Chapitre 16 - Très cher frère...

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Je te jure, je ne l'ai pas appelé !

Satoru soupira une fois de plus ; il était passé voir si tout allait bien pour Yakuseki-kun, et avait même pensé à l'inviter à manger un bol de ramen. Mais en arrivant chez son ancien chez-lui, il avait trouvé un appartement vide et s'était empressé d'envoyer un message à son locataire temporaire.

À ce niveau-là, l'exorciste d'albâtre s'était dit qu'il commençait à devenir maboul, parce qu'il ne s'inquiétait jamais pour qui que ce soit. Seulement, la simple idée que l'autre soit parti bourlinguer sans lui, ou… partir pour de bon lui avait semblé aussi dérangeante que de retoucher à une verre d'alcool de prune.

C'était Utahime qu'il avait appelé. Pourquoi ? Parce que le père Yanagi était en presque-deuil, et la rumeur disait que quiconque lui parlait de Yakuseki finissait la tête entre deux poubelles. La scission avait été plus violente que Satoru ne l'aurait crû, mais pour son kohai ? C'était une question qu'il avait oublié de lui demander.

— Tu es persuadé de ça ? J'ai suivi sa signature d'énergie occulte, et elle arrive à la gare, sur la voie en direction de Nagoya. Comme je sais que tu t'y rends souvent…

Seulement pendant les périodes hivernales ! Argh, mais cette année, j'avais envie de rester avec mes élèves pour leur apprendre à…

— Oh, tu t'es trouvé un amoureux~ ?

— …

— On parlera de ça plus tard, ma petite Iori-chan ! (Il prit un ton plus grave) Un grade spécial qui disparaît après cette période secouée est un coup parfaitement exécuté.

Tu penses que c'était prévu à l'avance ?

— Oh que oui ! (Satoru se déballa une sucette et se l'enfourna dans la bouche) Che chui perchuadé qfeu tu 'ois 'afoir une 'dée.

— Hein ?

— Ché dfit… (il enleva sa sucette de sa bouche) Je suis persuadé que tu dois avoir une idée de l'agresseur, hein, ma douce Iori-chan ?

Un silence éloquent se fit entendre à l'autre bout du fil, faisant sourire l'exorciste ; sa collègue n'avait jamais été très finaude pour cacher les secrets, surtout quand il s'agissait des autres. Au bout d'un petit moment et de quelques lapements de sucette, elle répondit :

Tu ne me croirais jamais.

— Ah ! Je suis très informé, dis toujours.

C'est au sujet du Roi Écarlate, mais ça tu le savais (même si elle ne le voyait pas, il acquiesça) La plupart des exorcistes qui sont au courant pensent que les Princes sont des milliers, et qu'ils pullulent dans le monde entier. Mais il n'en est rien.

— Continue, lui intima le bel aux yeux azur, sentant qu'il allait déterrer quelque chose de vieux, sale et vraiment précieux.

Les milliers de « Princes » ne sont en fait que des suppôts du Roi, les Enfants Pourpres. En vérité, il y a dix Princes et Princesses par cycle, chacun représentant un attribut du Roi lui-même.

— « Cycle » ? Tu veux parler des ères elles-mêmes ?

C'est cela, confirma Iori avec un ton préoccupé. Chaque Ère possède sa descendance Royale, toujours dix, pas plus, pas moins. C'est comme ça que le Roi arrive à asseoir lentement sa domination sur le monde.

Satoru trouvait ça étrange, surtout venant d'un fléau ; d'ordinaire, ils étaient plus terre à terre que ça, préférant user de la peur et de la force afin d'obtenir un statut presque divin auprès des simples humains.

Ah ! Je viens de recevoir un message de Reiketsu : il est effectivement à Nagoya, pour une affaire.

— Hmm… Merci pour l'info, rappelle-moi s'il te recontacte.

Il raccrocha en claquant de la langue ; dans le cas où Yakuseki aurait décidé de le considérer comme la personne la plus formidable du monde, cas qui n'était pas prêt d'arriver, son collègue et nouveau locataire avait bizarrement oublié leur accord mutuel, à savoir se partager les informations sur le Roi. Car oui, il était logique que ses séides aient contacté l'acerbe exorciste, sinon Reiketsu serait resté à Kyoto.

Satoru pencha sa tête sur le côté, regardant ses élèves s'entraîner dans la cour. L'année prochaine, de nouvelles recrues viendraient s'ajouter à leurs rangs, dont le jeune Megumi dans lequel il plaçait beaucoup d'espoir. Depuis que Yuta avait perdu Rika (pour de bon, cette fois), le jeune homme s'était apparemment coupé de son énergie occulte et était retourné à une vie plus ou moins normale.

