Episode 9
Cerise
Nous sommes réunies au salon, toutes, à l'exception de Faustine. Papa s'est agenouillé près de Nolwenn, installée en tailleur sur le tapis, et inspecte sa blessure au cou. La peau est rougie au-dessus des clavicules. On distingue très nettement les marques laissées par les grandes mains de Faustine. Heureusement qu'Emma et moi sommes arrivées à temps …
Nous rentrions à la villa lorsque le cri aigu de Nolwenn nous a mises en alerte. Impossible de confondre le son de sa voix. Nono fait rarement dans la discrétion et, pour peu qu'un caprice lui tienne à cœur, elle n'hésite pas non plus à en venir aux jérémiades. Néanmoins, parce que ce cri-là semblait déformé par la peur, Emmanuelle et moi avons hâté le pas. Voilà comment nous l'avons trouvée entre les griffes de Faustine, juste à temps.
Faustine n'est pas quelqu'un de mauvais par nature. Au contraire, je crois qu'elle souffre beaucoup. Mais, de mes sœurs, c'est certainement la dernière entre les mains de laquelle je remettrais ma vie. Faust est d'humeur changeante. Généralement, elle se montre plutôt calme, a tendance à errer, à rester plantée dans un coin, à ne prendre la parole qu'en de rares occasions. Mais parfois, inexplicablement, une sorte d'envoûtement s'empare d'elle. Il suffit de lui passer dans le collimateur au mauvais moment pour faire les frais d'une féroce pulsion. Si on lui pose la question, à rebours, elle affirme que ses souvenirs sont intacts ; elle ne parvient pourtant jamais à expliquer son geste.
Pour être honnête, nous avons toutes peur de ce dont Faustine est capable. Ses crises étant imprévisibles et sa constitution plus robuste d'année en année, mes sœurs et moi redoutons de nous retrouver seule en sa présence. En vue de nous rassurer, Papa nous a confié chacune quelques doses des calmants qu'il lui administre depuis toute petite : une sorte de fléchette chargée en somnifère. Il suffit de la lui planter dans la peau, n'importe où, et Faustine s'écroule.
D'après Papa, ça ne fait pas mal, ça inflige tout au plus une légère migraine. En tout cas, l'intéressée ne s'en est jamais plaint. Quand bien même elle ne promène que rarement son corps de nacre et ses cheveux blancs en pagaille aux abords de ma serre, je garde toujours sur moi l'une des précieuses fléchette. Nolwenn est trop distraite pour prendre cette précaution. Heureusement, j'ai endormi Faustine avant qu'elle ne l'étrangle.
Soucieux, Papa ouvre la porte du meuble de Jongzu et en tire le scanner de premiers secours. Il se penche de nouveau sur Nolwenn et dépose la languette de l'appareil sur sa langue. Tout en scrutant l'écran, sur lequel s'affiche le bilan salivaire et respiratoire, il hoche la tête d'un air satisfait. Puis, prenant place dans son fauteuil, un gros siège en cuir disposé devant le foyer, il entreprend d'allumer sa pipe.
— Elle n'a rien, déclare-t-il. Plus de peur que de mal.
Un soupir de soulagement échappe à Luna.
— Ma pauvre petite Nolwenn, s'attendrit-elle.
Joignant le geste à l'émotion, elle se laisse alors glisser de notre sofa pour rejoindre Nolwenn sur le tapis et la consoler d'une étreinte. Assise à côté de moi, ne reste qu'Emmanuelle. Sur le canapé d'en face, un peu plus petit, sont installées Eugénie, bras et jambes croisés, complètement crispée, et Roxane, qui considère la gorge de Nolwenn du coin de l’œil, comme si quelque séquelle risquait encore d'y apparaître. À côté d'elle, recroquevillée sur l'accoudoir, Adoria balance dans le vide une jambe hyperactive.
Pendant plusieurs minutes, nul ne dit mot. C'est finalement Roxane qui rompt le silence, pour poser la question qui brûle les lèvres de tout le monde.
— Qu'est-ce que tu comptes faire, Papa ?
À cette question, notre père paraît surpris. Il inspire une bouffée de fumée d'un air pensif, puis lâche enfin :
— Ce qui s'est produit aujourd'hui est un incident isolé. Ce n'est jamais arrivé avant et je gage que Faustine a compris son erreur. Je ne crois pas qu'elle retentera l'expérience... Dans le doute, nous allons augmenter la dose de ses calmants pour un temps. Ça suffira.
