74.3
Sur le trajet du retour, je fais halte devant la bicoque boisée où les tentures, ternies, croulent sous le poids de la pluie qui les a imbibées. Je n'ai plus revu Lust, depuis le jour où elle m'a révélé son nom véritable. Je n'ai cessé de me présenter, encore et encore, à la porte de sa boutique. Néanmoins, le battant qui la première fois m'avait invitée de lui-même est demeuré clos. Ainsi mon mentor s'est volatilisé sans la moindre explication, la moindre directive. Je m'en inquiète, davantage que je m'en étonne. Elle qui m'enseignait son art, elle qui rêvait de me voir lui succéder, comment aurait-elle pu mettre les voiles sans aucune cérémonie, sans même un au-revoir ? Jour après jour, j'attends que Livia Flaminio me fasse signe, que son aura me télescope dans l'autre plan du monde. Aucun grelot ne tinte plus. Le cocon chaleureux de la glaise étouffante refuse de me happer à nouveau. Aussi brièvement que j'aie pu la connaître, l'absence de la voyante laisse en moi un vide abyssal.
Parvenue à la porte, je répète le geste qui, au gré de mes escapades urbaines, se fige en une triste coutume : je claque le heurtoir et guette un signe de vie. À mon désespoir, seul le silence me toise. Ainsi, une fois de plus, je regagne penaude le cuir ferme de mon fiacre. J'enfonce mes oreillettes – un joli modèle surmonté de crânes d'onyx que m'a offert Roxane autrefois. À cette époque, quoi que je les appréciais, ses présents me semblaient superflus. Elle me gâtait chaque fois que je me dénonçais pour l'une ou l'autre de ses dépenses compulsives. Désormais, je regrette cette sorte de complicité matérialiste par laquelle nous tissions, sans nous en rendre compte, des liens indéfectibles.
À mes sonars sensibles, le volume le plus bas sonne déjà comme un ampli du Colisée. Si je ferme les yeux, mes songes me téléportent sur-le-champ dans les gradins, parmi la foule d'admirateurs qui balancent en chœur leurs holos enflammés. Telle une tornade humaine, Yelena tourbillonne sur la scène circulaire. Son chant déchaîné déferle sur mes entrailles.
...a vie est ton fardeau !
Le phare est dans ton dos, lueur inaccessible.
La vie est un cadeau, c'est c'que prétend ta Bible.
Et puisque l'on existe par la seule grâce de Dieu
Comment pourrait-on, lui, le nommer « odieux » ?
L'arbre de la connaissance est pollué par la connerie,
La soif des peuples étanchée par son fruit pourri.
Le ver qui ronge nos âmes a travesti nos émotions,
L'étonnement des anciens piétiné par la révulsion.
La paix engendre la peine.
L'amour devient la haine
Et nous les hommes des bêtes
Sans têtes qui s'entêtent !
— Qu'écoutes-tu, Loony ?
La voix rieuse d'Hazel m'atteint, comme elle s'empare de l'une des oreillettes. Avant qu'elle n'ait le temps de l'enfiler, mon pouce, par réflexe, coupe le son sur l'holopad.
— Rien de spécial. Rien qui égale ton violon.
En un sens, je ne mens pas. Peu de choses me réjouissent autant que les notes d'Hazel, fussent-elles fausses parfois. Une passion viscérale se saisit d'elle, lorsqu'elle joue de son archet, et toute sa pâleur s'embrase – tout comme mon cœur contraint. Par égard, mon amie ramasse docilement l'instrument, posé dans un coin du salon, et entreprend de l'accorder. Comble du ridicule, je me surprends dès lors à jalouser le violon.
Tandis qu'elle ajuste les chevilles et visse les tendeurs, ma jeune employeuse penche légèrement la tête et tend un regard curieux vers l'ouvrage que je lis, recroquevillée, pieds nus, ma jupe chiffonnée, dans l'un des fauteuils de son solarium. Les torrents qui pleuvent contre les murs vitrés m'engageraient plus volontiers à renommer cette pièce – lacrimarium : musée des pleurs contenus où le seul le stradivarius peut sangloter à souhait.
— J'imagine que tu ne lis rien de spécial, se moque-t-elle gaiement. En tout cas, rien qui n'égalerait ma conversation.
