Chapitre 22 - Faire le nécessaire
La salle d'audience était magnifique, même pour un ignare comme Reiketsu. Les murs ciselés étaient couverts de miroirs et de tableaux, un feu ronflait dans une cheminée immense et d'énormes lustres en cristal projetaient scintillances et chatoyances. Un table apprêtée scindait l'espace en deux.
À la table bavardaient des inconnus en costume datant du XVIe siècle au moins, enfin d'après les justaucorps, les collants et les longues vestes aux couleurs presque fluo pour les hommes, les robes flottantes, les gants et les coiffes exagérées des femmes. Derrière chacun de ces énergumènes se tenait une personne habillée normalement.
En tout, ils étaient seize. Et parmi eux, il reconnut la femme rousse qui l'avait entraîné dans cette histoire. Elle ne lui jeta aucun regard, pas plus que les personnes debout. Les conversations se turent, et seules les personnes assises se tournèrent vers lui quand il entra dans leur champ de vision.
— Mes Frères, Mes Soeurs… Notre benjamin, annonça Willow avec joie.
— Prenez place, voyons, lui intima un Frère qui avait une coupe au bol et un nez épaté, le teint aussi blafard qu'un mort
Reiketsu s'assit sur une place que le majordome lui avait écarté. Jinpaichi se plaça derrière lui, tout comme les autres silencieux qui regardaient droit devant eux.
— Vous m'êtes familier… (Reiketsu regarda la femme assise devant la rousse, une blonde au visage d'ange avec de grands yeux bleus) Nous sommes nous déjà croisés ?
— Non, je ne crois pas… Je m'en serais souvenu, rétorqua-t-il tant bien que mal dans un anglais approximatif.
— Oh ! Votre accent est a-do-rable !
— Est-on sûr que ce soit lui ? Il m'a l'air un peu faiblard…
Celui qui avait parlé était une armoire à glace, tenant à peine sur sa chaise. Ses mains étaient si grandes qu'elles auraient pu attraper en entier la tête de Reiketsu, et pourtant ils tenaient avec délicatesse un stylo et un calepin. Son visage ressemblait à un bloc de pierre, taillé via sa barbe en rouflaquettes. Il portait un monocle en or, qu'il rajustait en regardant l'exorciste avec un œil mauvais. Toujours dépatouillant par l'anglais, l'intéressé lui répondit :
— Vous vous êtes sûrement perdu ; laissez-moi vous raccompagner à la sortie.
Le géant plissa des yeux, tandis que la blonde riait aux éclats :
— Oh, Albert, on peut dire qu'il t'a bien mouché !
— Je suis persuadé que notre Frère connaît les bonnes manières, élagua l'un des attables, une perche aux cheveux corbeau et aux cernes creusées, l'air lugubre. On aurait dit une araignée quadrupède.
— On les lui apprendra, soupira une grande femme à ses côtés, auburn et couverte de tatouages. Elle posait les pieds sur les tables, ce qui était un peu l'hôpital qui se fichait de la charité.
— A-t-il conscience de ses pouvoirs ? (C'était une petite dame d'âge mûr, brune avec des airs de souriceau dans le visage et la voix) A-t-il déjà communié avec Père ? C'est qu'il est le premier Prince à s'être, disons…
— Mes Frères, Mes Soeurs, calmez-vous ! s'exclama Willow alors que d'autres Princes et Princesses s'apprêtaient à dire quelque chose. Nous devons exprimer notre joie de la venue de notre nouveau Frère au sein de cette confrérie !
Tous se levèrent de leurs chaises, grincements et raclements désunis. Willow intima Reiketsu à faire de même, ce qu'il fit. Une fois tous debout, Willow psalmodia dans une langue incompréhensible :
— Père des Mensonges, Seigneur Pourpre, Souverain des enfers, nous accueillons en notre sein ce Prince désœuvré1
— Nous l'accueillons ! s'écrièrent le reste de la tablée.
Ils joignirent leurs mains – la voisine de Reiketsu prit sa main droite, le voisin sa gauche – et ils tournèrent les yeux vers le plafond avec une expression d'extase sur le visage. Enfin, tous sauf une : la femme rousse. Le jeune homme la voyait baisser les yeux et marmonner la formule entre ses dents. Willow continua :
— Bénis-nous de ton sang, car nous sommes assoiffés. Bénis-nous de ta chair, car nous sommes affamés. Bénis-nous de tes os, car nous sommes désarmés. Bénis-nous de tes yeux, car nous sommes aveugle.
— Car nous sommes aveugles !
