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Lorsqu'elle descendit prendre son petit-déjeuner, sa mère était déjà partie depuis longtemps. S'étant couchée à une heure plus que tardive, elle s'était laissé le luxe de faire une grasse matinée. Comme à son habitude, pendant qu'elle mangeait, elle lança sur son téléphone, une vidéo de son streamer préféré. Il était bientôt onze heures trente et elle engloutissait à grandes cuillerées son bol de muesli trois chocolats, interrompue de temps à autre par son propre rire, manquant à plusieurs reprises de s'étouffer. Ce n'est qu'en débarrassant sa table qu'elle prit conscience de l'heure.
"Tant pis, je me rattraperais sur le goûter !"
Un sourire égaya son visage et elle décida d'aller prendre l'air. Le soleil frappait plus fort que d'ordinaire en cette période, mais il régnait une chaleur des plus agréables. Elle ouvrit la porte vitrée menant au potager couvert, pour vérifier la température extérieure et s'habiller en conséquence : un léger vent frais. Elle remonta dans sa chambre, pris un pantalon ample en satin beige ainsi qu'un haut court sans bretelle, accompagné d'un cache-maillot de plage transparent à manches longues, tous les deux blancs. Elle se mit sur la pointe des pieds et attrapa dans le casier tout en haut de son armoire, un petit sac noir en cuir où un petit nœud doré métallique décorait la fermeture. Elle l'ouvrit, ferma les yeux, et choisit au hasard à l'intérieur. Elle en sortit une paire de lunettes rose pâle aux grands verres carrés, à l'effet miroir.
"Pile celles que je voulais !"
Elle les enfila, puis s'arrêta dans le couloir. Au lieu de descendre directement, elle passa entre les deux escaliers et se dirigea vers les deux bibliothèques, de part et d'autre de la pièce. Elle laissa ses doigts parcourir les couvertures de longues minutes, sans parvenir à se décider. Romans fantasy, romans, dramatiques ou histoires de sociopathes, ces deux meubles étaient garnis de ses œuvres favorites. Tout à coup, ses doigts s'arrêtèrent net sur un exemplaire d'encyclopédie que lui avait offert son père, la dernière fois qu'elle l'avait vu. C'était quelques jours seulement avant sa mystérieuse disparition, juste avant de partir à la campagne chez ses grands-parents. Depuis ce jour, elle ne l'avait jamais encore, ne serait-ce que feuilleté. Était-ce par manque d'intérêt ou parce que sa perte la touchait encore de trop près ? Peut-être était-ce finalement un peu des deux, mais aujourd'hui serait le jour où elle honorerait ce présent et la mémoire qu'il incarnait. Elle le retira de son emplacement et caressa sa première de couverture encore immaculée, au milieu de tous ces autres bouquins cornés, à force d'être lus et relus.
- Tiens ma chérie, c'est pour toi.
- Merci papa !
- Je sais que ce n'est pas tellement ce que tu as l'habitude de lire, mais, je suis sûr que tu pourras apprendre beaucoup de choses dans ces pages. Prends-le avec toi chez tes grands-parents, s'il te plaît.
- D'accord, merci, je t'aime !
- Moi aussi, je t'aime... Plus que tout.
- Iséa, dépêche-toi, tu vas louper ton bus !
- Bisous papa, bon week-end, je t'aime !
- Je t'aime, ma princesse, bon week-end à toi aussi...
Iséa sourit tendrement.
"Finalement, quand on y pense, ça ressemblait vraiment à l'idée qu'on se fait d'une dernière discussion... Quand l'un des deux n'en sait rien."
Surprise par sa propre pensée, elle fronça légèrement les sourcils.
"Quand l'un des deux n'en sait rien ?!"
Plus elle y pensait, plus ça semblait logique, c'était des paroles et un cadeau d'adieu. Il savait. Il savait qu'il ne la reverrait plus jamais et pourtant, il ne lui a rien dit, il l'a laissé souffrir dans l'incompréhension et le désespoir, mais pourquoi ?
Elle mit l'encyclopédie sous son bras et descendit au rez-de-chaussée. Elle versa un peu du café, préparé tôt ce matin par sa mère, au fond de sa tasse et la mit au micro onde après y avoir jeté deux sucres, sans oublier une pointe de lait demi-écrémé. Pendant les dix secondes que mettrait sa boisson à se réchauffer, elle ouvrit la porte d'un des placards et en sortit une tablette de chocolat au lait à la noix de coco, son préféré. Une fois prête, elle s'installa à l'extérieur, sur une des chaises du jardin de derrière, vidant ses mains sur une petite table ronde. Elle ouvrit le livre, feuilletant doucement ses pages en regardant en détail chaque image, pour la plupart dessinées, parfaitement réalisées, ainsi que leurs descriptions détaillées. En moins de dix minutes, son crâne commença à la brûler, alors, elle déplia le parasol au-dessus d'elle et sans y prendre garde bouscula un peu trop fort la table qui renversa la moitié de son café.
"Merde ! Merde ! Merde !"
Le plus rapidement possible, elle remit la tasse en place, souleva le cadeau de son père et le secoua afin de faire tomber le plus de liquide possible avant d'éponger, ses pages brillantes et vernies facilitant le travail. Elle courut à la va-vite prendre dans la cuisine le rouleau de sopalin qui traînait sur le comptoir et essuya avec précaution chaque page humide, avant de s'affairer au nettoyage de la table avec, cette fois-ci, une éponge. Alors qu'elle venait de terminer et qu'elle retournait s'asseoir, elle sentit sous son pied nu, un document.
"Tiens, tu sors d'où toi ?"
Elle se pencha, ramassa la petite feuille semblant provenir d'un petit carnet à dessin. Il y avait une note manuscrite inscrite dessus, d'une écriture qu'elle ne reconnaissait pas, accompagné d'un dessin qu'elle reconnu immédiatement, il s'agissait d'un "u" cubique avec un point au-dessus de la branche gauche de la lettre. Ça lui disait quelque chose, bien évidemment, elle se souvenait du cadenas, mais il y avait autre chose, un autre souvenir qui ne lui revenait pas encore, elle le savait. Lorsqu'elle commença la lecture du mot, elle tomba presque immédiatement à genoux, laissant couler ses larmes à flots sans même tenter de les retenir.
Je suis fier de toi, tu es la petite fille que j'ai toujours rêvé d'avoir, si intelligente et si parfaite, j'ai hâte de voir quelle femme tu vas devenir, n'oublies pas que quoi qu'il arrive, je t'aime ma chérie, plus que tout et pour toujours...
Plus aucun doute n'était permis sur la provenance de ce message. Il avait dû tomber du livre alors qu'elle le secouait, quant à cette écriture, c'était sans nul doute celle de son père. Une fois remise de ses émotions, elle se mit à réfléchir. Habituellement, lorsqu'on laissait un message à quelqu'un de cette façon, celui-ci se trouvait juste derrière la couverture, afin d'être sûr d'être trouvé rapidement. Cependant, Iséa n'avait rien vu en l'ouvrant, ni même en lisant les 20 premières pages.
"Quelle idiote j'aurais jamais dû secouer ce bouquin."
Puis, une idée lui vint soudainement en tête.
"Se pourrait-il que... ?"
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