La patronne et moi

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... Ça y est, je me fais chier.

Ça n'aura pas pris longtemps. Il suffit de regarder ce que ces deux idiots ont fait de moi : un dîner aux chandelles ? Vraiment ? Si c'est pour être aussi banal, j'aurais mieux fait de ne rien faire quand ils se sont rencontrés au supermarché.

Mais c'est bien ça, tout le problème, n'est-ce pas ? Je ne choisis pas quand j'arrive. Non pas que je ne veuille pas choisir, parce que croyez-moi bien que si, mais je n'ai aucun pouvoir de décision sur ça. C'est la patronne qui s'en charge. La patronne qui a refusé que Empathie l'aide.

La procédure est simple : je suis convoqué dans son bureau, elle me montre mes deux prochaines cibles, et j'y vais, je fais mon taff, et je contemple mon travail en attendant d'être reconvoqué. Procédurière, efficace, il n'y a pas à dire : cette méthode a fait ses preuves, et la patronne est on-ne-peut plus fière de ma productivité.

Le seul problème, c'est qu'elle n'a rien à faire des conséquences de mon travail. Tenez par exemple : la dernière fois, elle m'a pointée deux jeunes garçons. Moi vous savez, je suis ce que je suis, je ne fais pas de distinction ; le problème est que l'un des deux a des parents... Disons... Peu compréhensifs. Je sais comment ces histoires finissent, je l'ai vu trop de fois : il va se faire virer de sa maison, ou harceler, ou déshériter, ou tout ça en même temps. Il n'y a rien de beau là-dedans.

J'essaie pourtant de proposer des alternatives à la patronne : et s'ils se rencontraient à nouveau un peu plus tard, quand le jeune est devenu responsable et sera loin de ses parents ? Ou alors laisse-moi aussi travailler un peu sur ses darons, histoire qu'il ne craigne rien et puisse en profiter ? Mais la patronne est intransigible, et elle a des tas d'excuses pour toutes les situations, sa préférée étant "nous n'avons aucun pouvoir, il arrivera ce qui doit arriver, c'est la loi de la nature". Mouais. J'aimerais bien la rencontrer un jour, mère Nature, peut-être qu'elle serait plus indulgente que la patronne.

Et c'est comme ça tous les jours, depuis toujours. Des histoires impossibles, des moi qui rendent plus malheureux qu'heureux, c'est toujours la même chose, "on ne peut rien y faire". Comme si notre boulot n'était pas précisément de faire quelque chose dans la vie de ces gens. Bonheur est un bon collègue, on discute parfois à la pause café. Il est un tantillet trop enthousiaste mais c'est un bon gars. Il ne comprend juste pas pourquoi la patronne m'oblige parfois à saboter le travail qu'il a fait.

Je sais qu'on ne parle que de mon travail romantique, mais ça n'est pas celui qui m'intéresse le plus. Peut-être qu'à force d'en faire des louanges et d'en parler sans cesse (non, sérieusement, c'est NON-STOP), ça a commencé à me barber. Je suis toujours étonné qu'ils aient encore des choses à dire à mon sujet. En vérité ils ne disent rien de nouveau, ils répètent sans cesse la même chose, mais je crois bien qu'ils le disent sur une autre note donc c'est à nouveau intéressant. Si j'ai bien compris.

La vérité est que je n'en ai que faire des déesses à ma gloire et des cadenas sur les ponts. Ce que j'aimerais, c'est qu'on célèbre mes autres travaux. Parce que merde, ils sont tout aussi beaux que la romance ! J'y met autant de coeur, mais les gens ne le voient pas. Pour une raison que j'ignore, ils ne se concentrent que sur la romance, comme s'ils comprenaient quelque chose à sa complexité. Tout comme ils explorent l'espace alors qu'ils ne connaissent rien de leurs propres fonds marins, ils sont obsédés par la romance quand l'amitié est sous leur nez !

Et pourtant, ça n'est même pas ça qui me préoccupe le plus. Non, ce qui me tracasse le plus, ce sont les gens seuls. Comme cette fille coincée chez ses parents qui rêve de grandeur et de respect, mais qui est comme un oiseau en cage et qui se contente d'écrire des choses absurdes sur internet. Lorsque je regarde cette fille, comme tant d'autres, je suis triste et je m'en veux de ne pas pouvoir lui venir en aide.

Solitude est une vieille garce, quoi qu'on en dise. On a beau me dire qu'elle a des bons côtés, moi tout ce que je vois, c'est qu'une fois qu'elle est fixée sur quelqu'un, elle aspire toute positivité en la personne. Et bien évidemment, quand elle est en service sur quelqu'un, je suis juste inutile. J'ai essayé pourtant de négocier avec la patronne : si elle ne peut pas aimer d'autres gens, est-ce qu'elle peut au moins s'aimer elle-même ? Mais la patronne me répond toujours : "Laisse Solitude faire son travail, dès qu'elle en aura fini tu seras le premier informé".

Alors parfois je triche un peu, je donne à certaines personnes un peu trop de moi, comme ça si elles croisent une personne seule elles peuvent un peu lui en donner sans que j'en ai eu l'ordre. Je fais ce que je peux, vous savez. Mais quand la Vie en a décidé autrement, je n'ai pas d'autre choix que de me plier à ses ordres.

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