Episode 65
Adoria
Je saisis notre plateau sur le tapis roulant. Je distribue les commandes.
— Eh un cocktail de fruits pour toi Emma ! Un autre pour Risette ! Cette énorme coupe de glace... Nono, j'imagine ? Luna, ton thé. C'est bon Faust, vas-y mollo ! Ça vient. Mais c'est quoi cette horreur ?
Ma sœur m'arrache des mains son étrange mixture à base d’œufs de poisson. Je ravale une grimace. Le soda est pour moi, les deux cafés restants pour Eugèn' et Dolorès. La copine de Nolwenn envoie franchement du lourd. Je me demande ce qu'elle vaudrait sur un rixe contre Diggy, athlétique comme elle est.
— Eh, Dolorès ! T'es bonne à quoi comme sport ? J'voudrais bien qu'on se mesure.
— Pfff, souffle Faustine, elle te mettrait direct une raclée. Dis plutôt à ton garde du corps de me cogner moi, Nolwenn. Tu seras fixée.
— C'est quoi ça ? L'épreuve du feu ? nous taquine l'invitée avant d'avaler une gorgée de caféine. Si tu tiens tant que ça à m'affronter, je te laisse le choix : origamis, mikado ou château de sable. La violence, c'est pas mon truc.
Le sourire malicieux de Luna émerge de sa tasse fumante. Elle lance une raillerie qui m'échappe :
— Circé aussi, dit-on, répugnait la violence.
Comme Dolorès non plus, à ce qu'on dirait, ne capte pas, mon indéchiffrable sœur met de l'eau dans son vin.
— Tu aimes les animaux ?
— Ça vaut mieux, rit Dolo, oubliant le quiproquo. Alors, dites-moi, qui est quoi ? Toi, tu dois être Luna, le vampire de la bande. C'est toujours une énigme quand tes sœurs parlent de toi ; je comprends mieux pourquoi.
Les bavardages vont bon train. Elle tente de deviner ce que cachent nos génomes, qui de nous est l'insecte, qui d'autre est le poisson, d'après ce que Nolwenn et Cerise ont pu lui révéler. Dolorès ne se trompe pas. Emmanuelle doit se dire qu'elle a le bagage d'une profileuse. C'est peut-être l'armée...
Dolorès me plaît bien. Elle a la tête sur les épaules et de l'énergie à revendre. Nono a l'air heureuse ; rien à voir avec la gamine geignarde que nous avons laissée sur l'île. Je ne dirais pas qu'elle a changé, juste qu'elle a trouvé sa propre motivation.
Moi, je manque d'enthousiasme. Ce petit jeu de devinettes, il me rappelle surtout qu'on n'est pas au complet. Les huit chaises sont prises mais quelqu'un est absent. Roxane figurait bien en copie dans le message d'Emma. Oui, mais elle n'est pas là. J'aurais bien voulu croire qu'elle ne manquerait pas ça ; que, même très occupée par ses rêves ou sa nouvelle vie, elle serait avec nous le jour des retrouvailles. À quoi je m'attendais ? Je ne devrais pas être déçue. Et pourtant je le suis.
Dolorès pointe Faustine du doigt.
— Toi, la sanguine, tu dois être le bélier.
Je tressaute :
— Un bélier ?
— Y a jamais eu de bélier, gamberge Nolwenn.
J'aimerais bien comprendre pourquoi Faustine jubile.
— C'est vrai ça, Dolorès. Y a jamais eu de bélier !
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