6 - Révélations
Il était devant sa porte, le poignet levé, prêt à frapper lorsqu'elle avait ouvert la porte et désormais ils étaient là, assis face-à-face, se dévisageant l'un et l'autres, tentant de reprendre leurs marques qu'ils ne parvenaient plus à trouver. Son départ était si lointain, en rien de comparable au souvenir qu'elle gardait de lui, l'homme en face d'elle était morose, les traits tirés et les cheveux poivre et sel, de grosses poches sous les yeux marquant le fait qu'il manquait de sommeil depuis un long moment déjà.
- Papa, j'ai cru... J'ai cru que t'était mort ! Qu'est-ce qui s'est passé, je... Maman est...
- Je sais chérie... Je sais. C'est pour ça que je suis là. Tu n'es pas encore majeure et ta mère a obtenu ta garde, je ne suis pas ici officiellement. Je n'aurais le droit de t'emporter avec moi que dans quelques jours, quand tu auras atteint ta majorité. Tu as tellement grandi... Tu es tellement belle...
Elle voyait dans son regard que ses étoiles, bien que ternes et presques éteintes, n'avaient jamais cessé d'exister pour elle. Il avait toujours été complètement fou de sa fille, la plaçant sur un pied d'estale, plus fier d'elle que n'importe quel autre parent aurait pu l'être. Il lui avait enseigné la confiance en soi, l'amour propre, le respect, toutes les valeurs les plus importantes de la femme qu'elle allait devenir très bientôt.
- Papa, s'il te plaît... Raconte-moi.
- Quand j'ai rencontré ta mère, elle avait perdu un enfant quelques années auparavant, une petite fille. Elle était obsédée par cet évènement et voyais régulièrement une sorte de marabout, pour contacter son esprit dans l'au-delà. J'avais beau ne pas y croire, je savais que ça l'aidais à se sentir mieux et c'est vite devenu une habitude, chaque semaine, elle partais le rencontrer et tentait de communiquer avec ce qu'il restait d'elle, je n'y voyais pas d'inconvénients. Elle est rapidement tombée enceinte et j'ai accepté qu'elle te donne son nom, pensant que ça l'aiderait à affronter la dure réalité. Elle m'avait parlé de sa schizophrénie dès le départ. Je pensais bien faire en acceptant cela, c'était peut-être égoïste mais j'espérait qu'ainsi, toi et son bébé perdu, fusionnerez dans son esprit et qu'elle n'en serait que plus aimante envers toi, et plus heureuse, la libérant du poids de son passé. Maleureusement, à l'époque, je n'était pas vraiment renseigné sur cette maladie mentale et ses conséquences réelles au quotidien. Avec le traitement des symptômes, tout se passait très bien. Tout à changé le jour où, pour un contrôle de routine, elle a dû être hospitalisée. On lui a découvert un cancer du sein qui a fini par s'aggraver et une métastase osseuse est apparue au niveau de son genou, c'était très douloureux pour elle, et gênant. Tu avais déjà beaucoup grandi, mais ta mère est retombée dans la dépression et elle a cessé son traitement, sans m'en parler. Un jour, quand tu étais à l'école, elle m'a comparé a un démon, me disant qu'elle m'avait créé et qu'elle voulait que je quitte sa vie. Sans médication, ses hallucinations revenaient et je suppose qu'elles me déformaient assez pour que l'idée qu'elle m'ait créé au travers d'un rituel avec son marabout, me donne l'apparence d'une créature démoniaque à ses yeux. Tu n'imagines pas la douleur que j'ai éprouvé à cet instant. Je voulais te protéger, je voulais rester auprès de toi, auprès de vous. Je l'aimais et je n'ai jamais cessé de l'aimer, mais j'ai réalisé que ma plus grosse erreur avait été de la laisser voir ce sorcier. Lorsque j'ai lu un des mails qu'il lui avait envoyé, lui conseillant de me quitter en t'emportant avec elle, c'est là que j'ai compris ce qui se passait.
