, mais monsieur Wolf, pourquoi parlez-vous d'une voix si profonde et saccadée ?
- C'est que j'ai couru pour venir à votre rencontre, madame. On m'a dit que j'avais de la visite, or je n'en ai jamais.
- Mais monsieur Wolf, ma vision semble me revenir, mais c'est étrange, j'ai l'impression qu'il vous est poussé des cornes !
- C'est pour mieux t'empaler !
La créature étrange se mit à courir en direction de la femme, mais rapide et agile, et surtout, emplie de magie, l'étrangère disparut on-ne-sait-où. Et l'homme-taureau, divinité locale appelée à la rescousse en remplacement de monsieur Wolf, qui lui n'était en réalité qu'un vieux loup aux quelques exploits faciles à son actif, déclara dès lors à tous ses semblables qu'à partir de cet instant, tous ceux qui porterait cette couleur de malheur, le rouge, serait un ennemi des animaux, de la magie et de la paix, et qu'il faudrait user de toute sa rage pour l'empaler.
(Anciennement part du recueil "Capharnaüm", simplement déplacée ici ; si vous l'avez déjà lue, elle n'aura pas bien changé)
Annotations