Je souris à ses mots, referme ma lecture sur la console nacrée et me redresse sur l'assise pour contempler Hazel, davantage que je ne l'écoute, lorsque sa main gracieuse invite les cordes à chanter pour moi. Tout en jouant, ses pieds frêles esquissent une valse qui la porte jusqu'au petit salon. Je lui emboîte le pas, sans chercher à la dérober au cavalier frotté qu'elle tient contre son sein. Je m'installe plutôt au piano, préférant à l'étreindre accompagner ses croches. J'ignore la partition. Il me suffit toutefois de déployer mes talents pour deviner les notes avant qu'elle ne les joue. L'idée très symbolique que nous nous accordons m'inflige une grimace que je m'empresse d'enfouir, tête baissée, sous mes cheveux défaits. Bonheur et désespoir se mordent sur mon visage, y étirent férocement un sourire dont la franchise n'a d'égale que la fragilité, tout prêt à s'effondrer. À l'écart du lacrimorium, mes yeux peinent à contenir des gouttelettes qui m'échappent, où je ne saisis plus quelle émotion s'écoule. La note finale tremble sous l'archet d'Hazel qui se pose auprès de moi.
— Quelque chose t'attriste ?
— Je suis désespérément heureuse, sangloté-je.
— Voilà qui me paraît contradictoire.
— C'est très logique, en fait. Trop logique, sans doute, pour une âme de ma trempe.
— Je n'ai pas rêvé, tout à l'heure ? C'est bien la notice de Mindy que tu lisais assidûment ?
Je me lève vivement et, d'un bref aller-retour, récupère l'épais feuillet. Revenue au salon, je prends place, jambes croisées, sur la broderie molletonnée du canapé belle-époque.
— L'as-tu déjà lue, Zelos ?
— Si on peut dire. Dans les grandes lignes.
— Sais-tu que les robots répondent à trois codes ? demandé-je en dépliant le manuel.
— Parle-t-on de la notice ou d'Asimov ?
— C'est de Mindy que l'on parle. Il existe trois codes. Trois mots-d'arrêt Le premier est un numéro de série numérique, attribué à chaque unité à la fabrication. Le second est le mot-de-passe du propriétaire. Murmurés à l'oreille d'un robot, tous deux permettent d'en forcer l'arrêt, d'interrompre toute action de sa part. Sais-tu ce quel est le dernier ?
— Le fameux mot-d'arrêt-fatal ? On raconte que seuls les fabricants le connaissent. Mais il s'agit d'une légende urbaine, n'est-ce pas ?
— Non, il existe bel et bien. Si on le murmure à l'oreille d'un robot, alors il s'autodétruit sur-le-champ. Sa conscience, je veux dire, ou ce qui s'y apparente. C'est comme ça que l'on soigne les androïdes défectueux.
— J'ai peur de ne pas saisir où tout cela doit nous mener.
— Si nous passions à table ? J'ai une faim de loup... J'imagine que tu vas vouloir te coucher tôt, après tes rendez-vous de la journée. Comment va le docteur ?
Sans interrompre la conversation, j'ai quitté mon assise et entamé de dresser la table. Prévenue par la sonnette d'appel, Mindy nous apporte le chariot du repas. L'androïde sert Hazel en potage tandis que je me découpe une copieuse pièce de viande.
Je profite comme souvent du dîner pour m'enquérir vaguement de la santé d'Hazel dont, à la vérité, j'ignore quel sont les maux. Je sais seulement que d'incessantes migraines et de fréquents vertiges entravent son quotidien, que le bon docteur Dobble lui a prescrit encore davantage de repos et toujours plus d'isolement. Je prends garde à rester à ma place, à ne pas faire montre trop ostensiblement de ma méfiance à l'encontre de ceux qui, soi-disant, soignent mon employeuse. Je songe néanmoins que, si quelqu'un risquait de compromettre quelque complot autour d'Hazel, ce pourrait être moi. Si elle avait des ennemis, ils chercheraient d'abord à m'éloigner, par n'importe quel moyen – comme le fait le docteur qui l'ausculte si longuement, sans résultats flagrants.
— Mindy, hélé-je. Reste-t-il du thé ? Je prendrais bien une tasse, pour la digestion.