— Ça suffira ? s'exclame Eugénie. Faustine aurait pu tuer Nolwenn. Tu t'en rends compte, quand même ?
— Eugénie, calme-toi, s'il te plaît...
— Pourquoi ? le coupe-t-elle avec cette étincelle rebelle qui germe dans son regard quand elle s'oppose à lui. C'est vrai que Nolwenn peut être énervante, mais de là à essayer de l'assassiner ! On sait tous que Faustine n'est pas claire dans sa tête. Toi aussi, tu le sais ! Alors pourquoi tu ne prends pas les mesures nécessaires ?
— Eugèn' n'a pas tort, appuie Roxane. Tant que c'étaient des crises, des insultes ou des coups, par-ci par-là, ça passait. Mais là, ça devient grave. Si Faustine pète un plomb et s'en prend à quelqu'un d'autre, qu'est-ce que tu feras, Papa ?
Papa se cale dans son fauteuil. Il tire plus puissamment sur sa pipe pour conserver son calme.
— Et si Nolwenn nous expliquait ce qui s'est vraiment passé ? suggère-t-il. Peut-être qu'on y verrait plus clair. Tu veux bien nous dire exactement ce qui est arrivé, Nono ?
La principale intéressée lève la tête. Elle nous regarde, tour à tour, mais demeure silencieuse.
— Je pense que je n'aurais pas envie d'en parler, à sa place, objecte Adoria. Peut-être qu'on devrait lui laisser un peu de temps. Et à Faustine aussi : elle s'expliquera quand elle se sera calmée.
— Je t'en prie, s'exaspère Eugénie, Faustine n'a jamais été capable de nous justifier une seule de ses conduites bizarroïdes depuis qu'elle est petite ! Ce n'est pas demain la veille que ça va changer !
Face au ton qui monte, je me décide à intervenir :
— Et c'est une raison pour ne même pas essayer de lui poser la question ?
— Et si ta question provoquait une nouvelle crise ? s'inquiète Roxane.
— Nolwenn, insiste Emma, tu devrais nous dire ce qui s'est passé, tu sais. Est-ce que tu as dit quelque chose qui aurait pu énerver Faustine ? Est-ce que... qu'est-ce que tu faisais dans les bois, d'ailleurs ?
— On s'en fiche de ce qu'elle faisait là ! s'emporte Eugénie.
— Tu essayes d'esquiver la question, Eugénie ? résiste Emmanuelle. Tu es au courant de quelque chose, par hasard ? Ou alors tu as quelque chose à te reprocher ?
Un silence pesant s'installe.
— C'est vrai, confesse Eugénie en remontant ses lunettes sur son nez. Nolwenn est venue m'embêter pendant que je travaillais dans la maison. Elle a dit qu'il y avait quelqu'un dans la serre. J'ai pensé que c'était Cerise, alors je lui ai dit d'aller voir par elle-même. Et puis je l'ai vue détaler dans les bois. Je n'ai pas cherché à comprendre.
— Nono, interroge encore Emmanuelle, c'est vrai, ce que dit Eugénie ?
— C'est vrai, approuve Nolwenn en hochant la tête. Quand je suis revenue du port, il y avait quelqu'un dans la serre. Ce n'était pas Cerise ; elle avait les cheveux plus clairs et plus lisses. Je l'ai dit à Eugénie mais elle n'a pas voulu me croire. Et quand j'ai été vérifier, ce quelqu'un partait en courant vers la forêt. Alors, j'ai couru aussi. Et j'ai fini par tomber sur Faustine. Elle avait blessé un oiseau avec son arc. Je n'ai rien dit de mal, je le jure ! J'ai écouté ce qu'elle m'a dit, et puis... Elle a dit des choses bizarres sur la mort, et tout ça. Et après elle a commencé à me faire mal. C'était peut-être juste une mauvaise blague...
— Peut-être, oui, convient notre père, sans avoir l'air plus convaincu que nous autres.
— Tu sais très bien que non, proteste Eugénie. Il faut être clair une fois pour toute : Faustine est folle à lier et elle a besoin de se faire soigner. Pour elle comme pour nous, la meilleure solution, ce serait de la faire placer.