— Entends notre appel, et accepte ton Fils parmi nous !
— Entends notre appel !
Tout à coup, Reiketsu ressentit une étrange sensation au creux de sa poitrine. Il baissa les yeux ; une faible lueur rouge traversait ses vêtements. Son regard se leva vers Willow, et il constata avec horreur que son front laissait apparaître une marque similaire, qui luisait. Puis les autres passèrent sous son regard, un à un, leurs marques posées à différents endroits du corps mais toutes pulsant d'une énergie carmin. Quand Reiketsu passa à la rousse, il ne vit aucune lumière… seulement un visage déformé par la jalousie et la honte. Willow s'exclama enfin :
— Ensemble, nous t'offrons son corps !
— Nous te l'offrons !
Cette fois, la sensation se mut en douleur, faisant suffoquer l'exorciste. Son énergie occulte tressauta dans ses veines, et un son se propagea de son cerveau jusqu'à ses os. Un pouvoir l'envahit, mais ce n'était pas de l'énergie occulte.
Une fois que le rituel fut terminé, Willow et ses semblables lâchèrent leurs mains, l'air aussi heureux qu'un enfant recevant un paquet de bonbons. Reiketsu et la rousse haletaient, l'un avec une main sur sa poitrine et l'autre au bord des larmes. L'homme qui accompagnait la rousse, un caucasien au visage impassible, lui mit une main sur l'épaule. Quand à Jinpaichi, il fit de même et se pencha vers Reiketsu :
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Tout va bien ?
— Je vois que ton serviteur est de nature curieuse, remarqua Blonde Rieuse avec un sourire en coin.
— Ce n'est pas mon serviteur, rétorqua Reiketsu. C'est mon ami.
Jinpaichi et Blonde Rieuse eurent l'air troublés, mais la seconde se ressaisit instantanément :
— La manière dont tu traites les animaux de compagnie m'importe peu. L'important, c'est que tu saches que nous t'acceptons dans notre fratrie sororale spéciale… Avec tous les avantages que ça prodigue.
Ils se rassirent. Des serveurs apparurent de toutes part pour apporter victuailles et boissons, transformant la table en un banquet digne des bacchanales. Alors que les hôtes mangeaient à leurs aises, Willow intervint dans l'explication :
— Notre Père est d'humeur badine. Il ait tout ce que l'humain sait créer, et pourtant il adore nous manipuler pour que l'on accomplisse tout ce qui fait d'eux des humains.
— Je vois, remarqua Reiketsu en observant l'opulence ostentatoire du lieu et des hôtes.
— Ne te méprends pas : notre Père est, disons… un peu en « retard » sur le temps. Et il a toujours eu un faible pour la culture européenne.
— À vous entendre, on dirait juste une personne normale.
— Ah ! (Géant Monocle brisa un homard à mains nus, sans projeter une seule goutte) Notre Père a du goût, mais il n'est pas seul comme nous autres, pauvres mono-existences. Le Père des Mensonges est bien plus, bien plus qu'une personne.
C'était l'occasion ou jamais d'en apprendre plus sur ce démon. Avec un peu de chance, je pourrais peut-être trouver un moyen de l'empêcher de toucher à mon monde, espéra Reiketsu, qui demanda au géant :
— Du coup, il est partout. Alors pourquoi il ne peut pas venir en ce monde ?
— À cause de ces connards d'exorcistes, maugréa Tatouée Rude.
Reiketsu tourna la tête vers elle.
— Ils nous salopent le travail, car ils passent leurs vies à exorciser les fléaux.
— Je… ne vois pas le rapport, articula le brun.
— Le rapport, l'interpella Araignée Asperge, c'est que les fléaux sont des sorte de psychopompes (Reiketsu lui demanda d'expliquer à cause de son anglais un peu rouillé) Les psychopompes sont des messagers de la mort. Ils accompagnent les âmes vers les enfers ou les paradis, mais leur rôle est important : ils véhiculent.
— Ne me dites pas que…
— Si.
C'était la première fois que Rousse Marquée parlait. Elle arborait un petit sourire suffisant, et l'exorciste remarqua que les autres Princes et Princesses la regardaient avec un air dégoûté.
— Les fléaux véhiculent des âmes vers d'autres mondes en dévorant, tuant, et notre Père…
Willow se racla la gorge, mais Rousse continua :
—…peut intercepter ce flux et dévorer les âmes des gens. Plus il en consomme, plus il est fort, et plus il est fort…
—…plus il peut fragiliser ce qui le sépare de ce monde, comprit Reiketsu.