— Il se fait tard, remarque Hazel. Tu risques de faire une insomnie.
Déjà l'androïde ouvre son caisson ventral et en extrait la bouilloire intégrée. J'approche ma tasse, aussitôt inondée du breuvage fumant. Hazel, quant à elle, décline poliment.
— Dis moi, Hazel, quel est le mot-d'ordre de Mindy ?
— Évanescence.
Comme je hausse un sourcil circonspect, elle s'explique :
— C'est un mot qu'on ne prononce presque jamais. Ab initio, je voulais que ce soit Vanessa, comme ma mère. Elle non plus, on ne prononce presque jamais son nom. Mais j'ai redouté qu'un jour on puisse me demander le code et juger mon choix fort inapproprié. Toute l'ironie de la chose, c'est que la question vient de toi, et qu'à toi je te confie cette idée première, au risque que tu me trouves glauque, ingrate, ou que sais-je de pire.
— Les gens utilisent naturellement des mots-de-passe qui leur tiennent à cœur. C'était le moyen pour toi de contourner un tabou, de rendre son nom prononçable à nouveau. Qu'aurais-je là à juger ? Ça m'attriste plus qu'autre chose que tu y aies renoncé.
Des larmes timides affluent à la surface givrée de ses iris cristallins. Alors qu'elle cède à l'émotion, je me penche vers Mindy, demeurée au garde-à-vous entre nous, disposée à répondre à la moindre demande.
— Évanescence, lui glissé-je à l'oreille.
Ainsi s'éteint-elle. Faute de comprendre mon geste, Hazel me dévisage.
— Le thé, lui indiqué-je. Je crois qu'il est empoisonné. Quelqu'un qui te veut du mal aurait pu se servir de Mindy, de sa bouilloire interne, pour le contaminer. D'où tes migraines, tes vertiges qui persistent. Ça ne m'étonnerait même pas que ce soit ton cher docteur, celui qui lorgne sur toi en permanence avec ses yeux de pervers.
— Je suis sincèrement touchée que tu t'inquiètes pour moi, Loony. Cependant je t'assure que personne ne me veut du mal.
— En es-tu bien certaine ? Tu as eu vent de l'incident d'aujourd'hui ? Ces gens, Fate, on dirait bien qu'ils ont entendu tes prières. Était-ce le genre de Grands Jardiniers dont tu rêvais ? En tout cas, il semble qu'ils exècrent nos dirigeants. En tant qu'héritière, cela fait de toi une cible.
D'un geste tendre, sa main presse mes doigts, crispés sur l'anse de ma tasse. Ses larmes se sont figées, gelées sur les lacs pâles qui jamais ne débordent.
— Loony, sourit-elle. Je t'assure que je ne crains rien. Certes, Fate n'est pas le Grand Jardinier que j'espérais ; ils sont bien trop extrêmes. Cela dit, je ne m'inquiète pas. Je n'ai rien à me reprocher. Mis à part deux ou trois bricoles. Vraiment rien d'offensant. Fate ne perdrait pas son temps avec quelqu'un d'aussi insignifiant que moi.
— Dans ce cas, comment expliques-tu que cet après-midi même, j'ai pu être empoisonnée à bord de ton fiacre ?
Hazel blêmit, interdite, sans qu'aucune parole n'arrive à s'extirper de ses lèvres entrouvertes.
— À présent, tu comprends mon inquiétude. Je suis ta dame de compagnie, ton amie et bien plus encore. Je ne laisserais personne te mettre en danger, Hazel. Alors, si c'est l'unique moyen d'en avoir le cœur net, je vais boire cette tasse. Je vais la boire tout entière. Nous verrons bien si j'y survis. Si tu as de l'eau-de-charbon ou un remède-miracle de ton cher docteur, c'est le moment de les sortir. Et si je devais y rester, il faudra que tu utilises le mot-d'arrêt-fatal. Le mot-de-passe est...