À ce moment précis, le visage de Luna s'obscurcit. Elle se redresse tout d'un coup, comme l'un de ces clowns sur ressort qui jaillissent des boîtes à musique, et se tient droite face à Eugénie.
— Je te préviens, dit-elle, jamais Faustine n'ira à l'asile. Ce dont elle a besoin, c'est d'une famille qui l'entoure, qui la soutient, qui fait l'effort de la comprendre. Sûrement pas d'une fratrie qui l'abandonne aux mains des médecins. Ma sœur n'est pas un rat de laboratoire. Tu te débines si tu veux. Moi je serai là pour elle, quitte à être la seule. Si vous vous avisez de la coller chez les fous, j'irai l'en sortir moi-même. Après tout, nous sommes majeures.
Cette vérité-là a raison du faible sourire que Papa s'efforçait de conserver. Il aimerait que nous vivions sur cette île, tous ensemble, à jamais. Aucune de nous n'est pressée de prendre le large, moi la première, exceptée Adoria qui le tanne depuis des mois pour s'inscrire à l'Académie, dans une équipe de sport. La seule idée que Faustine ou Luna puissent s'éloigner le fait sortir de ses gonds.
— Le débat est clos, tranche-t-il d'une voix chevrotante. Faustine n'ira nulle part. On ajustera son traitement, c'est promis. Mais il est hors de question de la droguer jusqu'à la rendre amorphe. Et il est hors de question de l'abandonner dans n'importe quel institut.
Il repose sa pipe. Nous restons silencieuses autour de lui, comme petites nous attendions pieusement, ici même, qu'il nous fasse la lecture avant l'heure du coucher. À cela près qu'aujourd'hui nous avons l'âge adulte ; qu'Adoria guette la pendule, impatiente de retrouver ses amis ; que Roxane s'inspecte les ongles en nous oubliant presque ; que Faustine manque à l'appel ; et que le silence dure. Eugénie esquisse bien un bref mouvement des lèvres, de nouveau prête à contester, mais se ravise.
Au bout de plusieurs longues minutes, tous les regards convergent vers le hall d'entrée, où sont entreposés les colis réceptionnés plus tôt. Elles sont toujours tapies quelques part en mes sœurs, ces enfants avides de cadeaux. Papa pense qu'en nous gâtant, il nous gardera soudées sous sa coupe bienveillante. Peut-être a-t-il raison.
— Et si vous ouvriez vos colis ? propose-t-il, comme s'il avait lu nos pensées. Ça fait combien de temps, qu'on n'a pas fait la course ? Allez, tout le monde sur la ligne de départ ! Et à l'attaque !
À ces mots, mes sœurs bondissent de leur place, Nolwenn en tête de file, soudain revigorée, et se bousculent vers l'entrée. Dans le joyeux vacarme habituel, chacune déballe ce qu'elle a commandé. Moi qui ne me suis rien fait livrer, je reste assise dans le salon et les regarde de loin se réjouir de leurs cadeaux. Leur simple plaisir me contamine.
Nolwenn pousse l'un de ses fameux cris de joie en arrachant le paquet d'emballage d'un nouveau jeu vidéo. Roxane se retire à l'écart pour ouvrir un gros carton, dont elle tire bientôt la fameuse caméra avec laquelle elle nous rebat les oreilles depuis plusieurs semaines. Pendant ce temps, dans le hall, Luna déplie une superbe robe à bustier. Le corsage et ses lacets sont tout en cuir et la jupe, une véritable cascade de dentelles, est coupée de manière asymétrique : courte devant et longue derrière. C'est assurément la robe qui manquait à sa garde-robe.
Eugénie bouscule tout le monde pour se frayer un chemin, les bras chargés d'une grosse caisse. On entend la verrerie qui s'entrechoque à l'intérieur. Mais nous n'aurons pas l'occasion de savoir quels objets viendront compléter son petit laboratoire, cette fois. Déjà, elle monte s'enfermer dans sa chambre.
Adoria revient vers le salon et tire de son étui un long sabre fin à la pointe arrondie.
— Cette année, j'me mets à l'escrime ! claironne-t-elle.
J'applaudis. Et, alors qu'Adoria commence à battre l'air de son épée pour amuser la galerie, Emma se rassoit dans le sofa à mes côtés, sa pile de nouveaux livres sur les genoux. J'y jette un bref coup d’œil. Elle s'est procuré quelques mémoires d'historiens locaux et une demi-douzaine de romans de Garo Sansley. Dernièrement, cet auteur de polars est devenu la pièce maîtresse de sa bibliothèque.
