Un Stalker qui te veut du Bien

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Je ne suis pas encore venu te voir, aujourd’hui ; je suis très occupé ces derniers temps. Je ne fais que passer, comme le facteur : un instant soustrait au temps. Souvent, je te regarde, je t’observe. La plupart du temps, tu me plais : je crois discerner tes questionnements au bord de tes yeux, une émotion logée dans ton iris, des souvenirs qui t’emmènent ailleurs. Tu souris. La nostalgie te va si bien, imprimée ainsi sur ton visage ! L’émotion, c’est quelque chose qui me plaît.

Une expression prétend avec une certitude indéfectible que les yeux sont les miroirs de l’âme. Il est certain que je t’y retrouve en cet instant : humain(e), trop humain(e). Mais, quelquefois, je te méprise, pour la même raison : des braises allumées, des étincelles de haine ou bien ce vide dérangeant qui ornent ton regard. Tout cela m’interpelle. Je n’approuve pas ta façon de juger l’autre, à l’aune de tes critères, cela me dégoûte : elle transpire sur ton visage froid, façonne des rictus que tu n’imagines même pas ! Tu n’es plus tout à fait le/la même, au milieu de tes pairs.

Malgré tes incohérences, tu as l'air de savoir qui tu es. C'est amusant, cette certitude, cette manière de te présenter aux autres, de faire semblant, aussi. À t'observer, je doute fortement que tu saches qui tu es, celui (celle) que tu es vraiment.

Ce n’est pas ce miroir devant lequel tu te poses chaque jour qui dira le contraire : l’image qu’il renvoie n’est pas exactement la tienne, encore moins celle que tu aimerais voir. Ce n’est pas un hasard s’il manque toujours quelque chose : un peu de grâce, de beauté, de perfection peut-être ? La cosmétique est ton ennemi : elle te donne une image de toi-même à la fois biaisée et rassurante. Tu te sculptes pour plaire, à toi comme aux autres. Ton visage, ton corps, ton être. Mais tu ne peux plaire qu’à moi, car je suis la seule personne qui t’aime vraiment. Et cet amour, tu ne peux rien contre !

Toutes les semaines, je m’approche de toi : derrière les vitres, dans les dédales des supermarchés, plus proche que jamais dans les transports en commun. Dans la rue, je te suis de loin, battant le pavé, connaissant tous tes itinéraires. Sens-tu mon regard insistant posé sur toi ? La sensation que quelqu’un t’observe ? Là où tu vis, il m’arrive de te retrouver sans même que tu le saches. Quand tu sors la poubelle, emmitouflé(e) dans tes vêtements les moins saillants, les cheveux ébouriffés, je te dévisage et, fou de ce naturel, t’adresse dans l’ombre un sourire amoureux. Ces moments, je les chéris plus que tout. Certes, ce n’est pas une surprise, mais cela me met du baume au cœur, un semblant de fantaisie. Cela fait deux ans que je te suis. Je sais que tu m’es destiné(e). Ton nom, ton adresse : tu figures sur ma liste.

Je t’ai vu(e) aimer, souffrir, attendre des mots qui ne viennent pas : des lettres, des appels, des courriels. Je t’ai vu(e) vivre des joies, subir des déceptions. Lors de tes longues promenades sans but, au fil des heures, j’étais là, toujours présent, à me fondre dans tes pas, malheureux comme la pierre. J’ai toujours hésité à venir te consoler mais jamais tu ne t’es retourné(e). M’aurais-tu vu ? Regardé ? Considéré ? Pourtant, au fond de moi, je sais que tu le sais, c’est une telle évidence : oui, je ne suis jamais loin ! Oui, je t’aime, à ma façon. Et oui, je t’attends ! Toi ? Tu n’as jamais eu la force de te retourner alors que tu penses souvent à moi. De plus en plus.

Aujourd’hui, avec cette impatience d’enfant, cet optimisme candide qui me fait croire en Nous, je découvre ton adresse sur un de mes post-it. Fausse joie… une déception de plus ! Ce n’est toujours pas le bon moment ! Pourtant, je te sens prêt(e) à me rejoindre ! Plus que jamais ! Mais non : c’est un de tes voisins que je dois chercher. J’ai cru comprendre que tu ne l’apprécies pas, cela devrait te faire plaisir de ne plus jamais le voir ! J’aimerais tant partager cette nouvelle avec toi, te voir sourire à nouveau ! Ton sourire se fait de plus en plus rare.

En attendant, je ne fais qu’obéir aux ordres, imprimés sur de vulgaires post-it et, comme toi, subir ce manque de liberté qui nous condamne à nous aimer, l’un et l’autre, chacun à notre façon. Qu’il est dur d’être aimé quand on est que l’ombre d’un homme, la main d’un mythe, un simple faucheur, parmi tant d’autres. Qu’il est dur de lire tes pensées informes, ces envies de mort avortées qui parfois te taraudent, s’immiscent en toi à mesure que la vie te brise : tu n’as qu’un geste à faire pour prendre rendez-vous, mon amour.

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