— Luna, écoute-moi ! C'est un malheureux malentendu. Je suis vraiment désolée que tu te sois retrouvée impliquée là-dedans. Je n'ai pas pensé au thé en te prêtant le fiacre... La vérité, c'est que c'est moi qui l'ai préparé, pour moi, et j'y ai délibérément ajouté du poison. Non, ne dis rien. J'imagine que tu ne comprends pas. Ou bien, tu crois comprendre, et tu ferais fausse route. J'ai toujours été malade, tu sais, toute ma vie, et personne n'a jamais su m'expliquer de quoi je souffrais. S'il te plaît, laisse-moi finir. Contrairement à ce que tu peux imaginer, je n'ai pas l'intention de mettre fin à mes jours. Pas pour l'instant, du moins. Pas comme ça. Certains poisons ont aussi des vertus. Certains m'apaisent, me font me sentir mieux. J'en verse dans mon thé de temps à autre. Très peu, rien qui puisse être mortel.
La stupeur a changé de camp. C'est moi désormais qui demeure sans voix.
— Je suis sincèrement navrée, Loony. Je n'ai jamais eu l'intention de t'intoxiquer.
D'innombrables voies s'étendent, vers des avenirs tous plus incertains les uns que les autres. Laquelle dois-je emprunter ? En lui tenant rancœur, j'ébranle l'amitié qui lui est si précieuse et elle sombre dans la désolation. En la grondant, j'éveille sa méfiance et elle n'ose plus me dire les tourments qui lui pèsent, jusqu'au jour où, en secret, elle s'administre un breuvage fatal. Toutefois, si je lui pardonne sans condition, non seulement de m'avoir porté atteinte mais, en outre, de se faucher elle-même, gorgée après gorgée, alors je me rends responsable de cette lente agonie. Cela, je m'y refuse. Je n'ai pas grand-chose au monde. Malgré elle peut-être, Hazel fait partie du peu auquel je tient. Aussi je ne puis me résoudre à l'abandonner, que ce soit aux poisons ou à sa solitude.
Dès lors que j'ai pesé le pour et le contre, j'opte pour la seule voie dont nous pourrions triompher, main dans la main, abreuvées des mêmes vices. Je porte la tasse à ma bouche et, tandis qu'Hazel se précipite pour m'arrêter, j'avale le thé d'un trait.
Au-dessus de ma tête, sur les brocarts plissés du baldaquin d'Hazel, une jungle se dessine, peuplée de mille oiseaux, de fauves et de reptiles. Certains n'existent pas. Ils ne sont que les chimères des colons qui, fraîchement débarqués, fantasmaient cette faune exotique. Tissées d'un vert profond, les plantes tentaculaires dissimulent en partie les bêtes, toutes dorées, que mes yeux vagabonds s'amusent à deviner.
Allongée auprès de moi et simplement vêtue de son peignoir blanc, Hazel guette les premiers signes de mon empoisonnement. Après m'avoir guidée jusqu'à sa couche, elle a déposé une bassine au pied du lit. J'ai refusé de m'y faire vomir, comme elle m'en suppliait. Elle n'a eu d'autre choix que de veiller sur moi.
Sa main frêle s'aventure le long de ma nuque, jusque derrière mon crâne. Elle s'y niche simplement, sans chercher à m'attiser. Du bout des doigts et par intermittence, Hazel me rappelle sa présence protectrice. Elle n'est qu'une moiteur fraîche blottie contre mes songes, platonique et dévouée. Si je devais périr dans les heures qui suivront, je serais rassurée de m'éteindre dans ses bras ; dans ce semblant d'étreinte qui, par sa seule réserve, atteste de son égard. Mais mon heure n'est pas venue. Mon fil de vie prospère sous une bonne étoile. Forte de cette prédiction, je ne crains pas le trépas, j'ose mettre ma vie en jeu – avec l'hypocrisie que tout cela implique.
— À dater d'aujourd'hui, scande ma langue empâtée, je boirais tout ce que tu bois, je mangerais tout ce que tu manges et, si tu t'empoisonnes, alors je m'empoisonnerai. Si tu as la main trop lourde avec les doses, c'est ma vie également que tu mettras en danger.
— Tu es cinglée, Loony. Jamais ne n'accepterai un tel deal.
— Si tu refuses, je démissionne. Je resterai évidemment ton amie, mais je ne vivrai plus ici, à tes côtés. Il en va de même, si jamais tu décides de faire une entorse à notre accord.
— Alors, à présent, tu me fais du chantage ?