— Quelqu'un vient m'aider à ranger les provisions dans la réserve ? lance Papa depuis l'entrée.
Toujours exaltée à l'idée d'aller à la cave, Nolwenn se lève et se porte aussitôt volontaire. Emma et moi nous regardons mutuellement et, de conserve, nous nous levons pour leur prêter main forte.
Les provisions doivent nous servir à subsister un mois entier, jusqu'à ce que le bateau revienne sur l'île. Le stock est généralement prévu pour que nous tenions un peu plus longtemps, au cas où une tempête se déclarerait et retarderait la livraison suivante.
Nous soulevons les caisses et passons la porte de la réserve, découpée dans le mur du fond du hall d'entrée. La réserve est une grande pièce située sous la maison. On y accède par un escalier de ferraille un peu étroit, mais dont la rambarde est suffisamment haute pour prévenir quelque accident. Cinq rangées d'étagères se distinguent, en bas. Les provisions y sont soigneusement triées et on a pris l'habitude de parler de rayons, comme s'il s'agissait de notre petit supermarché. Les étagères sont hautes et, pour faciliter l'accès, nous disposons de deux escabeaux à roulettes.
Nolwenn insiste pour monter dessus. Papa pousse l'échelle tandis que je les suis, une caisse dans les bras, pour tendre à Nolwenn tout ce qu'il y a à ranger. Pendant ce temps, Emmanuelle se charge des étagères du bas. En moins d'une heure, chaque chose est à sa place. Négligemment entreposés dans la grande chambre froide, seuls les produits frais restent encore à mettre en ordre.
— Allez-y, nous dit-il, je vais finir tout seul.
Nous ne nous faisons pas prier.
Lorsque nous remontons au rez-de-chaussée, la villa est calme. Roxane et Luna discutent dans le salon. Nulle autre personne en vue. Profitant que nous soyons à l'écart, Emmanuelle se tourne vers Nolwenn.
— Dis, l'interroge-t-elle, c'était bien Faustine dans la serre, tout à l'heure ?
— Je crois, répond Nolwenn.
— Pourquoi Eugénie ne voulait pas que tu en parles ? Elle n'a rien fait de mal, après tout. Elle ne pouvait pas savoir ce qui allait t'arriver.
— Peut-être qu'elle s'est sentie coupable, hasardé-je.
Nolwenn se met à bredouiller.
— C'est que... Elle...
— Quoi ? insiste Emmanuelle. Il s'est passé quelque chose ?
— Je n'ai pas le droit d'en parler.
— On ne dira rien, je la rassure. C'est promis, Nolwenn.
— Quand je suis rentrée, raconte-t-elle, j'ai vu quelqu'un dans la serre. Ses cheveux étaient clairs, j'ai pas pensé que ça pouvait être Faust. Je savais qu'Eugénie était dans la maison, alors je suis venue la prévenir. Mais je l'ai pas trouvée. La porte du laboratoire était entrouverte alors... J'ai juste passé la tête à l'intérieur pour être sûre. Je ne voulais pas déranger. J'étais juste paniquée. Et Eugén' était là, dans le labo. Elle est sortie en vitesse et m'a fait promettre de ne pas la dénoncer.
— Le laboratoire ? s'étonne Emmanuelle. Mais le code. Comment a-t-elle...
— Je ne sais pas, dit Nolwenn. Elle ne voulait pas en parler. Elle m'a renvoyée dehors. Et après, vous savez ce qui s'est passé.
— Je vois...
Nolwenn, qui estime visiblement que la conversation a assez duré, se dirige vers le salon.
— Elle est où Adoria ? On devait jouer à Métamutants...
— Elle vient de partir à la plage, l'informe Luna.
— Personne ne veut jamais jouer avec moi !
Nolwenn s'en va bouder dans le fauteuil de Papa, son jeu vidéo à la main. Mais aucune d'entre nous ne cède. Emmanuelle et moi nous asseyons dans le sofa, face à Luna et Roxane. Elles poursuivent leur conversation sans se soucier de nous. Emmanuelle adore écouter les discussions des autres. Moi, je préfère ne pas les interrompre. Alors que ma sœur fait semblant de lire, je me tourne vers Nolwenn et lui promets qu'Adoria jouera avec elle à son retour. Malgré tout, je garde l'oreille tendue vers la conversation voisine.