Le plan initial du grand aux yeux bleu-diamant aurait été de mettre Yuta en stage avec Yakuseki, car malgré tous les défauts de ce grossier personnage, on ne pouvait nier son irréprochable efficacité, surpassant même Nanami (ce qui était étonnant). Mais maintenant que l'ancien maudit était redevenu un non-exorciste… Ou bien… ?

Il était tout à fait possible de garder Yuta sous son giron en prenant pour prétexte qu'il étudierait à devenir une « fenêtre ». Poser des barrières, ériger des voiles n'exigeait aucune technique occulte, et le potentiel d'énergie qu'il pouvait produire devait être surveillé de près.

— Saumon ?

— Hmm ? (Satoru fut tiré de ses pensées par Inumaki, qui le regardait d'un air inquiet) Tu as déjà fini tes exercices de vocalise ?

— Algue.

— Bien, bien… Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Ne me dis pas… (Satoru prit un air malicieux)…que tu veux prendre une photo avec ton professeur ? C'est très soudain, je ne sais pas si je pourrais…

— Thon !

— Ça veut dire quoi, « j'évite toujours les sujets fâcheux derrière un masque d'enfant gâté » ? Je suis ton professeur, montre-moi le respect qui m'est dû !

Inumaki le regarda quelques instants, secoua sa tête et s'excusa avec un « Mayonnaise » dépité. Satoru voulu ajouter quelque chose, mais Maki et Panda débarquèrent, cette dernière lâchant avec un sourire fendu :

— C'est vrai que vous et Yakuseki-sensei vous êtes battus ?

— Quoi ? Qui t'a appris ça ?

— Un prof, répondit son élève en haussant des épaules, avant de reprendre : alors, qui a gagné ?

— Moi, bien sûr, annonça-t-il, sur un ton un peu précipité.

— Je pense que Maki voulait dire : jusqu'où a-t-il tenu ? pointa Panda avec un ton didactique.

— Hé ! Analyse pas mes propos !

— Alors, professeur ? continua Panda en ignorant les grognements de Maki.

— Il a pas tenu une minute face à moi, rigola Satoru.

Tu parles, il a presque réduit mon Domaine à néant, quelque chose que j'ai mis des années à peaufiner alors qu'il utilisait le sien pour la troisième fois de sa vie. Si tous considéraient Satoru Gojo comme le pinacle de l'exorciste parfait, Reiketsu Yakuseki serait le monstrueux génie qui dévore sans cesse pour grossir et finir par dépasser l'idée même de la perfection.

— C'est logique, après tout, déclara Maki comme si c'était une évidence.

— Poulpe, confirma Inumaki.

— Mmh… finit Panda, pensif. En tout cas, c'était assez déloyal de l'attaquer pendant sa phase de deuil.

— Souvenez-vous en : la loyauté et l'exorcisme, ça fait deux. Vous n'avez que de comptes à rendre à personne, hormis ceux qui sont en danger.

Soudain, son portable vibra dans sa poche. D'un geste vif, Satoru répondit et le porta à son oreille, sans prendre le temps de regarder qui appelait :

— Allô ?

Satoru… (Il se pétrifia à l'entente de son nom et de la voix tremblante d'émotion qui la véhiculait) Elle… Elle s'est réveillée !

— J'arrive tout de suite, répondit ce dernier sans réfléchir, puis il se tourna vers ses élèves : Mes enfants chéris, Papa doit aller régler des affaires.

Les moues et têtes désabusées lui remontèrent assez le moral pour qu'il puisse se téléporter sans apparaître au sein d'un volcan.

* * *

De retour à Kyoto, Reiketsu avait reçu des tonnes de messages et d'appels manqués de toutes ses connaissances, lui annonçant une nouvelle à couper le souffle : Uyeno s'était réveillée de son coma, et en bonne santé qui plus est. Les larmes avaient coulé le long de ses joues, il s'était même accroupi pour gérer les tremblements quand son cerveau pulsait de soulagement.

Elle allait bien.

Mais ce n'était que le revers de la médaille ; sans l'intervention de cette mystérieuse « Pseudo-Princesse », Uyeno serait toujours sur son lit d'hôpital, son visage aussi blafard et glacé qu'un cadavre frais. Cette image le fit frissonner, tandis qu'il essuyait ses yeux rouges, cheminant jusqu'à son nouvel appartement.

Bien sûr, la femme lui avait stipulé qu'il ne devait répondre à aucun appel ou message de quiconque toute la journée durant, sans qu'il sache pourquoi. Pourtant, quand il arriva dans la rue presque familière, il tomba sur le même jeune homme qu'il avait croisé il n'y a pas longtemps.