— Libre à toi de le voir de la sorte. De mon point de vue, je désire simplement t'accompagner dans ta démarche, aussi tordue puisse-t-elle être. Si je pouvais partager tes maux, Zelos, je le ferais volontiers. Aussi, si tu choisis de les noyer dans les toxines, alors je plonge à ta suite. Je ne te laisserai pas seule, Hazel, jamais, sauf si tu me rejettes.
— Si tu tiens vraiment à ce qu'on parle de rejet... (avant que je proteste, elle s'interrompt) Non. Je te demande pardon. Je ne veux pas imposer quoi que ce soit à ton cœur. Tu ne te noieras pas avec moi. Je saurai nous maintenir la tête hors de l'eau. Je te le promets.
Ses cheveux soyeux se répandent dans mon cou, comme elle se recroqueville contre moi. Son bras s'enroule autour de ma taille et, bien vite, elle s'endort. Entre deux soupirs rêveurs, sa salive, au compte-goutte, imbibe ma robe de chambre. Cela ne me gêne guère.
Désormais que j'ai entrevu la facette sombre d'Hazel, non seulement ma fascination s'est accrue, mais je me rends compte aussi que je pourrais l'aimer, sans crainte de la corrompre. Mon chaos s'épaissit, charrie mon cœur obscur. L'avenir a trop de visages.
Un visage, en voilà un qui paraît entre la cheminée et la grande maison de poupées – héritage dont Hazel refuse de se défaire. D'un geste maladroit, car le brouillard venimeux se répand dans ma tête, j'écarte le baldaquin pour distinguer la figure qui nous épie dans l'ombre. Quelle n'est pas ma surprise en confrontant le faciès dévoré par le feu, les cheveux consumés et le sourire tordu de Lydia l'Incendiaire, qui ricane dans son coin, qui se gausse de nous.
Agrippée au rideau, je tente de me relever. Mes jambes, pourtant, restent empêtrées dans les draps. Je me débats, furieuse, dans la gueule du lit qui m'aspire sous sa couette. Hazel se soulève, alertée par mes gesticulations.
— Loony ? bredouille sa voix ensommeillée.
Je me fige, le doigt pointé sur la maison de poupées. La palme d'Hazel, aussi glacée que ses yeux dans la nuit qui nous drape, glisse le long de mon bras, puis enrobe ma main.
— La maison ? s'inquiète-t-elle.
Mes pupilles affolées remuent l'obscurité à la recherche du fantôme, dès lors évaporé.
— Lydia, balbutié-je sous l’œil troublé d'Hazel. Lydia Macduff se tenait là et... je crois qu'elle se moquait de nous.
Les bras de mon amie se croisent, affectueux, sur mes clavicules et, alors même que mon cœur s'embourbe, soulagé, dans les frissons moelleux de ses manches, la pâleur de son front choit au creux de mon cou, sa chevelure répandue presque jusqu'à mon sein. L'écho de ses murmures me résonne dans la gorge.
— Lydia a ses humeurs mais, à la vérité, je crois qu'elle veille sur moi.
— Tu veux dire que tu l'as déjà vue ?
— Vue, non. Je l'ai plutôt... disons... sentie.
Se pourrait-il qu'Hazel ait une conscience plus accrue que je le présumais ?
— Et moi, hasardé-je, tu me sens ?
— À l'occasion, convient-elle d'une langue malicieuse.
Le fantôme disparu puis nos places retrouvées, l'une à côté de l'autre, sagement éloignées d'à peine quelques pouces, la nuit se gorge et nous consume dans son silence morne. Incapable de dormir, trop honteuse pour parler, j'arpente l'autre plan d'un pas las. L'esprit d'Hazel n'y émet qu'un halo contenu, guère plus agité qu'un autre – que ceux des âmes en peine qui traînent leur gémissements dans les couloirs béants de Whistlestorm. Nulle trace de Lydia. Ni lueur bienfaitrice, ni aura menaçante.
Seule au monde, j'erre encore dans les artères de la ville – leurs ombres nébuleuses. Mon corps astral plane, chauve-souris lui aussi, vers le pavillon à l'abandon dont les grelots se taisent, au fond duquel le tintement d'aucune bague ne peut rompre ma déroute.
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