— Quand Adoria lui aura parlé, assure Roxane, il se trouvera face à l'évidence ; il verra que j'étais là tout ce temps et qu'il avait juste trop peur pour m'aborder. Mais Adoria l'aura rassuré sur mes sentiments, alors il fera le premier pas.
— Ne t'emballe pas trop, rétorque Luna d'un air détaché.
— Comment je suis censée ne pas m'emballer ? Je vais sortir avec le plus beau type du monde ! Sérieusement, Luna, tu as déjà vu un garçon plus séduisant que Ray ?
À cet instant, Emmanuelle lève la tête de son livre et coupe court à leur conversation :
— Tu perds ton temps, Roxie : Luna est lesbienne.
Cette dernière tourne vivement la tête vers nous et fusille Emma du regard.
— Et peut-on savoir d'où tu tires cette conclusion ?
— Tu as lu Sappho.
— Et alors ? Ce ne sont que des vers. Ça ne détermine en rien mon orientation sexuelle.
— Mais tu n'as jamais trouvé un garçon mignon, remarque Roxane.
— L'amour ne se range pas dans une boîte, se défend Luna. Je n'ai jamais été amoureuse de personne, homme ou femme. Mais quand je le serai, peu m'importera de qui il s'agit, pour peu que ses mots touchent mon cœur. Je veux connaître la passion, soit-elle destructrice.
— Elle est lesbienne, soutient Emmanuelle.
Luna lève les yeux au ciel. Elle clôt le sujet :
— Tout ça pour dire que ta grande histoire d'amour avec Ray n'existe que dans ta tête, Roxane. Je te souhaite vraiment d'être heureuse, mais quoi qu'Adoria dise, ça ne changera rien au cœur de Ray. Et s'il aime quelqu'un d'autre...
Elle se tait.
— Qui ça ? s'inquiète Roxane. Qui veux-tu qu'il aime d'autre ?
Luna se lève et quitte la pièce en silence. Roxane ne prend pas la peine de la poursuivre. Tout comme nous, elle sait que, même sous la torture, Luna ne parlerait pas. Emmanuelle a essayé à d'assez nombreuses reprises de lui soutirer des informations ; sans succès.
— Je vais aller me remettre un peu de mascara, juste au cas où.
Forte de cette initiative, Roxane regagne sa chambre. Alors qu'elle a gravi la moitié de l'escalier, Faustine apparaît en haut des marches. Toutes deux se croisent sans un regard.
Arrivée en bas, Faustine attrape une pomme dans la corbeille de fruits et croque dedans à pleines dents. Elle s'avance lentement vers le salon. Emmanuelle fait mine de se replonger dans la lecture de Sansley. Apparemment remise de son agression, mais incapable de digérer notre refus de jouer avec elle, Nolwenn fixe l'horloge en balançant sa moue boudeuse au rythme des aiguilles.
Faustine se fait une place dans le canapé, entre Emmanuelle et moi. Le regard dans le vide, elle continue de dévorer sa pomme. Je la considère avec perplexité.
— On va me coller dans un centre pour zinzins ? demande-t-elle.
Je passe ma main derrière sa tête et l'attire contre la mienne.
— Non, dis-je à voix basse, tu restes ici avec nous. Tu devrais présenter des excuses à Nono ; tu lui as fait peur.
— Je m'excuse, lâche-t-elle sans réfléchir.
Je suis presque sûre que Faustine ne se sent pas désolée. En un sens, je crois qu'elle ne comprend même pas ce qu'on a à lui reprocher.
— C'est pas grave, convient Nolwenn. C'était qu'un jeu, non ? Mais ne le refais plus.
Après quoi, elle saute du fauteuil et commence à faire les cent pas dans le hall. Je suppose qu'elle attend le retour d'Adoria. Je me tourne vers Faustine.
— Tu sais, lui dis-je, tu as le droit d'aller dans la serre, tant que tu ne déranges rien. Pas la peine de t'enfuir. Tu n'as rien dérangé, n'est-ce pas ?
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
Faustine ferme les yeux et laisse tomber au sol son trognon. À cet instant, un sentiment étrange m'envahit. Je me sens incapable, malgré ma volonté d'arranger les choses. Je me sens impuissante.
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