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Allongé sur le sol, le corps raide d’un cadavre. Un enfant, il devait avoir approximativement six ou sept ans. Ce n’était pas le premier dans ce cas. Pour tout vous dire, il était le cinquante-et-unième de ma carrière. Mon affaire cinquante-et-un. Toutefois, elle était la première dont le souvenir ne me quittait pas et la dernière avant mon transfert quelques semaines après sa résolution.
Bref, je m’égare, laissez-moi donc reprendre…
Il s’appelait Jonathan Diekans, je ne pouvais pas oublier ce détail. Nous portions le même prénom ; ce qui m’avait semblé complexe sur le moment. Comme quoi posséder un point commun avec une victime engendrait certaines conséquences. Pour moi, un retour vers mes anciennes affaires. Troublant, n’est-ce pas ?
À première vue, le meurtre du petit Jonathan apparaissait identique à ma première enquête : le cas John Stopheek ; un gamin d’un âge similaire, retrouvé poignardé à dix-neuf reprises au niveau de l’abdomen aux alentours d’une station-service, dans le centre de Bruxelles, dix ans auparavant. Une scène comme aucune autre. Difficile à croire, et pourtant, si vrai, pour un bleu comme je l’eus été, mais pour l’enfançon Diekans, j’en étais immunisé. La preuve que des actes d’une telle envergure peuvent avoir un putain d’impact sur la psyché humaine sans pour autant laisser ses victimes dépourvues de repères à quoi s’accrocher.
Ce gamin-là, Jonathan Diekans avait, comme déjà énoncé, moins de dix ans. Son corps, abîmé par les coups et le sang, ne possédait plus une tête parfaite et reconnaissable ; tout simplement, parce que son enfoiré de meurtrier lui avait enfoncé le crâne dans un parpaing : signe d’une rage incontrôlée. Mais, sur le moment-même, je me trouvais loin de la vérité. J’avais cette impression que le meurtirer était la personne qui eut pris le temps de nous prévenir de la situation avec une voix détachée de toute émotion. Ce qui semblait, pour moi, ce qu’il y avait de plus probable. En y repensant, je me souviens de son absence à notre arrivée, un détail qui pour l’époque m’avait échappé. Cependant, au moment de l’enquête, il avait, selon moi, réfléchi à la complexité du déroulement.
- Jo', est-ce que ça va ?
- Oui, bien évidemment, juste… Encore un gamin qui n’avait rien demandé.
- Comme tous ceux qui l’ont précédé. Tu es bien au courant que cela n’est pas anodin pour notre service d’investigation !
- Je le sais, Charly, je le sais même parfaitement. Ce n’est pas le nom de notre unité pour rien.
Je sentais son regard empli de compréhension se poser sur moi, et ce, parce que je la connaissais depuis vingt-trois ans, au moment de l’affaire cinquante-et-un. Nous avions passé l’Académie de police et chaque brigade de services avant de nous retrouver coéquipiers dans la Police Fédérale ; à l’époque du dossier Stopheek, notre affaire numéro un, dix ans avant la cinquante-et-une, dix ans avant Diekans. Pourtant, Charly était l’unique femme qui pouvait rester au courant de la moindre de mes pensées, voir bien plus que ma douce moitié, Amanda, avec qui je fus marié à l’âge de vingt ans. Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer combien Amanda aurait figuré jalouse d’une telle révélation ; je ne doutais pas une seule seconde du fait qu’elle l’ait su et qu’elle le sache encore à l’heure d’aujourd’hui.
Charly s’avançait près du corps tout en m’offrant l'opportunité de vaguer à l’observation, rigoureuse, de ce lieu qui pouvait me… non… nous permettre d’élucider l’enquête dans les plus brefs délais ; toutefois, ce corps en était l’unitaire résolution. Rien d’autre ne demeurait présent. Même ce parpaing n’avait aucune utilité, il servait juste à masquer la véracité des faits.
Vous ne pouvez pas savoir à quel point tout ce que je vais vous raconter se trouve à des milliers de kilomètres de toute suite logique ; mais je ne vais pas m’attarder sur cela maintenant, car vous découvrirez la réalité en temps et en heure, oui, cela, je vous le promets. De plus, remanier l’enquête dans l’apprentissage des bleus d’aujourd’hui, représente un risque de folie précoce. Et pour moi, rien n’est plus jouissif que de voir les fils à papa se planter de manière plus que phénoménale. Tout en rien ne semblait gésir d'une question d’éthique, et je refuse, en général, ce genre de pot-de-vin. Toujours.
À l’approche du corps, Charly ne put retenir un soupir de dégoût et elle en eut bien raison. Ce corps, figé dans la mort, dans son propre sang poisseux, sali par les gravats, était congrûment amoché. Ce Connard ne l’avait pas loupé. Exercer une pression énorme sur le gamin ; écrasant le cerveau dans ce qu’il restait du crâne, et faisant en sorte que les globes oculaires soient exposés à l’air libre en tombant sur ce qu’il subsistait de ce visage enfantin ; représentait une idée de génie pour cacher le moindre monceau de l’ADN du coupable, tout en laissant derrière une vision affreuse et tellement horrible que je pus voir certains de mes collègues ; bleus pour la plupart, se décomposer et retenir les hauts le cœur dont ils étaient victimes. Ce que je comprenais et évitais, car sur une scène de crime de ce type, c’était ce qu’il y avait de mieux à faire.
