Le ciel était sombre et les nuages noirâtres étaient tels des murailles qui empêchaient tout rayon de soleil de toucher la terre. Les horloges ne tournaient plus, le monde était arrêté. Les nobles et les paysans étaient tournés vers la Cathédrale de Rimouski, alors que les cloches sonnaient. Tous se réunirent à l'intérieur de la cathédrale sans savoir ce qui se passait. L'Archevêque, le regard rigide, s'avança en silence dans la nef pour rejoindre l'avant de l'autel et se tourna vers l'assemblée. Les mains jointes, le ton prit de gravité, il s'adressa aux Nobles, aux paysans et aux prêtres :

• In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti... Ce sera la dernière fois que je prononcerai ces mots. Les heures sombres sont arrivées. Nous n'avons plus de Roi. Oui, mes frères, le Roi est mort. Le Roi n'est plus, le divin n'a plus personne à nous accorder. Nous n'avons plus de chef, plus de meneur, si ce n'est le Christ lui-même. Sans Roi, il n'y a pas de Royaume et il n'y a pas d'Église. Sans Roi, il n'y a pas de foi, il n'y a pas de fidèles.

La peur monstrueuse des différents ordres de la société se lisait sur les visages.

• Je ne suis plus l'archevêque à partir d'aujourd'hui.

Un vieux paysan avança et s'écria avec rage :

• Va au diable, traître ! Tu te dis archevêque, mais tu n'es même pas capable de garder la foi ! Pas capable de croire que Dieu saura nous récompenser de notre espérance ! Pauvre fou ! Tu as raison, tu n'es plus l'archevêque, parce que tu n'es plus celui qui nous enseigne : tu es le blasphème ! Tuez-le ! Tuez le blasphémateur !

La foule s'agita dans la cathédrale, prise de colère, déterminée à suivre ce vieil homme.

• Je n'ai plus aucune raison de croire en quoi que ce soit. Si vous voulez me tuer, faîtes donc. Cela m'épargnera une vie de souffrance.

Le peuple de Rimouski sortit finalement de l'église-mère en laissant l'archevêque en vie et se diriga en direction de la place publique. Un homme de 28 ans nommé Hell Frank s'y trouvait avec de vieux livres anciens. Il était accompagné de son fidèle acolyte Manstrick avec qui il jouait aux dés à la taverne du coin.

• Regarde, sur la place !, a déclaré Manstrick en pointant du doigt le peuple en colère.
• Il en était aussi ainsi durant la révolution française, mais ils n'ont pas de Roi à guillotiner, dit Hell Frank, sans plus d'intérêt.

Manstrick se mit à le fixer droit dans les yeux, les coudes déposés sur la table de la taverne.

• Ils ont un Roi, Frank, mais il n'attend que sa couronne.

Hell Frank lui demanda :

• Qui ça ?

Et Manstrick lui répondit :

• Il est devant moi. Toi, Frank. Le Roi Hell Frank, c'est de lui que le peuple a besoin.

Hell Frank, stupéfait par les paroles de son collègue de jeu, resta silencieux toute la journée. En réalité, la question le rongeait de l'intérieur : est-ce que je suis digne d'être roi ?

En rentrant chez lui, Hell Frank prit le temps d'écrire quelques mots sur les procès des patriotes canadiens avant d'aller se coucher. Vers trois heures du matin, sa chambre se mit à trembler. Hell Frank fut réveillé en sursaut. Un nuage de feu apparut devant lui. Une voix sombre et cruelle résonna en écho dans sa demeure :

• Hell Frank de Rimouski ! Je suis la grande faille du monde. Celle qui terrifie les hommes et les enchaîne. Vous ne serez jamais le Roi !

Hell Frank se leva et se saisit de son épée forgée en émeraude. Il la hissa vers le nuage de feu en s'écriant :

• Ne te mets pas en dehors du chemin de la rédemption, Satan !

Sa lame tranchante se mit à briller et à propulser tout autour de lui une immense lumière aveuglante.

• L'heure est à la connaissance. L'histoire régnera désormais sur ce monde, et tu ne m'empêcheras pas ! Retourne dans les abîmes !

La faille du monde se mit à hurler, réveillant toute la ville de Rimouski. Manstrick débarqua en courant dans la chambre de Hell Frank avec quelques gardes de la ville. Au même moment, la Faille du Monde disparut, comme aspirée vers le sol. Le ciel s'éclaircit d'un rouge lumineux. Le Saint Laurent devint un océan de lave. Tous, médusés par l'exploit de Hell Frank, se mirent à genoux en criant :

• Le Roi Hell Frank ! Le Roi Hell Frank ! Le Roi Hell Frank !