— Tiens donc… Qui aurait crû qu'un gamin dans ton genre fasse partie des Enfants Pourpres ?

Itadori haussa des épaules.

— Je ne trouvais pas l'intérêt de t'en informer. Et puis, tu aurais sauté sur l'occasion pour en toucher deux mots à Satoru Gojo, je me trompe ?

Reiketsu cilla ; le garçon avait bien deviné ce qu'il avait derrière la tête. Vaincu, il secoua sa tête :

— C'est quoi la mission ?

— Nous allons passer à l'étape supérieure, maintenant que tu as rejoins nos rangs, surtout sachant que tu as déjà accompli ta première mission.

— Quoi ? (l'exorciste se tourna vivement) Vous aviez déjà préparé vos combines ?

— Les plans mortels s'étendent sur des années. Nous ? Notre Père de la Terreur a un regard porté sur l'éternité.

Reiketsu pouffa, s'attirant un regard atrabilaire de la part du jeune homme aux cheveux roses. Mais la moquerie n'était qu'une façade pour cacher son angoisse ; savoir qu'un être extraplanaire avait projeté ses machinations depuis des temps immémoriaux, c'était plus effrayant que d'affronter un classe spécial sans énergie occulte.

Il observa un instant Itadori, dans l'attente d'une explication. L'autre jouait cependant avec sa patience, un sourire au coin des lèvres. Très bien, pensa le châtain. Je vais me prendre au jeu ! Il resta donc là, le silence lui servant de muselière ; contrairement aux apparences, Reiketsu n'aimait pas se donner en spectacle et parler à tout-va.

Au bout d'un moment, il connut sa première victoire face à cet ordre maléfique. Minuscule, certes. Mais chaque édifice commence par une petite pierre.

— Les évènements provoqués par Geto Suguru ont chamboulé le monde nippon de l'exorcisme ; notre saint ordre doit donc faire profil bas en attendant que nos adversaires baissent leurs gardes. Pendant ce laps de temps, tu auras deux missions à accomplir.

— Qui seront ?

Le gamin leva un doigt :

— Primo, tu vas devoir assurer ton poste de professeur à plein temps ; plus de magouilles et de chasses d'esprits mineurs.

— Et j'imagine que je serais votre taupe ?

L'autre lui lança un sourire narquois, avant de lever un deuxième doigt :

— Secundo, tu seras convoqué par un de nos agents dans quelques temps ; officiellement, ce sera un séminaire qui se déroulera à l'étranger. L'officieux te sera révélé en temps voulu.

— Si je refuses, vous tuerez Uyeno ?

— Ha ! Si tu refuses, tu la tueras.

Itadori replia ses deux doigts, serrant son poing. Soudain, un embrasement survint au niveau de la marque, obligeant Reiketsu à s'agenouiller. Avec un rire sardonique, le gamin se pencha vers lui :

— Ce n'est que le début des symptômes ; si je continue, tu seras atteint de fièvres, de maux de têtes atroces, pour finir par perdre la raison. Et là, je pourrais m'introduire dans ta tête.

— Qui… Qui es-tu ? lâcha le déploré entre deux grognements de douleur.

Itadori écarta les bras, et sous les yeux ébahis de Reiketsu, les alentours se figèrent. La lumière parut se distordre et se perdre dans des entrelacements de ténèbres, le ciel se teinta d'un rouge profond et intransigeant. Les oiseaux tombèrent en os blanchâtres et creux, le sol se craquela en hurlements, vomissant des flots acryliques et nauséabonds. Le soleil éclatant se fit sibyllin, son œil dardait un regard vide et noir entouré d'une couronne de feu qui brûlait les yeux de quiconque se trouvait là.

Ensuite, il tourna son regard vers le gamin aux cheveux roses ; il bouillonnait, sa peau ressemblant à une masse de chair ballottée par un rythme séculaire et perturbant, venu d'une plus sombre façon de voir le monde. Son visage se remodela, une boue informe et impure qui n'attendait que la volonté pour façonner une autre tête, plus fine et belle que la précédente. Une face qu'il n'avait jamais oublié, et qu'il n'aurait jamais voulu revoir.

Un homme à la barbe aussi bien taillée que les veines de milliers d'enfants suicidaires, au nez aquilin entre deux yeux d'argent, vifs et perçant, et un sourire parfait qui dessinait des dents plus blanches que la surface de l'os le plus propre. Ce sourire qui s'ouvrit pour laisser s'échapper ces mots :

— Ô, très cher frère, quelle joie de pouvoir te retrouver.

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