- Bande d’abrutis ! Dégagez de cette scène avant que vous ne la contaminiez avec vos relents d’estomacs, avais-je déclaré d’un ton acerbe.
- Tu ne devrais pas leur parler ainsi, Jonathan. C’est sans doute la première fois qu’ils voient un cadavre d’enfant dans un pareil état.
- Pourquoi cela devrait-il avoir de l'importance pour moi, Charly ? Ces gosses de riches n’avaient pas à choisir ce métier, surtout, si leurs panses ne tiennent pas en condition à chaque enquête qui leur est présentée.
Un grognement sourd sortit de sa bouche, mais la raison m’était accordée. Ces bleus n’avaient pas leur place parmi mon équipe.
- Si tu le dis, Jo' ! Mais dois-je te rappeler que tu avais réagi de manière quasiment identique la première fois ?
- J’étais l’exception qui confirme la règle.
Je ne pus retenir un rire à la fin de cette phrase. Il fallait, dans certains cas, faire preuve d’un comportement contraire à celui que l’on avait connu par le passé, et ce, afin de ne pas se faire marcher sur les pieds. J’en étais de ceux qui en abusaient, pourtant, j’aimais trouver cette peur dans leurs yeux et leurs manies de me prendre pour un homme sans cœur tout en sachant que je jouissais certainement de leur souffrance commune. J’étais ainsi à l’époque : un connard sans scrupule que personne n’apprécierait de voir en peinture. Oui, et bien évidemment, rien n’a changé dans ma vie actuelle, même si sur le moment, j'affectionnais ces petits ânes bâtés de stagiaires, enfin, quand ils entraient les pieds dans le plat des règles.
Regardant une nouvelle fois les marques désastreuses sur le gosse Diekans, je pus apercevoir qu’elles avaient été faites de manière ante-mortem à l’exception du coup de parpaing, post-mortem, ce qui le rapprochait une nouvelle fois de John Stopheek. L’agressivité des coups, le même nombre, le même endroit. Tout y était pour y ressembler, à une différence près, était-ce le même meurtrier ? Car oui, il n’était pas difficile de se demander ce dont il était advenu de l’assassin du premier, et ce, parce que nous n'avons guère d'obligation sur le fait de prendre des nouvelles sur les peines encourues par ces criminels de basses échelles, peut-être, déjà morts à leur arrivée. Pour dire la vérité : que cela soit d’une époque ou de nos jours, les pédophiles et les tueurs d’enfants sont toujours bien accueillis par leur camarade de taules, ils ne tiennent jamais longtemps. Ou du moins, c’est que l’on peut entendre.
- Charly, sais-tu ce qu’est devenu ce salaud de Brandon Steel ?
Hochement négatif.
Tout comme moi, elle ne semblait pas en avoir connaissance. Ce crétin était l’assassin de John, tout comme il fut son beau-père. Il nous avait fait tourner en bourrique pendant des mois, apportant chaque jour de nouvelles pistes, ne nous permettant pas ainsi de vérifier les précédentes. Il réalisait tout avec quelques coups d’avance, jusqu’à cette journée fatidique. Une erreur, pour laquelle, il n’en oublia guère le moindre détail pendant des années et qu’il emporta avec lui le jour de sa mort, il y a de cela deux mois. Brandon Steel, de qui je me souviens encore parfaitement, avait été un homme calme, toujours respectueux envers l’ensemble de la police, et constamment habillé d’un horrible ensemble trois-pièces vert-kaki assorti d’une cravate rose ; cela ne se concorde pas conjointement, me lâcheriez-vous. Mais pour lui, cet accoutrement ne le dérangeait nullement, du moment que cela lui permettait de ne pas subir nos regards braqués sur lui afin de le sonder sur le décès de celui qu’il appelait son fils. Sa voix, systématiquement neutre, ne dérogeait pas à la règle le jour de son arrestation, ni même avant, au moment des interrogatoires pour la précision de ses pistes. Alors, que nous ne cessions de le scruter, je pouvais le voir observer tout autour de lui. Pourtant, rien n’arborait les murs de cette salle à part le papier peint d’un gris métallisé et le miroir sans tain.
- Comment va votre compagne, Monsieur Steel ?
- Aussi bien que toutes femmes dont l’enfant est retrouvé mort assassiné, enfin, vous comprenez !
- Bien évidemment, Monsieur Steel, nous comprenons parfaitement.
- Nous avons perdu notre fils, Inspecteur Vandeville ! Notre garçon a été tué, nous l’avons enterré ! Pourquoi continuez-vous donc à chercher des informations gaspillées d’avance ? Personne ne va nous le ramener ! Personne d’autre que moi ne pourra rendre le sourire à mon épouse. L’homme qui a poignardé dix-neuf fois son fils ne se verra pas mettre sous les verrous.
Elle eut été LÀ, son erreur. Personne du service n’avait révélé cette information. La famille du gamin Stopheek n’avait guère connaissance du nombre de coups portés à l’enfant. À ce moment-là, j’avais compris qu’il y était pour quelque chose, et ce fut cette déclaration qui classa l’affaire numéro une. Mais pour le petit Diekans, en était-il responsable ? Encore eut-il fallu que je l’eusse su.
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