Le sourire de Rousse passa du sarcasme au complice, et il se promit d'aller lui parler après le dîner.
Willow attira l'attention de son convive sur les plats préparés aux ingrédients venant des quatre coins du monde, et lui demanda ce qu'il mangeait habituellement. Il répondit honnêtement, puisque de toute manière il n'avait pas grand-chose à cacher. Les questions qu'on lui posait (et même le géant qui ne l'aimait pas) n'étaient jamais embarrassantes ou mystiquo-philosophiques, la soirée se déroula comme une cousinade un peu spéciale.
Une fois le dîner terminé, Willow accompagna Reiketsu jusqu'à ses nouveaux appartements. avant ce dernier ne franchisse la porte, le maître du château le prit le bras.
— Sachez ceci : vous reverrez votre famille humaine. Uyeno, Yanagi, la vieille Tonisuka… vos amis seront aussi saufs.
— Mais pas les humains ? le railla l'exorciste.
— Diantres, bien sûr que si ! (surpris, il daigna à écouter Willow) Qu'aurais-je l'air si mon plan était de priver notre Père de son peuple ?
— Il les mange, dit le brun d'un ton badin.
— Certes, pouffa Willow. Mais c'est seulement parce qu'il souhaite être invité. La chair humaine, les bas instincts… Très peu pour lui !
Il est convaincu, pensa-t-il en riant pour de faux avec lui, que son « Père » est une personne juste et royale. Était-il au courant des circonstances de la mort des parents biologiques de Reiketsu ? Sûrement, mais peut-être pensait-il que les deux étaient des « pécheurs » et que leur fils, touché par la « grâce » de son gentil pappounet, s'était chargé de faire le sale boulot de « purification ». Plus il y pensait, plus il se disait que le Roi Écarlate avait beaucoup en commun avec le dogme monothéiste.
— Je vous souhaite une bonne nuit, finit par dire Willow.
— À vous aussi. Gloire au… euh… Père ?
— C'est bien, vous apprenez vite, sourit le maître du château.
Dès qu'il fut parti, le brun s'enfonça dans sa suite luxueuse… pour se retrouver nez à nez avec Rousse. Son garde du corps avait plaqué Jinpaichi contre un mur, lui faisant une clé de bras. Autour du caucasien, Reiketsu vit une aura d'énergie occulte. Un exorciste ou un maître des fléaux ?
— C'est ici que ça se passe, grinça Rousse en lui montrant deux fauteuils.
Il acquiesça, et allèrent s'asseoir tous deux. D'humeur badine, il dit en japonais :
— C'est marrant, ça me rappelle notre entrevue dans l'entrepôt (il se tourna vers le caucasien) Relâchez-le ou je vous transforme en dynamo sur le champ.
L'homme de main jeta un regard interrogateur à sa maîtresse, qui opina. Il lâcha Jinpaichi, lequel lança un regard haineux vers lui avant de marcher jusqu'à Reiketsu, restant près du brun tel… un animal de compagnie, s'épuisa-t-il à penser.
— Allons-y, bailla-t-il. Je veux être en forme demain.
— Pourquoi ? répliqua Rousse. Les Frères et Soeurs passent leurs vies à attendre, à festoyer, à faire des balades… Rien de bien épuisant.
— Je suis quelqu'un d'assez matinal, et j'aime faire du sport.
— Dommage, parce que Frère Soleil n'apprécie pas qu'on lui fausse compagnie de sitôt. Sans mon intervention ce soir, il vous surveillerait déjà.
— Par des moyens « princiers », j'imagine ? supposa Reiketsu.
— En effet. L'énergie occulte n'est que l'une des nombreuses formes de pouvoir qui peuplent ce monde.
Cette déclaration fut ce qu'il attendait, et l'exorciste se pencha :
— Combien ça me coûtera pour que vous m'expliquiez comment ça fonctionne ?
— Tout dépend du prix que vous êtes prêt à payer pour cela, sourit Rousse.
— Qu'est-ce que vous êtes prête à obtenir ?
Sa réplique désarma Rousse, qui baissa les yeux et serra des poings. Elle marmonna :
— Je veux obtenir le titre de Princesse.
— Ça je le savais déjà. Mais pourquoi le voulez-vous ? (Reiketsu fit un geste large de la main en montrant la chambre) Vous cherchez leur soutien ? Leur approbation ? Vous n'avez ni l'air d'être appréciée, ni l'air de les apprécier vous-même. Donc il y a une autre raison…
— Je ne suis pas obligée de vous le dire.