- Mais pourquoi tu ne l'as pas empêchée ?
- Le cancer qui la rongeait était déjà bien avancé, je voulais lui éviter le stress et la colère qui pouvait lui créer des complications supplémentaires. Le jour où elle t'a envoyé chez ta grand-mère... Je n'ai pas pu me résoudre à te dire au revoir. Je n'arrivais pas à te dire que j'allais partir, pour revenir lorsque la situation serait différente... Ta mère m'avais promis de reprendre son traitement, alors j'ai accpeté de me tenir à l'écart. Je prenais régulièrement des nouvelles de vous en regardant tes réseaux sociaux mais... je sais très bien que lorsqu'on est une ado, on veut faire croire au monde qu'on a une vie parfaite, même quand la réalité est bien différente. Lorsque j'ai vu que vous déménagiez à répétition, j'ai compris qu'elle n'était plus suivie par son psychiatre. Sans soutient émotionnel, il est difficile pour une personne atteinte de cette maladie, même médicamentée, de ne pas se laisser emporter par certaines paranoïas et diverses hallucinations, qui ne sont que restreintes. Anna vivait souvent des épisodes dépressifs et c'était souvent dans ces moments là qu'elle avait le plus besoin d'aide. Il y a quelques semaine, vous avez disparus. Tu ne publiais rien sur internet, nulle part... et ta mère s'est mise sur liste rouge, impossible de trouver un moyen de contact. J'était desespéré, j'ai téléphoné au Dr Mendez et celui-ci m'a annoncé qu'elle ne faisait plus du tout de chimio, c'est à cet instant que j'ai compris que tout était terminé, qu'elle allait abandonner et qu'il fallait que je la trouve avant ça. Avant qu'elle...
Il marqua une pause, visiblement troublé et ému, les yeux débordants de larmes devant sa fille qui n'avait connu que son sourire.
- Je vous ai cherché ! J'ai fait tout ce que j'ai pu mais aucune trace de vous ! J'ai essayé de contacter la banque pour remonter le RIB de ta mère au moins jusqu'à l'adresse de sa banque mais ce n'était pas possible. Je n'ai pas dormi pendant des jours, épluchant les réseaux sociaux, les sites de petites annonces, tout. Puis, j'ai reçu un appel qui m'a annoncé la nouvelle... Légalement, ta mère et moi sommes toujours mariés, elle n'a jamais souhaité divorcer, alors j'ai obtenu son adresse, ainsi que sa date de décès. On m'a demandé de venir récupérer ses affaires personnelles. J'ai directement pris la voiture, je refusais de t'imaginer seule, seule dans cette épreuve, seule depuis tout ce temps. Je suis tellement désolé que tout ce soit passé ainsi, je suis désolé d'avoir été si long, je suis désolé de n'avoir rien pu faire...
- Papa... Ce n'est pas ta faute, tu es là maintenant, c'est tout ce qui compte... Tu n'aurais rien pu faire...
Ils se serrèrent dans les bras, tremblants, durant de longues minutes qui semblaient des heures. Le reste de la journée passa alors qu'ils se remémoraient de bons souvenirs et rattrapaient le temps perdu, Iséa oubliant totalement le marabout et ses magouilles, se promettant qu'un jour il paierait pour ce qu'il avait fait. En attendant, elle avait besoin, tout autant que son père, de se retrouver, de partager sa peine avec quelqu'un qui pouvait vraiment la comprendre, en qui elle avait une confiance aveugle.
Les jours passèrent et elle fêta ses dix-huit ans. Ce jour là, il lui acheta un bouquet de roses blanches, et lui offrit en guise de pendentif, la bague de mariage de sa mère que désormais, elle ne retirerait plus jamais de son cou.
Le deuil de sa mère ne fût pas facile, et ne fût jamais réellement complet. Il arrivait que parfois, assise sur le canapé du salon, elle ferme les yeux et imagine encore avec un sourire, sa mère préparer des pancakes en chantonnant sa chanson préférée.
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