Le ton employé fut si sec que l'air sembla se flétrir. Reiketsu s'adossa sur sa chaise avec une moue de dépit sur le visage, avant de hausser les épaules.
— Très bien. De toute manière, ce ne sont pas mes affaires…
Croyez-le ou non, mais depuis qu'il avait repris le contrôle sur son énergie occulte, il pouvait la distinguer avec une netteté proche de celle des Six Yeux de Satoru. Mais ce n'était pas tellement la texture de l'énergie qu'il parvenait à scanner, c'était surtout le goût : les émotions des gens lui étaient transmises avec plus ou moins de précision, en fonction de leur nature et de leur intensité.
Là, il ressentit une vague de chagrin. Bien que Rousse avait le visage fermé à l'instar de son acolyte, le brun devinait sans peine qu'elle n'était pas aussi pourrie qu'elle souhaitait le faire croire. Et que les affaires de Reiketsu… étaient ses affaires. Qu'est-ce que tu me caches, toi aussi ? se dit-il en se frottant la nuque.
— Du coup, reprit-il, vous souhaitez devenir Princesse. Vous avez une idée ?
— C'est simple : vous me donnez votre sang de votre plein gré.
— C'est tout ? s'étonna-t-il, persuadé qu'il y avait anguille sous roche.
— C'est tout.
— Mais les autres ne vous aiment pas parce que vous n'êtes pas Princesse… Alors pourquoi ne vous ont ils pas offert leur sang ?
— Parce qu'ils aiment être uniques (Reiketsu lui lança un regard entendu, et elle soupira) Bon, si vous promettez de m'aider…
— Je ferais un Serment.
Elle écarquilla des yeux alors qu'il plongeait dans son énergie et la changeait en chaînes imaginaires. Le Serment en question était simple, donc puissant : s'il refusait de l'aider, alors il mourrait. Le Serment se briserait si elle tenterait de lui faire du mal (juste au cas-où…). De toute manière, elle ne demandait que son sang et le laisserait tranquille, alors…
— Vous… vous n'êtes pas sérieux ! souffla Rousse.
— Je le suis, confessa-t-il dans un grognement de douleur alors qu'il sentait les chaînes l'enserrer un instant, puis la sensation disparaître. Avant l'ère Meian, les gens ne juraient que par le Serment ; il est infaillible. Mortel, mais infaillible.
— C'est… Je… Merci.
— Je fais le nécessaire.
Il partit dans la salle de bain à la recherche d'un rasoir, et en trouva un. Il le désinfecta, puis revint dans la pièce. Rousse avait dans la main un petit tube de verre teinté. Reiketsu s'entailla le bout du doigt avec difficulté avant de presser le bout contre le bord du tube. Une goutte, deux puis trois coulèrent dedans. Il retira son doigt, usa d'un peu d'énergie positive pour le régénérer tandis que Rousse refermait le tube et le mit dans sa poche. Le brun fit un signe de tête dans cette direction.
— Vous ne l'utilisez pas ?
— Ce serait trop suspect. Dès que j'aurais avalé votre sang, ça – elle montra son visage défiguré – disparaîtra. Et les autres prétendants comprendront ce que j'ai fais et chercheront à me tuer.
— Très bien. Maintenant, c'est à vous de remplir votre part du marché.
Il s'attendait bien sûr qu'elle le trahisse séance tenante, mais curieusement, elle acquiesça puis commença à expliquer :
— Les Princes et les Princesses ne font partie d'aucune catégorie d'exorciste, de maître des fléaux ou de fléaux tout court. Ils sont différents : leur force vient directement du Père, et via elle, ils peuvent accomplir des miracles – elle montra la fenêtre, où l'on voyait une verdure luxuriante – comme celui-ci. Chaque Prince/sse détient une capacité qui lui est unique, un peu comme une technique héréditaire. Frère Soleil n'a pas choisi son nom par hasard vu qu'il peut manipuler la force solaire à sa guise, la créer ou la faire disparaître.
Elle énuméra les pouvoirs de chacun : Monocle pouvait contrôler les mots, les noms et voyager dans les livres ; Blonde avait la capacité de lire dans les pensées et d'instiller la peur, la joie ou la folie ; Araignée se mouvait entre les ombres et usait d'elles comme d'armes ; Tout ce que Tatouée taguait devenait réel ; Brunette se complaisait dans la maîtrise du corps humain…
— En plus, continua Rousse, chacun d'entre eux peut canaliser le pouvoir de Père et l'utiliser pour des rituels divers et variés.
— Donc ils sont comme des utilisateurs d'Extension du Territoire, mais sur commande et en illimité ?
Elle sourit.
— Pas exactement : la quantité de pouvoir qu'ils possèdent est proportionnelle à la « valeur » que Père leur accorde. Si je devenais Princesse, je ne serais même pas capable d'utiliser mon don.
— Qui est le plus fort de tous ?
— Elle n'est pas ici. Son vrai nom est Judith Mayhem. Ça vous dit quelque chose ?
— La PDG de Time Y ? Vous me faites marcher. Enfin, ça ne m'étonna pas vraiment…
Elle lui lança un regard mauvais et il s'excusa.
— Non. Judith a toujours été la meilleure d'entre nous, car c'est la seule qui peut parler avec Père… et qui l'a convaincu d'asservir la Terre au lieu de la détruire.
— Sympa, comme meuf, ricana Reiketsu, avant de se raviser quand au regard de reproche, qui lui fit dire : Vous la respectez.
— C'est ma sœur… adoptive, certes, mais c'est celle qui m'a introduite dans la Famille. Avant, j'étais une pauvre gosse dans les favelas de Porto Rico. Elle passait par là, et m'a remarqué. Judith ne m'a jamais dit pourquoi moi, ce qu'elle avait vu ce jour-là… Petit à petit, elle m'a initié aux arts de Père, à embrasser la saveur de son pouvoir, à m'entraîner pour devenir une élue…
— C'est assez classique, comme schéma – elle ouvrit la bouche, mais le brun s'empressa d'enchaîner – Une petite gamine sans rêve qui ère, lorsque vous vous dites qu'elle est assez endurcie et solide pour survivre. Vous lui donnez un but, l'entraînez afin qu'elle réussisse au mieux et au pire, elle meurt, ça ne vous regarde pas. Mais elle vous est dévouée, parce qu'elle croit que vous la pensez spéciale…
— Non. Ce n'est pas vrai.
— Les illusions de la vie, je m'y connais, reconnut-il dans un sourire amer. Plus vous pensez que rien ne peut être pire et plus vous êtes vulnérable.
— Qu'est-ce que vous en savez, vous ?! (elle s'était levée, les poings serrés, et son garde avait fait un pas dans sa direction) Vous vous pavanez entre votre rôle de Prince et celui d'exorciste, vous jouez avec le feu parce que ça vous amuse… Vous profitez de votre statut libre pour faire ce qu'il vous chante ! Vous…
—…« n'êtes pas différent des autres Princes » ? (D'un regard, il lui intima de se rasseoir ; le garde l'y aida, et il le remercia avant de croiser ses doigts) Vous êtes vraiment une emmerdeuse de première. Vous pensez que, parce que vous avez connu la souffrance, les autres sont tous plus chanceux que vous ?
— Oui !
— Et bien, je vais vous répondre d'adulte en adulte, même si vous faites la gamine : vous avez tort. Et oui ! Le monde est fait de souffrances et de merdes, tout le monde en vit. Ouais, je suis pas né dans un favelas où la faim et la maladie auraient été mes seules potes. Ouais, je suis pas orphelin parce que… parce que Yanagi m'a élevé, et que j'ai toujours eu des profs qui veillaient sur moi. Ouais, je suis un privilégié par mon sang, ma puissance. Mais vous savez quoi ? J'ai obtenu ça par hasard, comme vous. Moi, j'étais juste un putain de gamin psychopathe qui a buté ses parents à mains nues parce que CES CRÉTINS M'ONT VENDU À TON PUTAIN DE « PÈRE » !!!
Il s'était levé à son tour, mais en beaucoup plus menaçant. Au bout d'un moment, l'entraînement, l'habitude et Jinpaichi qui avait appris à le connaître tempérèrent sa colère. Rousse prit un air contris, et Jinpaichi parla à la place de son acolyte :
— Nous voulons juste détruire cette organisation de l'intérieur, rien d'autre. Comme vous le savez, ils ont ma fille, ils ont sa sœur en otage. Peu importe le camp que vous choisirez, nous nous battrons de l'intérieur.
Rousse cligna des yeux, avant de lâcher d'un ton sec :
— Alors nous n'avons plus rien à nous dire.
Reiketsu acquiesça. Elle se leva et sortit de la pièce, son garde sur ses talons. Lui s'assit sur le lit avec hargne. Pourquoi se sentait-il si désarmé face à cet femme ? Et pourquoi, malgré ses antécédents, son but et sa personnalité exécrable, il avait tout de même envie de lui faire confiance ?
1En Vieux Hébraïque
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